COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-10-000008-944
(550-36-000047-934)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
DELISLE
FORGET, JJ.C.A.
DAMIEN GAUVREAU,
APPELANT - (Défendeur)
c.
CORPORATION DE LA VILLE DE GATINEAU,
INTIMÉE - (Défendeur)
OPINION DU JUGE FORGET
Monsieur Damien
Gauvreau a été reconnu coupable, en Cour municipale de Gatineau, d'avoir, le ou
vers le 11 novembre 1991 et le ou vers le 27 novembre 1991:
...illégalement toléré le stationnement ou l'entreposage de plus d'un camion propriété de camionneur artisan, le tout en contravention à l'article 7/2/2/1 du règlement 585-90 de la ville de Gatineau.
La Cour supérieure
ayant rejeté son appel sur ces deux chefs d'accusation, Gauvreau, avec
permission, se pourvoit devant notre Cour.
Je signale que
Gauvreau avait également été déclaré coupable en Cour municipale de
l'accusation suivante:
Le ou vers le 5 novembre 1991 en ladite ville de Gatineau à titre de propriétaire du lot 4A-1-1, rang neuf (R.9), canton de Hull, portant le numéro civique 319, rue Chemin des Erables, à Gatineau, avoir illégalement toléré ou permis que soit fait un usage autre que ceux permis dans une zone ZA soit un garage servant à des réparations mécaniques, le tout en contravention à l'article 7/1/1 règlement 585-90 de la ville de Gatineau.
Cette condamnation
a été cassée en Cour supérieure et Ville de Gatineau ne se pourvoit pas.
QUESTION DE DROIT
Je rappelle
immédiatement que Gauvreau ne peut en appeler que sur une question de droit,
conformément à l'article 291 du Code de procédure pénale(1):
291. [Appel sur une question de droit]
L'appelant ou l'intimé en Cour supérieure, ou le Procureur général même s'il n'était pas partie à l'instance, peut, s'il démontre un intérêt suffisant pour faire décider d'une question de droit seulement, interjeter appel devant la Cour d'appel, avec la permission d'un juge de cette cour, d'un jugement
1- rendu en appel par un juge de la Cour supérieure;
2- qui accueille ou rejette une demande d'habeas corpus ou de recours extraordinaire.
PRÉTENTIONS DE L'APPELANT
Aux dates visées
par les plaintes pénales, il n'est pas contesté que le règlement municipal,
alors en vigueur, interdisait le stationnement de plus d'un camion, l'article
7/2/2/1 se lisant comme suit:
STATIONNEMENT ET ENTREPOSAGE PROHIBES
Le stationnement et l'entreposage de machinerie de construction ou de transport sont prohibés dans les zones agricoles à l'exception:
.....
2° des camions propriétés des camionneurs-artisans pourvu qu'il n'y en ait pas plus d'un par terrain;
.....
Pour échapper à une
condamnation, Gauvreau a plaidé, sans succès, et réitère que cet article ne
peut lui être opposé puisqu'il est en mesure de faire valoir un droit acquis à
l'encontre du règlement 585-90, entré en vigueur le 29 août 1990.
Gauvreau invoque un
droit acquis, à double titre:
1) Son auteur, monsieur
Jean-Maurice Lesage, aurait commencé un usage commercial sur ce terrain avant
l'entrée en vigueur de toute réglementation relative au zonage dans la
municipalité de Touraine, ultérieurement fusionnée à Gatineau;
2) Il aurait lui-même commencé
ses activités commerciales en 1978, alors que le règlement numéro 495 de
Touraine, en vigueur, autorisait l'usage qu'il exerce maintenant.
DROITS ACQUIS
Je rappelle les
trois critères pour prétendre à un droit acquis; le professeur Jacques
L'Heureux(2) les énonce ainsi:
1° la
construction ou l'utilisation a été commencée, ou le permis ou certificat
requis pour la commencer a été obtenu, avant l'interdiction;
2° la
construction ou l'utilisation était légale immédiatement avant le début de
l'interdiction;
3° la
construction existe toujours, ou l'utilisation a continué depuis.
LE CONTEXTE
Lesage était
propriétaire du lot 4A-1, Rang IX, au cadastre officiel du canton de Hull,
circonscription foncière de Gatineau.
Le 18 juin 1973, il
a fait subdiviser ce lot pour former le lot 4A-1-2 en bordure du Chemin des
Érables et un deuxième lot, situé à l'arrière, le lot 4A-1-1.
Sur le lot situé à
l'arrière, 4A-1-1, Lesage a fait construire un triplex pour fin d'habitation et
sur le lot en bordure du Chemin des Érables (4A-1-2), il a entrepris la
construction d'un entrepôt.
Lesage, un
constructeur-briqueteur, stationnait alors ses camions et son équipement sur
l'un ou l'autre des lots-j'y reviendrai.
Au moment où Lesage
a commencé ses activités, aucune réglementation municipale ne régissait le
zonage à Touraine.
Un premier
règlement de zonage, portant le numéro 495, de Touraine, est entré en vigueur
le 17 décembre 1973.
Ce règlement a
continué à régir le zonage pour ce territoire jusqu'en 1983, soit après même la
fusion avec Gatineau survenue en 1975.
Lesage ayant fait
cession de ses biens, la Caisse populaire de St-Joseph de Hull a repris ces terrains
par jugement sur dation en paiement, en date du 21 décembre 1977.
Par acte de vente,
en date du 6 juillet 1978, la Caisse populaire de St-Joseph de Hull a vendu à
Gauvreau le lot 4A-1-1; elle lui a également cédé une parcelle du lot 4A-1-2
pour lui procurer un accès au Chemin des Érables (pièce I-1, MA-73).
Au moment où
Gauvreau a acquis ces terrains, le règlement numéro 495 était toujours en
vigueur.
ANALYSE
Pour prétendre
exercer les droits que détenait Lesage, Gauvreau doit démontrer que:
1) Lesage a fait un usage,
maintenant prohibé, avant l'entrée en vigueur de tout règlement;
2) les droits de Lesage lui ont
été transmis.
Déjà au stade de la
transmission des droits par Lesage à Gauvreau, je vois deux difficultés:
1) Gauvreau n'a pas acquis de
Lesage, mais de la Caisse populaire de St-Joseph de Hull;
2) De plus, pour prétendre
exercer les droits de Lesage, Gauvreau devrait démontrer qu'il exerce un usage
similaire à celui de son auteur(3), ce qui ne semble
pas être le cas.
Mais il y a plus:
la preuve ne démontre pas clairement si Lesage stationnait ses camions sur le
lot 4A-1-1 - maintenantpropriété de Gauvreau - ou sur la partie du lot 4A-1-2
-maintenant propriété de son frère Armand.
Comme il ne s'agit
pas d'une question de droit, j'estime que notre Cour n'a pas compétence pour
intervenir sur cet aspect et je suggère donc de rejeter la prétention de
l'appelant voulant que le droit acquis de Lesage lui ait été transmis.
Au
moment où Gauvreau a commencé ses activités commerciales, en 1978, le règlement
numéro 495 était en vigueur.
Il n'est pas
contesté que les lots 4A-1-2 et 4A-1-1 étaient situés dans une zone agricole
(A.A.), qui était régie par les articles 700 et suivants du règlement 495.
En plus des usages
relatifs à l'agriculture, on permettait, dans cette zone rurale, certains
commerces en vertu de l'article 703:
703 Autres utilisations:
a) .....
b)
.....
c) Les commerces:
Les commerces de détail, les commerces de gros, les commerces de services professionnels et personnels, les commerces de services commerciaux et industriels, sont permis dans la zone A.A. à la condition d'être situés le long d'une artère. Les commerces de services routiers sont permis en-deçà d'une limite de 200 pieds de chaque intersection de la route 307 et des artères. Les dispositions applicables aux zones C.A. et C.B. s'appliquent mutatis mutandis, exception faite de la superficie des terrains qui doit être au minimum de 40 000 pieds carrés. Aussi les commerces du type restaurant avec salle à manger, sans livraison, ni service à l'auto sont permis.
(je
souligne)
En Cour municipale
comme en Cour supérieure, on s'est demandé si le lot de Gauvreau était situé
«le long d'une artère» et pouvait, en conséquence, profiter du droit à un usage
commercial; le juge de la Cour municipale a répondu par la négative et le juge
de la Cour supérieure par l'affirmative.
Devant notre Cour,
l'avocat de la Ville de Gatineau a abandonné ses prétentions et reconnaît que
le terrain de Gauvreau est situé «le long d'une artère».
Gauvreau pouvait
donc utiliser son terrain, en vertu de la réglementation alors en vigueur, à
des fins agricoles, résidentielles ou commerciales; mais voilà, plaide l'avocat
de Gatineau, il devait se limiter à un seul de ces usages.
Pour soutenir ses
prétentions, l'avocat de Gatineau réfère aux articles 200 et 201, applicables à
toutes les zones:
200 UTILISATION
PRINCIPALE ET UTILISATIONS ACCESSOIRES
Chaque terrain ne peut avoir qu'une seule utilisation principale et réglementaire. L'utilisation d'un terrain implique les utilisations accessoires et complémentaires de cette utilisation principale. Un terrain peut avoir une utilisation principale sans qu'il y ait sur ce terrain de bâtiment principal; en ce cas, il pourrait y avoir des constructions et des bâtiments accessoires pour les utilisations accessoires et complémentaires.
201 BATIMENT
PRINCIPAL ET BATIMENTS ACCESSOIRES
Un bâtiment principal ne peut avoir qu'une utilisation principale, celle-ci pouvant cependant être le fait de plusieurs établissements ou de plusieurs unités différentes mais de même nature. Il peut avoir également des utilisations accessoires et complémentaires. Si un terrain devait avoir un bâtiment principal, l'utilisation principale de ce terrain serait ce bâtiment lui-même et l'utilisation qui en est faite, l'utilisation du terrain résiduel devenant alors accessoire.
Vu que Lesage a
choisi de donner au lot 4A-1-1 un usage résidentiel en y construisant une
résidence de type triplex, on ne pourrait, accessoirement, y permettre un usage
commercial.
Selon l'avocat de
Gauvreau, aucune disposition du règlement 495 n'interdisait le stationnement de
plus d'un véhicule dans les zones rurales.
De plus, toujours
selon l'avocat de Gauvreau, il s'agirait d'un usage complémentaire; à cette fin
il réfère aux définitions prévues par le règlement:
U-4 Utilisation
Fin à laquelle est ou peut être affecté en tout ou en partie, un terrain ou un bâtiment.
Utilisation principale:
L'utilisation réglementaire majeure à laquelle est consacré un terrain ou un bâtiment.
Utilisation
complémentaire:
L'utilisation marginale ou secondaire d'un bâtiment ou d'un terrain, découlant ordinairement de l'utilisation principale qui en est faite.
Utilisation
domestique accessoire:
L'utilisation non forcément complémentaire mais partielle d'une habitation ou d'un logement par son occupant résidant, pour
des fins professionnelles,
artisanales, ou pour affaires personnelles.
Utilisation
mixte:
L'utilisation résidentielle d'un bâtiment commercial.
Utilisation
multiple:
L'utilisation d'un même bâtiment par deux ou plusieurs établissements différents.
Il cite également
l'article 210 applicable à toutes les zones:
210 Stationnement
Le stationnement est considéré comme un usage accessoire et à ce titre, il peut être placé dans les cours latérales et arrière de même que dans les marges latérales et arrière, et à certaines conditions dans la marge avant.
[...]
L'avocat de
Gauvreau n'invoque pas la notion «d'usage domestique accessoire» puisqu'on y
réfère uniquement dans les sections du règlement régissant les zones
résidentielles.
Il prétend
simplement que le stationnement des camions constitue un usage complémentaire
permis par le règlement.
Je ne peux suivre
l'appelant sur ce terrain.
Le règlement permet
des usages résidentiels, commerciaux, industriels, publics et ruraux. Si un de
ces usages peut être l'accessoire de l'autre, et vice versa, autant abolir le
règlement de zonage 495 qui n'aurait plus aucun effet.
La preuve démontre
que Gauvreau exerce une activité commerciale sur ce lot en y exploitant une
entreprise de transport; il y entrepose ses camions et divers autres
machineries et y effectue les réparations nécessaires.
J'estime que le
règlement ne permet pas sur le même lot à la fois un usage commercial et un
usage résidentiel.
Je ne puis donc me
convaincre que la Cour supérieure a commis une erreur de droit en refusant de
casser la condamnationprononcée contre Gauvreau sur les deux chefs d'accusation
mentionnés au début de la présente opinion, relatifs au stationnement de plus
d'un camion.
En conséquence je
suggère de rejeter l'appel avec frais.
ANDRÉ FORGET, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-10-000008-944
(550-36-000047-934)
Le 8 juillet 1996
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
DELISLE
FORGET, JJ.C.A.
DAMIEN GAUVREAU,
APPELANT - (Défendeur)
c.
CORPORATION DE LA VILLE DE GATINEAU,
INTIMÉE - (Défendeur)
__________LA COUR , statuant sur le pourvoi contre un jugement de la
Cour supérieure, district de Hull, prononcé le 13 décembre 1993 par l'honorable
Orville Frenette, qui rejetait l'appel de Damien Gauvreau d'un jugement de
l'honorable René R. Lapointe, juge de la Cour municipale de Gatineau;
Après étude du
dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs
exprimés dans l'opinion du juge Forget, déposée avec le présent arrêt, auxquels
souscrivent les juges Beauregard et Delisle:
REJETTE
l'appel avec frais.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
ANDRÉ FORGET, J.C.A.
Me Serge Laurin
Avocat de l'appelant
Me Claude Grant
Avocat de l'intimée
Audition: le 6 mai 1996
1.
L.R.Q., c. C-25.1.
2. JACQUES L'HEUREUX, Droit municipal québécois, Tome II, Wilson & Lafleur et SOREJ,
1984, p. 685.
3. JACQUES L'HEUREUX, déjà cité, p. 689; LORNE GIROUX, Aspects juridiques du règlement de
zonage, Les Presses de l'Université Laval, 1979, p. 443.