COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000286‑912
(500‑36‑000178‑916)
Le 6 février 1992
CORAM: LES HONORABLES TYNDALE
GENDREAU
BAUDOUIN, JJ.C.A.
LES TERRASSES ST-SULPICE INC.,
APPELANTE - (Accusée)
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - (Poursuivante)
LA COUR, saisie d'un pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal, rendu par l'honorable Jean-Guy Boilard le 16 août 1991, rejetant l'appel sur une sentence prononcée à Montréal le 25 mars 1991 par l'honorable Gérard Duguay de la Cour municipale de Montréal, d'une amende de 2 300 $ pour contravention à la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques;
Après étude, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés à l'opinion écrite de M. le juge Baudouin dont copie est déposée avec les présentes et à laquelle souscrivent MM. les juges Tyndale et Gendreau;
ACCUEILLE le pourvoi, et prononçant le jugement qui aurait dû être prononcé;
CONDAMNE l'appelante à une amende de 350 $, avec les frais prévus par le Règlement de la Cour municipale, les frais devant la Cour supérieure et devant cette Cour devant être supportés par l'intimée.
WILLIAM S. TYNDALE, J.C.A.
PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.
Me Auguste Choquette
Procureur de l'appelante
Me Yves Briand
Procureur de l'intimée
DATE DE L'AUDITION: 4 décembre 1991
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000286‑912
(500‑36‑000178‑916)
CORAM: LES HONORABLES TYNDALE
GENDREAU
BAUDOUIN, JJ.C.A.
LES TERRASSES ST-SULPICE INC.,
APPELANTE - (Accusée)
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - (Poursuivante)
OPINION DU JUGE BAUDOUIN
Il s'agit d'un pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure, rendu le 16 août 1991 par l'honorable Jean-Guy Boilard.
I. LES FAITS
Le 25 mars 1991, l'appelante comparaît devant la Cour municipale de Montréal pour répondre à l'accusation suivante:
«Au no 1680 de la rue St-Denis, en la ville de Montréal, étant muni(e) d'un permis de Bar-Terrasse émis par la Régie des permis d'alcool du Québec, à l'adresse ci-haut mentionnée, a, tant par lui(elle)-même, que par d'autres personnes dont il (elle) souffre la présence dans son établissement, permis(e) ou toléré(e) dans une pièce ou sur la terrasse où il(elle) exploite un permis, la présence d'un nombre de personnes dépassant celui déterminé par la Régie commettant par là une infraction prévue à l'article 109 par. 6, de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques.»
Au jour de l'audition, le juge de la Cour municipale ordonna de procéder par défaut et refusa au procureur de l'accusée une demande de remise. La Couronne fit donc sa preuve en faisant témoigner deux policiers de la C.U.M. et la Cour trouva l'appelant coupable de l'infraction reprochée. De cette condamnation, il n'y a pas appel et le présent pourvoi porte, en effet, uniquement sur la sentence.
La Couronne, invitée par le juge de la Cour municipale à faire des représentations, fit les déclarations suivantes:
«Quant à la sentence, monsieur le juge, je ne sais pas si ma consoeur a des représentations particulières à faire sur ce point, la poursuite va déposer, sous la cote SP-1, un avis de récidive qui a été dûment signifié à la compagnie défenderesse pour une troisième infraction à la présente loi. La compagnie «Terrasses St-Sulpice» a déjà été déclarée coupable à quinze reprises d'infraction à la loi sur les infractions en matière de boisson alcoolique dont.... à plusieurs reprises pour avoir contrevenu à l'article 109. La dernière date, la dernière condamnation remonte au 1er novembre 88. A cette date, la compagnie avait été sentencée par votre collègue, le juge André Massé, à 1 150,00 $ d'amende, ce qui est le minimum prévu pour une troisième infraction.
Il s'agit dans ce cas-ci également d'une troisième infraction compte tenu de la capacité qui était permise à cet endroit, qui était de cent quarante-neuf, et compte tenu du décompte qui a été fait, qui était à peu près le double de la limite permise. La poursuite va suggérer une amende maximale de 2 300,00 $. C'est la suggestion que la poursuite fait.»
Le juge de la Cour municipale prononça alors la sentence de la façon suivante:
«LA COUR: Alors, vu qu'il s'agit du..., vu l'avis de récidive produit sous la cote SP-1, vu qu'il s'agit que c'est la deuxième fois que l'accusé est trouvé coupable d'une troisième infraction, alors, l'amende fixée est 2 300,00 $ plus les frais, un délai de trente jours pour payer.»
La Cour municipale imposa donc alors l'amende maximale prévue par la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques qui, à l'article 109, prévoit une gradation des amendes de la façon suivante:
«Quiconque................................................commet une infraction à la présente loi et est passible, en outre des frais, pour une première infraction, d'une amende d'au moins 125 $ et d'au plus 350 $ et, pour une deuxième infraction, d'une amende de 575 $ à 1 150 $, et pour toute infraction subséquente, d'une amende 1 150 $ à 2 300 $.»
L'appelant se pourvoit en Cour supérieure en invoquant une erreur de droit à l'effet que l'avis de récidive déposé par la Couronne au procès ne pouvait faire preuve de l'existence des récidives reprochées et des condamnations antérieures et que, par conséquent, la sentence imposée était illégale. Le juge Boilard de la Cour supérieure rend jugement le 16 août 1991 et confirme le jugement de la Cour municipale, estimant l'appel futile et sans mérite. C'est de ce dernier jugement qu'il y a appel devant nous et sur deux motifs principaux.
Avant toutefois d'examiner ceux-ci, il ne me paraît pas inutile de préciser que ce sont les règles du Code de procédure pénale qui paraissent s'appliquer au présent litige, règles dont la plupart sont entrées en vigueur le ler octobre 1990.
II. LE DROIT
a) La preuve des récidives
L'avis de récidive produit par la Couronne pour obtenir une condamnation plus sévère est à l'effet suivant:
«PRENEZ AVIS que dans la présente cause, advenant un plaidoyer de culpabilité ou une déclaration de culpabilité par le tribunal, le poursuivant demandera la peine prévue pour une troisième infraction.»
L'article 148(4) C.p.p. prévoit l'imposition d'une peine plus sévère en cas de récidive. Cependant, en date d'aujourd'hui, et sauf erreur, cette disposition n'est pas encore en vigueur. Il convient donc de se référer aux règles du droit transitoire et plus particulièrement à l'article 372(8) C.p.p.:
«372. Jusqu'à la date ou aux dates fixées par le gouvernement, les dispositions suivantes s'appliquent à l'égard d'une poursuite régie par le présent code:
8o Un défendeur ne peut se voir imposer une peine plus forte en raison d'une déclaration de culpabilité antérieure, à moins que le poursuivant ne lui ait transmis, avant plaidoyer, un avis indiquant qu'une peine plus forte serait réclamée en raison d'une récidive.
La preuve de la déclaration de culpabilité antérieure et de la transmission de cet avis incombe au poursuivant et ne doit être présentée qu'après la déclaration de culpabilité du défendeur.»
Cet article reprend les dispositions que l'ancien article 46.1 de la Loi sur les poursuites sommaires:
«46.1. Un prévenu qui s'avoue ou qui est reconnu coupable ne peut se voir imposer une peine plus forte en raison d'une condamnation antérieure, à moins que le poursuivant, avant l'enregistrement du plaidoyer du prévenu, ne lui ait transmis un avis l'informant qu'une peine plus forte serait réclamée en raison de ce fait.
La preuve d'une condamnation antérieure et de la transmission de cet avis incombe au poursuivant et ne doit être apportée qu'après que le prévenu s'est avoué ou a été reconnu coupable.»
Le mode de preuve des condamnations antérieures est prévu par l'article 69 C.p.p.:
«69. [Mode de preuve] La preuve de l'acquittement ou de la déclaration de culpabilité d'un défendeur, du retrait ou du rejet d'un chef d'accusation, de l'arrêt judiciaire de la poursuite ou de la suspension de la poursuite peut être faitae au moyen d'un certificat attestant ce fait, signé par le juge qui a rendu le jugement ou la décision ou par le greffier qui l'a consigné au procès-verbal, ou au moyen d'une copie du jugement, de la décision ou du procès-verbal, certifiée conforme par le greffier du tribunal.
[Mode de preuve] La preuve de l'arrêt d'une poursuite ordonnée par le Procureur général peut être faite au moyen d'un certificat attestant ce fait, signé par le greffier qui a consigné l'ordre d'arrêt au procès-verbal, ou au moyen d'une copie du procès-verbal, certifiée conforme par le greffier du tribunal.
[Énoncé de motifs] Le certificat ou la copie du procès-verbal qui atteste le rejet d'un chef.»
Il m'apparaît donc manifeste qu'un simple avis de récidive ne saurait à lui seul suffire à prouver l'existence de celles-ci.
Un autre article du Code de procédure pénale vient d'ailleurs renforcer cette opinion:
«236 [Récidive] Lorsqu'une loi prévoit une peine plus forte en cas de récidive, elle ne peut être imposée que si la récidive a eu lieu dans les deux ans de la déclaration de culpabilité du défendeur pour une infraction à la même disposition que celle pour laquelle la peine plus forte est réclamée.»
Ainsi donc, pour que les dispositions de la loi touchant l'imposition de peines plus sévères en raison de récidives puissent être appliquées, encore faut-il que ces récidives aient été légalement prouvées selon les prescriptions de la loi et que le juge puisse connaître l'époque des premières infractions, ce qui n'est manifestement pas le cas ici. La simple production de l'avis de récidive et les représentations verbales du procureur de la Couronne ne sont pas suffisantes.
b) Les frais
Comme autre moyen, l'appelante argumente qu'elle ne saurait être condamnée aux frais de première instance, en raison des nouvelles dispositions du Code de procédure pénale (arts 223, 289 et 367(3)), puisque le gouvernement n'a encore jamais adopté de règlement les fixant.
Elle plaide en outre que, depuis l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale, la discrétion dont jouissait le tribunal quant à la fixation du montant des frais est disparue.
Sur le premier point, je ne puis me rallier à l'interprétation proposée par l'appelante pour la raison suivante.
Le gouvernement, sauf erreur, n'a pas encore adopté de nouveau règlement sur les frais depuis l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale. Toutefois, par le biais de l'article 375 de ce Code, le législateur a expressément maintenu en vigueur les règlements antérieurs dont celui intitulé «Tarif des frais judiciaires, des droits de greffe et cautionnement en matière pénale»: Décret 1285-90, du 5 septembre 1990, (1990) 122 G.O. II -3471, adopté en vertu de l'article 131a) de la Loi sur les poursuites sommaires, L.Q. c. P-15.
L'article 375 est à l'effet suivant:
« Tous les arrêtés, décrets ou règlements pris par le gouvernement ou par une autre autorité compétente, en vertu d'une disposition modifiée, remplacée ou abrogée en vertu de la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant l'application du Code de procédure pénale (1990), chapitre 4) demeurent en vigueur dans la mesure où ils sont compatibles avec le présent code et jusqu'à ce qu'ils soient remplacés ou abrogés. Il en est de même pour les règles de pratique jusqu'à ce qu'elles soient remplacées ou abrogées conformémet au présent code.»
Sur le second point, l'appelante a, par contre, parfaitement raison et le juge n'est plus libre maintenant de fixer arbitrairement les frais comme l'a fait, dans notre cas, le juge de la Cour supérieure.
Lorsque la Loi sur les poursuites sommaires était en vigueur, l'article 77 était à l'effet suivant:
« La Cour à laquelle l'appel est ainsi porté entend et décide alors l'appel, et rend telle ordonnance, avec ou sans frais contre l'une ou l'autre partie, y compris les frais de la Cour inférieure, qui lui paraît à propos.... .»
(Les soulignements sont de moi.)
La jurisprudence avait
interprété cette disposition comme conférant une large discrétion au juge saisi
de l'appel: Dupont c. Rhéault, [1987] R.J.Q. 1620 (C.S.)
(permission d'appeler refusée par notre Cour, C.A.M. 500-46-000278-871, le 9
septembre 1987).
Le Code de procédure pénale a pris une orientation complètement différente. Dans tous les textes touchant l'octroi de frais, le Code se réfère constamment et systématiquement aux ....«frais dont le montant est fixé par règlement».... (arts 254, 265), aux ....«frais.... réduits au montant minimum fixé par règlement».... (art. 261), aux ....«frais fixés par règlement»....
(arts. 279, 280, 282, 289, 299, 311,....). Il paraît donc évident que, dans les cas où le juge a le pouvoir d'accorder les frais, il ne peut accorder que les montants prévus par le règlement et n'a plus la liberté qu'il avait auparavant de fixer lui-même cette somme.
La question n'est cependant pas entièrement résolue pour autant. Encore faut-il, en effet, que le juge jouisse de ce pouvoir d'accorder les frais fixés par règlement et, en la matière, le Code de procédure pénale prévoit des dispositions qui ne sont malheureusement pas d'une lumineuse clarté.
L'article 223 tout d'abord, dans ses deux premiers paragraphes, permet au juge de première instance de condamner le défendeur ou le poursuivant aux frais (mais dans ce dernier cas seulement si la poursuite est abusive ou manifestement mal fondée, ce qui est une dérogation au droit commun voulant que, sauf cas exceptionnels, la partie qui succombe acquitte les frais). Ce texte, notons-le, se trouve toutefois dans le chapitre VII portant sur le jugement de première instance et n'aborde pas le problème des frais en appel. C'est donc d'abord au chapitre XI touchant l'appel à la Cour supérieure, puis au chapitre XII portant sur l'appel à la Cour d'appel, que l'on doit chercher les dispositions applicables en l'espèce.
Devant la Cour supérieure, lorsque l'intimé fait une requête pour faire déclarer l'appel frivole, un premier texte, l'article 279 permet au juge de condamner la partie perdante aux frais fixés par règlement. Ce texte n'a pas de portée générale et ne touche que la requête en rejet d'appel. Le seul texte de portée générale est plutôt l'article 289 qui se lit comme suit:
« S'il rejette l'appel sur dossier, le juge peut, conformément à l'article 223, condamner l'appelant aux frais fixés par règlement pour la première instance et l'appel.
Notons le singularisme quelque peu étrange de ce texte. D'une part, il ne touche que l'appel sur dossier (ce qui est notre cas ici) et ne dit rien sur le cas de l'appel sur nouvelle instruction (de novo). D'autre part, il ne semble viser que l'hypothèse où la Cour supérieure rejette l'appel et aucunement de celui où elle l'accueille.
Pour ce qui est de notre Cour, l'article 311 prévoit la condamnation de l'appelante aux frais en cas de désistement d'appel. En outre, l'article 313 renvoit (mutatis mutandis) à l'article 289. Interprété littéralement et strictement ces textes signifierait donc que les juges du premier degré d'appel et notre Cour ne pourraient condamner le perdant aux frais que dans la seule et unique hypothèse où le perdant serait l'appelant et jamais si l'appel est accueilli. Il me paraît y avoir là une règle aberrante du droit commun et qui signifierait, en pratique, que l'appelant qui gagne son procès sur la condamnation ou sur la sentence devrait de toute façon être condamné aux frais de l'ensemble du processus (sauf pour ce qui est de la requête pour déclarer l'appel frivole et dilatoire). Un tel résultat ne peut avoir été voulu par le législateur.
L'article 313 renvoyant également aux dispositions de l'article 287 et imposant au juge de rendre le jugement qui «aurait dû être rendu en première instance, on peut certes se référer à ce texte pour ce qui est de fixer les frais de première instance. Dans notre cas, l'appelante aurait donc dû être condamnée à une amende de 350 $ et aux frais fixés par règlement.
Qu'en est-il cependant des frais d'appel en Cour supérieure et en Cour d'appel? Je pense que c'est la corrélation avec l'article 223 faite dans le corps du texte de l'article 289 qui donne la solution du problème. Ce texte, fort malhabile il est vrai, ne peut vouloir établir une règle générale à l'effet que la condamnation aux frais ne peut avoir lieu que si l'appel est rejeté. On arriverait alors à un résultat totalement incongru. La partie (supposons ici l'accusé en première instance) qui réussirait sur requête à l'article 279 à convaincre la Cour que l'appel (du poursuivant) est futile et dilatoire, de même que l'intimé (supposons encore ici l'accusé en première instance) qui voit l'appelant se désister (art. 311) aurait droit aux frais mais ce droit lui serait nié dans l'hypothèse où il gagnerait l'appel au fond. L'article 289, replacé dans son contexte, veut dire, à mon avis, que si l'appel est rejeté, le juge de la Cour supérieure peut condamner aux frais tant de la première instance que de l'appel. Il confère donc à ce juge le pouvoir de trancher en appel de la question des frais de première instance.
S'il accueille l'appel, il me paraît qu'alors, suivant la règle générale prévue à l'article 223, le juge peut condamner soit le défendeur, soit le poursuivant aux frais. Comme l'article 313 fait référence à ce même texte (art. 289) pour la Cour d'appel, j'en conclus que nous aussi avons le pouvoir d'adjuger les frais non seulement de la première instance, mais aussi de l'appel devant la Cour supérieure et devant notre Cour. Comme c'est l'intimée qui aurait dû succomber en Cour supérieure, n'eut été la double erreur du juge de cette Cour, et qui succombe devant nous, c'est l'intimée qui doit supporter les frais devant les deux instances d'appel, frais fixés par le règlement.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.