COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000247‑930
(500‑01‑003483‑929)
Le 13 novembre 1995
CORAM: LES HONORABLES GENDREAU
OTIS, JJ.C.A.
BIRON, J.C.A. (ad hoc)
SA MAJESTÉ LA REINE,
APPELANTE - poursuivante
c.
HERBERT JARVIS,
INTIMÉ - accusé
LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, prononcé le 15 juin 1993 par monsieur le juge Gaston Labrèche, déclarant l'accusé non coupable de l'accusation portée contre lui;
Après examen du dossier, audition, séance tenante;
L'intimé a été inculpé du crime suivant:
Le ou vers le 18 février 1992, à Pointe-Claire, district de Montréal, a eu en sa possession 8 gr. de cocaïne, commettant ainsi l'acte criminel prévu aux articles 4(2) et 4(3) de la Loi sur les stupéfiants.
Si l'intimé a été acquitté, c'est que le juge a fait droit à une requête pour faire écarter de la preuve, en application des articles 8 et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, la découverte dans la poche du pantalon de l'accusé, des 8 gr. de cocaïne en question.
Le juge a appuyé sa décision sur les considérations suivantes:
a) L'arrestation sans mandat de l'accusé pour les fins de l'interroger était illégale;
b) La fouille qui a suivi cette arrestation illégale ne pouvait être qu'abusive, en violation de l'art. 8 de la Charte des droits et libertés;
c) L'utilisation de la preuve ainsi obtenue est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
L'appelante fait valoir que l'arrestation était légale, tout comme la fouille consécutive à cette arrestation, de sorte qu'aucune violation du droit à la protection contre les fouilles abusives n'a été commise.
Le premier juge a résumé les faits mis en preuve devant lui de la façon suivante, (m.a. p. 28 et 29):
La preuve globale a révélé qu'une quinzaine de jours avant le 18 février 1992 le propriétaire du locataire Herbert Jarvis a déposé une plainte de vol d'un bain tourbillon et de certains autres objets. L'enquête a permis de découvrir que les objets auraient été amenés ailleurs avec la complicité de l'accusé.
Le 18 février, sur les instructions de l'enquêteur au dossier, le constable Blais se présente à un bar où l'accusé était présent. Il lui demande de s'identifier. Il l'invite à l'extérieur et il lui donne les motifs d'arrestation, lui fait part de ses droits constitutionnels et lui fait une mise en garde et s'apprête à le fouiller tout en lui demandant «Am I gone (sic) to find something on you?» La réponse a été «You will find a lot.» Effectivement, 8 grammes de cocaïne répartis dans différents sachets ont été trouvés dans la poche droite de son pantalon. (soulignements ajoutés)
Il y a lieu de compléter cet exposé en y ajoutant les quelques éléments suivants:
a) Le propriétaire des biens volés avait déposé une plainte de vol contre l'accusé;
b) Le policier enquêteur Payette avait tenté de rejoindre Jarvis, mais sans succès;
c) Payette a demandé au policier Sylvain Blais d'arrêter Jarvis, s'il le voyait, pour continuer l'enquête;
d) Blais a dit à Jarvis qu'il l'arrêtait pour le vol des articles en question;
e) Blais a fouillé Jarvis pour voir s'il avait un couteau «ou quelque chose».
L'art. 495 du Code criminel prévoit:
(1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat:
a)une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;
Le juge a conclu à l'arrestation illégale parce que, a-t-il dit (m.a. p. 29):
Contre-interrogé pour savoir s'il avait un mandat pour procéder ainsi à l'arrestation de l'accusé, le constable Blais a répondu qu'il n'en avait pas et que l'accusé était recherché pour être interrogé. Cette réponse clôt le débat sur la question de la légalité de l'arrestation.
Dans l'arrêt R. c. Storrey, [1990], 1 R.C.S. 241, à la p. 249, le juge Cory pose le principe que:
Dans le cas d'une arrestation sans mandat, il importe encore davantage que la police établisse l'existence de ces mêmes motifs raisonnables et probables justifiant l'arrestation.
Dans l'arrêt Perreault c. R., (C.A.) [1992], R.J.Q. 1848, le juge Nichols qui a rendu le jugement, écrit à la page 1851, après avoir fait référence au principe posé par le juge Cory dans l'arrêt Storrey:
Dans le cas de l'arrestation avec mandat, l'agent de la paix soumet ses motifs à un officier de justice qui a pour fonction d'en apprécier la raisonnabilité et la probabilité. Dans le cas de l'arrestation sans mandat, c'est l'agent lui-même qui est appelé à porter un jugement de valeur sur la vertu de ses motifs. C'est en ce sens que je crois comprendre la distinction qu'a voulu faire le juge Cory lorsqu'il écrit que les motifs doivent davantage être raisonnables et probables quand un agent de la paix effectue une arrestation sans mandat. La rigueur dont fait preuve l'agent doit être encore plus évidente et, lorsqu'un tribunal est appelé par la suite à apprécier les motifs d'une arrestation sans mandat, il est davantage important qu'il s'assure de la raisonnabilité et probabilité des motifs sur lesquels l'agent de la paix s'est appuyé pour agir.
Dans le cas sous étude, le juge a conclu à l'illégalité de l'arrestation parce que la police voulait continuer son enquête. Or, dans l'arrêt R. c. Storrey, précité, le juge Cory pose le principe applicable à l'espèce (à la p. 253):
Cette déclaration ne fait que confirmer qu'une arrestation par ailleurs illégale ne saurait se justifier pour le motif qu'il était nécessaire d'y procéder pour continuer l'enquête sur le crime en question. Il ne faut pas y voir l'énoncé d'un principe portant que, chaque fois qu'une arrestation légale s'effectue dans des circonstances où la police a l'intention de poursuivre son enquête, cette arrestation devrait alors être considérée comme ayant été effectuée dans un dessein illégitime.
Ici, vu les faits ci-haut relatés, le policier Blais avait des motifs raisonnables et probables de croire que l'intimé avait commis le vol des meubles de son locateur, ce que le juge reconnait d'ailleurs. Il était donc justifié de procéder à son arrestation sans mandat, et cette arrestation n'est pas devenue illégale parce que la police avait l'intention de continuer son enquête.
Quant à la fouille elle-même, le policier y a procédé, afin de s'assurer que Jarvis n'avait pas de couteau dissimulé sur lui. La fouille se justifiait d'autant plus que Jarvis, en réponse à la question «Am I gone (sic) to find something on you?» lui avait déclaré: «you wil find a lot», ce qui n'excluait pas une arme.
La Cour Suprême a reconnu en effet, dans l'arrêt Cloutier c. Langlois, [1990], 1 R.C.S. 158, qu'en vertu de la common law, un policier peut procéder à la fouille sommaire d'une personne légalement mise en état d'arrestation.
La fouille visait donc un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle et elle n'était pas abusive au sens de l'art. 8 de la Charte.
Il y a donc lieu d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.
POUR CES MOTIFS:
ACCUEILLE l'appel;
Casse le jugement du 15 juin 1993;
ORDONNE la tenue d'un nouveau procès sur l'accusation telle que portée contre l'intimé.
PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.
LOUISE OTIS, J.C.A.
ANDRE BIRON, J.C.A. (ad hoc)
Me Stella Gabbino
Procureure de l'appelante
Me Danielle Girard,
Procureure de l'intimé
Audition: 13 novembre 1995