COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

No: 200‑10‑000187‑901

   (400‑01‑002767‑887)

 

 

 

Le 22 juin 1993.

 

 

CORAM: LES HONORABLES  PROULX

                       ROUSSEAU-HOULE

                       DELISLE, JJ.C.A.

 

 

                                            

 

 

GEORGES PETERSON,

 

          APPELANT - accusé,

 

 

c.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

          INTIMÉE - poursuivante. 

 

                                            

 

 

                              LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement prononcé le 1er octobre 1990 par l'honorable Jean Drouin de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Trois-Rivières, qui a reconnu l'appelant coupable des infractions suivantes:

 

      «1. Le ou vers le 8 juillet 1988, à Mont-Carmel, district de Trois-Rivières, Georges PETERSON, 65 Chauveau à Cap-de-la-Madeleine, a conduit un véhicule à moteur de marque Toyota 1985, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue et a causé par là la mort de Jean-Guy Perreault, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 255(3) du Code criminel.

 

 

      2. Le ou vers le 8 juillet 1988, à Mont-Carmel, district de Trois-Rivières, Georges PETERSON, 65 Chauveau à Cap-de-la-Madeleine, a conduit un véhicule à moteur de marque Toyota 1985, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue et a causé par là des lésions corporelles à Marcel Demers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 255(2) du Code criminel.»

 

 

 

                            Après étude du dossier, audition et délibéré;

 

 

                            Pour les motifs exprimés dans l'opinion ci-annexée de monsieur le juge Jacques Delisle, à laquelle souscrivent monsieur le juge Michel Proulx et madame la juge Thérèse Rousseau-Houle:

 

                            ACCUEILLE l'appel;

 

                            INFIRME le jugement de première instance;

 

                            ANNULE la condamnation;

 

 

                            ORDONNE l'inscription d'un jugement d'acquittement sur les deux infractions reprochées.

 

 

 

                                                                                                    ________________________________

                                                                              MICHEL PROULX, J.C.A.

 

 

 

 

                                                                                                    ________________________________

                                                                              THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE, J.C.A.

 

 

 

 

                                                                                                    ________________________________

                                                                              JACQUES DELISLE, J.C.A.

 

 

 

Me Maurice Biron

Procureur de l'appelant

 

Me Jacques Trudel

Procureur de l'intimée

 

Date de l'audition: le 25 mars 1993


                      COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

No: 200‑10‑000187‑901

   (400‑01‑002767‑887)

 

 

 

 

CORAM: LES HONORABLES  PROULX

                       ROUSSEAU-HOULE

                       DELISLE, JJ.C.A.

 

 

                                            

 

 

GEORGES PETERSON,

 

          APPELANT - accusé,

 

 

c.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

          INTIMÉE - poursuivante. 

 

                                            

 

                                                          OPINION DU JUGE DELISLE

                                                          _______________________

 

                            L'appelant a été reconnu coupable, à la suite d'un procès devant un juge seul, des infractions suivantes:

 

      «1. Le ou vers le 8 juillet 1988, à Mont-Carmel, district de Trois-Rivières, Georges PETERSON, 65 Chauveau à Cap-de-la-Madeleine, a conduit un véhicule à moteur de marque Toyota 1985, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue et a causé par là la mort de Jean-Guy Perreault, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 255(3) du Code criminel.

 

      2. Le ou vers le 8 juillet 1988, à Mont-Carmel, district de Trois-Rivières, Georges PETERSON, 65 Chauveau à Cap-de-la-Madeleine, a conduit un véhicule à moteur de marque Toyota 1985, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue et a causé par là des lésions corporelles à Marcel Demers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 255(2) du Code criminel.»

 

 

 

                            L'appelant se pourvoit contre le verdict de culpabilité, en invoquant les moyens suivants (m.a. 4):

 

      «A) L'Honorable Juge de première instance a admis en preuve une déclaration verbale de l'accusé alors que l'accusé n'avait pas été informé et/ou avait été mal informé d'avoir recours sans délai aux services d'un avocat;

 

      B) Le Juge de première instance a admis en preuve l'échantillon de sang prélevé de l'accusé alors que ce dernier n'avait pas été informé et/ou avait été mal informé qu'il avait droit, sans délai, aux services d'un avocat;

 

      C) Le Juge de première instance a donné une force probante aux échantillons de sang prélevés de l'accusé et contenus dans des contenants où se trouvait également une substance étrangère, se basant sur l'article 258 du Code criminel, alors que ledit article ne pouvait s'appliquer, l'échantillon de sang ayant été prélevé plus de deux heures après l'infraction alléguée;

 

      D) Le Juge de première instance a déclaré l'accusé coupable sur la foi du témoignage d'un expert qui n'avait pas assez d'éléments pour établir le taux d'alcoolémie lors de l'accident;

 

      E) L'Honorable Juge de première instance a erré en faits et en droit en concluant que la chaîne de possession pour analyse de l'échantillon de sang avait été légalement prouvée.»

 

 

 

LES FAITS

 

                            Les faits, à la base du présent litige, sont les suivants:

 

1.   Le 8 juillet 1988, vers 22h40, alors que l'appelant circulait en direction sud sur la route 157, à Mont-Carmel, district de Trois-Rivières, il a soudainement bifurqué à gauche, coupant ainsi le chemin à un véhicule automobile venant en sens inverse, conduit par un dénommé Marcel Demers;

 

2.   Il s'en est suivi une collision entre les deux véhicules, entraînant la mort de Jean-Guy Perreault, passager dans le véhicule conduit par Marcel Demers;

 

3.   Les agents Lanteigne et Michaud, de la Sûreté du Québec, arrivés sur les lieux de l'accident à 23h40, - ils resteront sous l'impression que l'accident est arrivé à 23h25 - ont découvert l'appelant gisant à terre, près d'un véhicule automobile; il se plaignait beaucoup et les agents ont constaté qu'il dégageait une odeur d'alcool et qu'il avait les yeux rouges et vitreux;

4.   L'appelant a été transporté en ambulance à un hôpital où, à 1h00, l'agent Lanteigne l'a sommé de fournir un échantillon de sang; il est admis que les conditions requises à cette fin par l'article 254(4) C.cr. ont été respectées (m.i. 14);

 

5.   Simultanément à cette sommation, l'agent Lanteigne a dit à l'appelant:

 

      «... par contre je dois te dire que t'as le droit à un avocat, mais pour l'instant je peux pas t'en fournir; j'ai pas de téléphone ici autour; j'ai rien autour de moi pour te fournir ce service-là.

                  -----

                  -----

      que tu pourras en consulter un le plus tôt possible à ta sortie de l'hôpital...»

 

 

 

6.   Un prélèvement sanguin a effectivement été fait à 1h16.

 

                            L'appelant plaide qu'il y a eu violation du droit prévu à l'article 10(b) de la Charte des droits et libertés et que partant, en vertu de l'article 24(2) de la même Charte, le résultat du test sanguin doit être exclu de la preuve.

 

LES ARTICLES 10(B) ET 24(2) DE LA

CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS____

 

                            L'article 10(b) de la Charte reconnaît à "chacun ... le droit, en cas d'arrestation ou de détention:

                  (a) ...;

      (b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

 

                  (c) ..."

 

                            Il n'est pas contesté que dès que l'appelant a été sommé de fournir un échantillon de son sang, il était en état d'arrestation ou de détention (m.i. 15; R. c. Therens [1985] 1 R.C.S. 613). Dès lors, il devait être adéquatement informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. L'agent Lanteigne n'avait pas de formule sacramentelle à utiliser à cette fin. Les mots employés devaient cependant véhiculer clairement chez l'appelant le message que c'était son droit propre de contacter sans délai un avocat et qu'on devait lui fournir l'opportunité de ce faire.

 

                            Ici, les mots utilisés par l'agent Lanteigne laissaient nettement entendre, premièrement, que c'était lui qui devait procurer un avocat à l'appelant ("... pour l'instant, je peux pas t'en fournir...) et, deuxièmement, ne mettaient aucunement l'accent sur le recours sans délai à l'avocat ("... que tu pourras en consulter un le plus tôt possible à ta sortie de l'hôpital...").

 

                           

                            Il ne peut être, ici, question de renonciation par l'appelant, même implicitement (R. c. Mannimen, [1987] 1 R.C.S. 1235) du droit reconnu à l'appelant par l'article 10(b) de la Charte, puisque ce droit ne lui a jamais été communiqué d'une façon acceptable. Même le geste posé spontanément par l'appelant de tendre le bras immédiatement après avoir été sommé de fournir un échantillon de sang ne peut, dans ces circonstances, être retenu.

 

                            Je ne mets nullement en doute la bonne foi de l'agent Lanteigne. Il s'est tout simplement laissé subjuguer par les deux facteurs suivants:

 

a)   croyant, tel que mentionné plus haut, que l'accident était arrivé à 23h25, il se sentait pressé d'agir dans les deux heures prévues à l'article 254(3) C.cr.; et

 

b)   une investigation incomplète de sa part sur la possibilité de pousser, dans une pièce attenante à celle où se trouvait l'appelant, équipée celle-là d'un téléphone, le lit roulant où reposait l'appelant, afin de lui permettre de contacter un avocat.

 

                            Le contre-interrogatoire de l'agent Lanteigne révèle ceci sur ce dernier point (m.a. 52):

 

      «Q. Est-ce que vous vous êtes informé auprès du médecin pour le déplacer à côté là dans une salle où ce qu'y avait un téléphone?

 

      R. Le docteur e... "Kouska" m'a mentionné qu'elle pouvait pas le déplacer.

 

      Q. Est-ce que vous vous êtes informé vous?

 

      R. J'y ai parlé quand j'y ai demandé de, de déplacer e... pour l'amener e... pour un test d'ivessomètre, ç'a pas... dit qu'y avait plusieurs tests à passer encore.

 

      Q. O.K. mais ça c'est pour l'ivressomètre ça, je parle seulement le déplacer dans une autre salle là où dans une salle où ce qu'y avait un téléphone?

 

      R. J'ai, j'ai pas parlé du docteur pour ça à m'a simplement dit qu'à pouvait pas le déplacer donc j'ai tenu compte... (inaudible).

 

      Q. Mais ça c'était pour l'ivressomètre ça c'est pour aller le faire souffler ça la?

 

      R. Non c'est pour toute l'ensemble monsieur c'est e... à pouvait pas le déplacer.

 

                  PAR LA COUR

 

      Alors pouvez-vous élaborer davantage si, si elle a dit autre chose, relativement à cette impossibilité de déplacer comment c'est venu ça dans la conversation?

 

      PAR LE TÉMOIN

 

      R. C'est que moi au début je suis arrivé pis e... je lui ai demandé j'ai, je m'enquiérais du temps et si je pouvais l'amener et si, la réponse ça été négative.

 

                  PAR LA COUR

 

      Q. L'amener où?

 

                  PAR LE TÉMOIN

 

      R. Au poste de la Sûreté du Québec.

                  PAR LA COUR

 

      Q. O.K.

 

                  PAR LE TÉMOIN

 

      R. Devant cette impossibilité-là à ce moment-là j'ai demandé pour le, le test sanguin si y avait danger pour sa vie des choses de même et elle m'a dit que y avaient plusieurs tests à faire encore donc y pouvaient pas le déplacer.»

                  (soulignement ajouté)

 

                            Ce passage de la preuve souligne clairement que l'agent Lanteigne ne s'est pas expressément informé de la possibilité de déplacer l'appelant dans une pièce attenante à celle où celui-ci se trouvait. Il ne suffit pas que l'agent Lanteigne ait tiré sa propre déduction de la remarque du médecin traitant que l'appelant ne pouvait pas être déplacé, dans l'optique où celle-là n'a pas été adéquatement informée de la portée du déplacement requis.

 

                            Je conclus qu'il y a eu violation du droit reconnu à l'appelant par l'article 10(b) de la Charte.

 

                            Il s'agit maintenant de décider si les éléments de preuve obtenus à la suite de cette violation doivent être écartés parce que, eu égard aux circonstances, leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice (art. 24(2) de la Charte).

 

                            Ces éléments de preuve sont les suivants:

 

a)   la déclaration ci-après faite par l'appelant à l'agent Lanteigne au moment où celui-ci le somme de fournir un échantillon de sang:

 

      «Si c'est l'alcool qui cause tout ça, je suis prêt à en subir les conséquences, c'est pas excusable.»

 

 

 

b) les résultats des analyses des échantillons de sang.

 

                            Je ne m'attarde pas au premier de ces éléments de preuve, les paroles de l'appelant ne signifiant pas autre chose qu'une référence aux résultats des analyses de son sang.

 

                            C'est au sujet de ceux-ci que la question se pose.

 

                            Dans l'arrêt Dubois c. R., [1990] R.J.Q. 681 (C.A.), monsieur le juge Fish a écrit (p. 701):

 

      «9. Because of the fundamental importance of the right to counsel in the administration of criminal justice, violation of section 10(b) will generally result in exclusion under section 24 paragraph 2 of evidence closely connected with the violation. Exclusion, however, is not automatic.

 

      10. In each case, the Court must determine whether it is satisfied that admission of the evidence could - and not necessarily would - bring the administration of justice into disrepute. The test is not what the "public in general" or even a majority of the population might think. Rather, the judge himself or herself, examining all the circumstances carefully and impartially, must decide whether a reasonable person who understands the significance of the violation and the basic precepts of our system of justice would consider admission or exclusion the greater evil.

 

      11. Though it is important to consider the circumstances of each case, it is not the outcome of the case itself that is of prime importance, but the effect of admission or exclusion on our system of justice over time.»

 

                            Pour déterminer, en accord avec l'article 24(2) de la Charte, si les preuves obtenues en violation d'un droit constitutionnel doivent être écartées, il faut tenir compte, selon l'enseignement récent (R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24 et R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595), des facteurs suivants:

 

                  a) l'équité du procès;

 

                  b) la gravité de la violation; et

 

                  c) l'effet de l'exclusion des éléments de preuve.

 

                            Les deux premiers facteurs constituent des moyens facultatifs d'écarter la preuve, non de l'admettre (R. c. Elshaw, précité).

 

                 

                            Au soutien de l'admission en preuve des résultats des analyses de sang, le procureur de l'intimée plaide, entre autres (m.i. 19):

 

      «A) ÉQUITÉ DU PROCÈS

 

      Il est pertinent de rappeler ici que l'appelant était tenu sous peine d'être poursuivi pour une autre infraction, de remettre un échantillon sanguin (art. 254 C.cr.). Toutes les circonstances et conditions préalables au pouvoir du policier de sommer l'appelant étaient existantes. D'ailleurs cette question n'a fait l'objet d'aucune contestation par l'appelant.

 

      Nous croyons être justifiés de présumer que même si l'appelant avait voulu appeler un avocat et qu'en fait il en avait consulté un, il aurait remis les échantillons de sang requis. Il nous apparaît également justifié de présumer que dans les circonstances de la présente affaire, un avocat aurait conseillé à l'appelant de se soumettre à la sommation tout au moins aurait-il informé l'appelant qu'il commettait une autre infraction s'il ne se conformait pas à l'ordre du policier.»

 

 

 

                            La réponse à cet argument se retrouve dans le passage suivant des notes de madame la juge Wilson:

 

                            a) dans l'arrêt R. v. Black, [1989] 70 C.R. 97 (C.S.C.) (p. 109):

 

      «... In my opinion, it is improper for a court to speculate about the type of legal advice which would have been given had the accused actually succeeded in contacting counsel after the charge was changed. If the Crown's argument on this point were sound, each time an accused was asked to blow into a breathalyzer there would be no need to advise the accused of his s. 10(b) rights, since it might be assumed that counsel would advise the accused that he should submit to the breathalyzer on the basis that failure to do so constitutes a criminal offence. Such reasoning runs directly afoul of this court's judgments in R. v. Therens, [1985] 1 S.C.R. 613, 45 C.R. (3d) 97, [1985] 4 W.W.R. 286, 32 M.V.R. 153, 18 C.C.C. (3d) 481, 18 D.L.R. (4th) 665, 13 C.R.R. 193, 40 Sask. R. 122, 59 N.R. 122, and Trask v. R., [1985] 1 S.C.R. 655, 45 C.R. (3d) 137, 18 C.C.C. (3d) 514, 19 D.L.R. (4th) 123, 54 Nfld & P.E.I.R. 221, 160 A.P.R. 221, 59 N.R. 145 [Nfld]. It also totally defeats the purpose of s. 10(b).»

 

                            b) dans l'arrêt R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140 (p. 1162):

 

      «... Counsel's role, therefore, is not limited to advising a suspect of his or her options where such options exist. It is broader than that.»

 

 

 

 

                            Comme il n'y a, dans le présent cas, aucune circonstance particulière (R. c. Tremblay, [1988] 37 C.C.C. 565 (C.S.C.); R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537; R. c. Mohl, [1989] 47 C.C.C. 575 (C.S.C.); R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368) permettant de ne pas appliquer la règle posée dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, et considérant tant l'équité du procès que la gravité de la violation, je conclus que l'admission, en preuve, des résultats des analyses de sang serait de nature à déconsidérer l'administration de la justice.

 

                            Cette conclusion ne dispose cependant pas du dossier. Il y a lieu de déterminer si la preuve, une fois dépouillée de ses éléments obtenus en violation de l'article 10(b) de la Charte, pourrait raisonnablement justifier une déclaration de culpabilité. Comme monsieur le juge Sopinka l'a affirmé dans l'arrêt R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, dans les cas où la Cour d'appel constate une erreur de droit qui a entraîné l'utilisation d'éléments de preuve jugés inadmissibles (p. 914):

 

      «... la cour d'appel n'a pas le pouvoir de déclarer quelqu'un coupable, en fonction de sa propre opinion, à moins que le ministère public ne se soit acquitté du fardeau de prouver que le verdict aurait nécessairement été le même si les éléments de preuve contestés n'avaient pas été utilisés. Si cette preuve n'est pas faite, la cour d'appel doit soit acquitter l'accusé, soit ordonner un nouveau procès s'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour qu'un jury, ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement, puisse déclarer l'accusé coupable.»

 

                            Le dossier contient les éléments suivants de preuve, qui existaient avant ladite violation, indépendamment de celle-ci:

 

 

a)   les constatations faites par les policiers sur les lieux mêmes de l'accident quant à certaines caractéristiques que présentait l'appelant: senteur d'alcool et yeux rouges et vitreux;

 

b)   les paroles suivantes dites par l'appelant à Dame Micheline Pruneau, une parente, sur les lieux de l'accident:

 

      «Va chercher ma sacoche dans l'auto; je reviens d'un 5 à 7 et j'étais  fatigué.»

 

                            C'est à bon droit que le juge de première instance a considéré cette déclaration comme étant spontanée et qu'il l'a admise en preuve.

 

c)   les circonstances mêmes de l'accident, au sujet desquelles aucune explication n'a été fournie par l'appelant, celui-ci ayant choisi de ne pas témoigner.

 

                            Comme l'élément essentiel des infractions reprochées réside dans la conduite en état de facultés affaiblies par l'alcool, ayant causé par là le décès d'une personne et des lésions corporelles à une autre, j'estime qu'un jury, sur la base des éléments de preuve qui subsistent au dossier, et ayant reçu des directives appropriées, n'aurait pu qu'en arriver à la conclusion d'un verdict d'acquittement.

 

                            Pour ces motifs, je conclus au maintien de l'appel, à l'annulation de la condamnation et à l'inscription d'un jugement d'acquittement.

 

 

 

 

                                                                                                    ________________________________

                                                                              JACQUES DELISLE, J.C.A.