COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-10-000175-922
(160-01-000034-926)
CORAM: LES HONORABLES PROULX
CHAMBERLAND, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
BENOIT GIRARD,
APPELANT - accusé
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - poursuivante
OPINION DU JUGE PROULX
Dans
la soirée du 2 janvier 1992, l'appelant se rend à la résidence de monsieur et
madame Lindsay à Ste-Monique, dans la région d'Alma, en compagnie de Daniel
Tremblay et Marc Simard, avec qui il a projeté un vol qualifié. Cette aventure
se terminera par la mort des époux Lindsay.
En
entrant chez les Lindsay, Simard, qui porte l'arme à feu chargée que lui a
fournie l'appelant, voit monsieur Lindsayqui se précipite vers lui pour lui
disputer le contrôle de l'arme à feu. Une bousculade s'ensuit entre les deux,
au cours de laquelle l'appelant vient prêter main forte à son ami, dans les
circonstances que je préciserai plus tard dans ma discussion des moyens
d'appel.
Les
seuls témoins oculaires du drame sont Tremblay, qui a témoigné en poursuite
mais qui a été déclaré témoin hostile, et l'appelant qui s'est fait entendre en
défense, tout en étant confronté à une déclaration antérieure donnée aux
policiers.
Au
procès, l'appelant est jugé seul: Tremblay a déjà été déclaré coupable des deux
meurtres. L'appelant répond de deux accusations de meurtre au premier degré,
subséquemment réduites à un deuxième degré au cours du procès, de complot pour
vol qualifié, de vol qualifié, de déguisement et d'utilisation d'une arme à
feu. Il est déclaré coupable de toutes ces accusations mais ne se pourvoit
devant cette cour que contre les verdicts de meurtre au deuxième degré ainsi
que contre la décision du juge quant à la fixation du délai préalable à la
libération conditionnelle à une période de douze ans.
Divers
moyens d'appel sont invoqués par l'appelant. Je n'en retiens que trois pour
disposer de ce pourvoi, soit des erreurs du premier juge dans ses directives au
jury (1) sur ledoute raisonnable et la norme de preuve, (2) sur le meurtre et
(3) sur l'homicide involontaire coupable.
1er moyen: Le doute raisonnable
La directive
Dans
ses directives au jury, le premier juge a défini comme suit le doute
raisonnable:
À plusieurs reprises depuis le début de ce procès, vous m'avez entendu employer, de même que les procureurs, l'expression «doute raisonnable». Je l'emploierai encore souvent cette expression avant la fin de mes directives. Qu'est-ce donc, me direz- vous, ou me demanderez-vous. Vous pouvez écrire si vous voulez, mais la définition et les explications que je vais vous donner vont être tellement longues, j'aime toujours ça en mettre plus que moins, que je crois pas que ce soit bien nécessaire que vous écriviez ce que je vais vous dire au sujet du doute raisonnable, je pense que vous allez bien le comprendre avec vos seules deux (2) oreilles et votre intelligence et si ça fait problème, vous me le direz. Qu'est-ce donc que ce doute raisonnable en question? Vous avez remarqué que je n'ai jamais employé le mot «doute» tout seul, je l'ai toujours employé ce mot «doute» avec accolé à lui le mot ou l'adjectif «raisonnable».
Le doute raisonnable, c'est le doute sérieux, réfléchi, pensé. Je pense que vous en avez une assez juste idée, mais c'est mon devoir de vous le définir et de vous l'expliquer et c'est évidemment, vous le comprenez, une directive en droit. Alors, c'est un doute sérieux, réfléchi, pensé. Et je vais tout de suite, je brûle tout de suite les étapes en vous disant que lorsque je dis «pensé» et que j'indique mon cerveau, je n'indique pas mon coeur.
Ca va? On se comprend? Bon. D'ailleurs, le mot le dit,
«raisonnable» c'est le doute de la raison, c'est le doute qui fait l'objet ou
qui fait suite au raisonnement et à la discussion pondérée dans l'esprit de
tout homme ou de toute femme normal(e), honnête, sérieux(se) et impartial(e).
C'est le doute qui subsiste dans l'esprit, qui trouble l'esprit, qui dérange
l'esprit une fois que l'on a analysé, honnêtement, que l'on a évalué impartialement
la force probante de deux (2) thèses qui se confrontent. Il va sans dire qu'un
tel doute, celui que la loi appelle le «doute raisonnable», ne doit pas être
confondu avec cet autre doute qui, celui-là, est de nature frivole, légère,
irréfléchie, superficielle, fantaisiste ou qui repose sur les seules intuitions
ou sur les seules hypothèses ou sur les seuls caprices ou sur la pure
spéculation ou sur la simple imagination et qu'à peu près tout le monde éprouve
ou ressent dans la vie au sujet d'à peu près n'importe quoi et en se fondant...
en ne se fondant sur rien de sérieux ou de réfléchi, et surtout pas sur la
preuve. Cet autre doute dont je parle depuis quelques instants, ce doute léger,
folichon, fantaisiste, certains l'appellent aussi un doute d'accommodement.
Vous savez ce que veut dire l'accommodement, quand on dit: je veux m'accommoder
de quelque chose? Doute d'accommodement, comme si on voulait se donner bonne
conscience pour chercher derrière ce doute un refuge hypocrite quand on veut
fuir ou échapper à nos responsabilités. Cet autre doute qui n'est pas le doute
raisonnable, ce doute folichon, léger et superficiel, fantaisiste dont je vous
parle depuis quelques instants, il se traduit bien dans le langage de chez nous
par des expressions que vous avez déjà entendues dans la bouche de ceux qui
l'ont cet espèce de doute folichon. Vous entendrez les gens à propos d'un sujet
quelconque qu'on porte à leur attention, vous entendrez des gens dire: ça se
pourrait-y que... 'tête ben, vous avez déjà entendu 'tête ben que, en supposant
que, tout à coup, les gens disent: tout à coup ça serait telle chose, ou
encore: si par hasard, oui, mais si par hasard... ça, ce sont tous des mots qui
expriment bien, qui traduisent bien ce doute léger que vous devez oublier, et
vite. En d'autres termes, le doute raisonnable, lui, contrairement à cet autre
doute léger dont je viens tout juste de parler, le doute raisonnable c'est
celui qui retient un individu, celuiqui empêche un individu d'en arriver à une
conclusion ferme dans un procès suite aux démonstrations qui lui ont été
fournies à cet individu dans un sens ou dans l'autre, de part et d'autre. C'est
ce doute, le doute raisonnable, qui résiste à l'analyse sérieuse, c'est ce
doute honnête qui ne vous quitte pas, qui vous poursuit toujours, qui vous
harcèle, ce doute qui vous tiraille l'esprit et qui vous empêche d'en arriver à
une conclusion ferme dans un procès. Rappelez-vous ceci, si un tel doute quant
à la culpabilité de l'accusé, le doute raisonnable, le doute raisonnable et non
pas le doute d'accommodement, si un tel doute est ancré en vous et subsiste et
résiste à une analyse sérieuse, honnête et approfondie de votre part une fois
que vous avez analysé, scruté, pesé la preuve et toute la preuve, alors, si
vous gardez ce doute qui ne vous quitte pas, certains ont même déjà dit ce
doute qui empêche de manger ou qui empêche de dormir, si vous le gardez ce
doute qui obstinément est ancré en vous et ne vous lâche pas, vous devez, je
dis bien vous devez, et ce n'est pas la dernière fois que j'emploierai le mot,
vous devez en faire profiter, en faire bénéficier à l'accusé. Ça va pour ça?
Au
lieu d'enchaîner immédiatement sur la norme de preuve, ce n'est que plus loin
que le premier juge a abordé ce sujet sous l'angle du degré de certitude requis
pour déclarer l'accusé coupable:
Une autre façon de poser la question c'est la suivante: quel degré de certitude nous, les jurés, devons-nous avoir pour être en mesure de trouver l'accusé coupable. Est-ce que c'est vrai, ça? C'est une question qui... est-ce qu'elle vous intéresse cette question-là?
UN MEMBRE DU JURY:
Oui.
LA COUR:
Hum? Comme jurés? Et la même question les juges se la posent, hein, quand les juges sont seuls et sans jurés. Quel degré de certitude devons-nous avoir pour être en mesure de trouver un accusé coupable? Réponse: la force probante, le poids des deux (2) sortes de preuve, dont je viens de parler, doivent être tels qu'elle vous donne la certitude au- delà d'un doute raisonnable et non au-delà d'un doute fantaisiste, Ça va, la certitude que l'accusé est coupable de l'un ou l'autre crime que je vous ai longuement définis, sans oublier évidemment le principal, le crime de meurtre. Mais attention, et c'est là que je veux qu'on s'écoute comme il faut, et, c'est pas compliqué ce que je vais vous dire, c'est du bon vieux gros bon sens. Attention. Il y a certitude et certitude, il faut s'entendre sur le mot «certitude». Comprenez immédiatement qu'on parle ici de certitude morale et non de certitude absolue. Et quand je dis «certitude absolue», je pourrais vous dire et non de certitude divine, celle que seul Dieu possède. Dieu, si vous y croyez, sait de toute éternité tout ce qui est arrivé, tout ce qui arrive et tout ce qui va arriver à tout le monde partout et en même temps. Ça, c'est la certitude de Dieu. Il sait tout de tout temps et partout. La certitude que vous devez avoir, c'est pas celle-là, je veux pas avoir douze (12) personnes divines devant moi d'ici la fin de ce procès. Alors, quand je dis que c'est pas la certitude absolue que vous devez avoir, je l'ai comparée la certitude absolue à celle de Dieu, à celle du Créateur, je pourrais également dire et non pas non plus davantage la certitude mathématique. C'est pas ça que vous devez voir. Vous savez qu'en vertu de la certitude mathématique, deux (2) et deux (2) font quatre (4), correct, n'importe où dans le monde, que les chiffres soient faits en chiffres arabes ou chinois ou dans les Iles Moucmouc ou a St-Adelphe, deux (2) et deux(2) ça fait toujours quatre (4) partout. J'étais à Rouyn-Noranda, j'étais tellement pris dans le vif de mon sujet et je pense que les gens dans la salle étaient aussi pris par ça puis ils écoutaient attentivement que dans ma brillance, j'ai été dire que partout dans le monde deux (2) et deux (2) faisaient cinq (5). Personne a réagi. Sauf à un moment donné un bon vieux gardien de la paix qui était au fond de la salle en arrière, qui commence à
me faire ça comme ça, il me distrayait l'animal, je continuais
puis il me faisait signe puis je revenais sur mon deux (2) et deux (2) fait
cinq (5), puis il s'est mis à me tanner, j'ai dit: «Voulez-vous venir en avant,
vous»? Je le fais venir en avant, j'ai dit: «Qu'est-ce qu'il y a? Avez-vous,
des mouches?» Il dit: «Son Honneur, êtes-vous bien sûr que ça fait cinq (5)?»
Lui, il avait... lui, il veillait au grain. Alors, deux (2) et deux j(2) dans
le monde ça fait toujours quatre (4), ça, c'est la certitude mathématique qu'on
exige pas des jurés. Et pourquoi on exige pas ça de vous? Parce que si la loi
exigeait que la certitude des jurés soit absolue comme celle de Dieu ou soit
mathématique et pas seulement morale, la loi serait mal faite. En effet, il
serait alors inutile, sinon impossible de tenir des procès dans ce pays puisque
personne ne pourrait jamais être condamné si on demandait la certitude
mathématique, personne ne pourrait jamais être condamné à moins d'avoir et de
montrer aux jurés un film tourné par la télévision ou une photographie prise
montrant l'accusé au moment précis où il commet son meurtre, son viol, son vol
ou sa fraude. Et même là, votre certitude ne pourrait pas toujours être absolue
comme celle de Dieu, puisque je vous apprends pas qu'un film ou une photo ça
peut se truquer, ça peut être truqué. Alors, je vous dis non, vous devez être
certains, être sûrs au-delà du doute raisonnable avec une certitude morale mais
pas au point d'atteindre la certitude fatale, absolue, divine ou mathématique.
Correct?
II - À la recherche d'une définition
Qui
pourrait croire que plus de cent ans d'application au Canada d'un principe
aussi fondamental que le doute raisonnable, n'ont pas encore permis de faire
l'unanimité sur une définition exacte, claire et concise, dans les directives
au jury, avec les conséquences très coûteuses qu'entraînent, pour
l'administrationde la justice et les individus qui en paient les frais, ces
nouveaux procès ordonnés en raison d'une directive erronée.
Dans
le même sens que la Cour Suprême des États-Unis, qui en 1993(1) a affirmé qu'une
directive erronée sur le doute raisonnable constituait un vice fatal («which vitiates
all the jury's findings»), la Cour Suprême du Canada, par la voix de son juge
en chef, dans l'arrêt R. v. Brydon, [1995] 4 R.C.S. 253 , s'est
interrogée sur l'application de la disposition curative à ce type d'erreur. Il écrit, à la page 257:
I would further add that I have some reservations as to whether s. 686(1)(b)(iii) would ever be available to cure an erroneous instruction which may have misled a jury into improperly applying the burden of proof or reasonable doubt standard.
Au
fil du temps, les tribunaux d'appel ont exprimé leur désapprobation de
certaines formules ou définitions du doute raisonnable ou de la norme de
preuve: «absolute certainty»:(2),«moral certainty»(3), «high degree of probability»(4), «doubt as would influence on people's behaviour in the performance
of their daily activities»(5), «you don't have to be sure»(6), «the average man's way of weighing the evidence or facts in
everyday life»(7), «a doubt for which, if asked, one could give a reason»(8)., «beyond the shadow of a doubt».(9)
A
également été proscrite au Canada la tentative de vouloir quantifier le doute
par les mots «substantial doubt»(10), ou «doute
sérieux»(11) (par la Cour
Suprême du Canada), ce qui, commel'ont fait remarquer certains(12), peut avoir pour
effet de réduire le fardeau de preuve de la poursuite.
La
Cour Suprême des États-Unis a également exprimé son désaccord sur l'usage des
mots «an actual substantive doubt» et «such doubt as would give rise to a grave
uncertainty» [Cage v. Louisiana 498 U.S. 39 (1990); Sullivan v.
Louisiana, supra.
Quant
à l'expression «moral certainty» («certitude morale»), acceptée depuis fort
longtemps, elle fut récemment l'objet de commentaires défavorables en cour
d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt R. v. Brydon
(1995), 37 C.R. (4th) 1, 29 (C.A.C.B.) et dans un arrêt très récent de la Cour
Suprême des États-Unis (Victor v. Nebraska, 127 L.Ed. 2d, 583,
(1994). Ma collègue la juge Rousseau-Houle, avec le concours de la juge
Deschamps,(13), référant à la
critique exprimée par le Juge Wood dans l'arrêt R. v. Brydon, a
exprimé l'avis que l'expression «certitude morale» ne paraît pas souhaitable.
Cette question a également été soulevée par mon collègue le juge Fish dans Levasseur
c. R., [1994] R.J.Q. 653 , p. 666 (note 21)(14). À l'exemple de
mes collègues, je propose qu'on renonce à l'utilisation de la «certitude
morale».
Pour
ceux et celles qui remettent en question cette directive, à l'instar de la juge
O'Connor, de la Cour Suprême des États-Unis,(15) pour la majorité
dans Victor v. Nebraska, ainsi que ses collègues Kennedy et
Ginsburg, dans une opinion distincte, et enfin, du juge Wood dans R. v. Brydon,
la «certitude morale» demeure une notion qui a changé avec le temps et si,
comme dans le cas Brydon, le jury requiert une directive additionnelle
pour mieux en saisir le sens, c'est alors la quadrature du cercle. Le juge doit
en effet revenir à la case départ pour finalement donner unedirective en
utilisant les mots les plus simples. Le juge Wood critique comme suit l'usage
de cette expression:
I would go further than my colleague and hold that the expression «moral certainty» ought not to be used when instructing juries on the constitutionally mandated standard of proof required before a conviction can be entered for a criminal offence in this country. It defies coherent explanation, adds nothing to an understanding of that standard, and if the context in which it is found is otherwise insufficient it presents a substantial risk of reversible error.
Je souscris à ce point de vue.
Il
y a lieu maintenant de se pencher sur les expressions qui font l'objet d'un
consensus. Ont été largement approuvées
les expressions «feel sure and satisfied»(16), ou «very sure»(17), «honest and fair doubt... a doubt based upon reason and common
sense»(18), «that proof beyond a reasonable doubt is not metif the jurors
can only conclude that the accused is 'probably' or 'likely' guilty».(19)
Face
à ces diverses tentatives de vouloir définir ce qui pourtant paraît, à première
vue, être très simple, on peut comprendre que depuis fort longtemps les
tribunaux canadiens, à l'instar des tribunaux d'Angleterre et des États-Unis,
aient toujours découragé les juges de procès dans leurs initiatives de
rechercher des qualificatifs pour expliquer la norme de preuve et le sens des
mots.
En
1954, la Cour Suprême du Canada, dans l'arrêt Boucher, supra, par la
voix des juges Kerwin et Cartwright (avec l'approbation des juges Locke,
Kellock et Fauteux) incitait les juges de première instance à cesser de
recourir à d'autres adjectifs comme le mot «sérieux» pour qualifier le doute
raisonnable.
Vingt
ans plus tard, dans R. v. Campbell, supra, le juge J.A. Martin
décourageait toute tentative d'élaborer sur ce concept:
The term «reasonable doubt» is, to a great extent, self-defining and its meaning is, I think, generally well understood by the average person. Attempts to further amplify its meaning have often proved unsuccessful and, as a general rule, it is both undesirable and unnecessary to elaborate upon its meaning by departing from the traditional and accepted formulations.
Wigmore, pour sa
part, (3e éd.) S. 2485, p. 316, écrit qu'à vouloir s'écarter d'une
définition concise et claire on risque de créer un état de confusion chez le
jury et inévitablement la cassation du verdict:
Many others, in varying forms, convey the same notion in more or less well-chosen words; and each court has its stores of precedents of instructions approved and disapproved. Nevertheless, when anything more than a simple caution and a brief definition is given, the matter tends to become one of more words, and the actual effect upon the jury, instead of being enlightenment, is likely to be rather confusion, or, at the least, a continued incomprehension. In practice, these detailed amplifications of the doctrine have usually degenerated into a mere tool for counsel who desire to entrap an unwary judge into forgetfulness of some obscure precedent, or to save a cause for a new trial by quibbling, on appeal, over the verbal propriety of a form of words uttered or declined to be uttered by the judge. The effort to perpetuate and develop these elaborate unserviceable definitions is a useless one, and serves to-day chiefly to aid the purposes of the tactician. It should be abandoned:
La
même position a été prise en 1949 en Angleterre par Lord Goddard (alors juge en
chef)(20), au nom de la
cour:
«When once a judge begins to use the words 'reasonable doubt' and to try to explain what is reasonable doubt and what is not, he is much more likely to confuse the jury then if he tells them in plain language: 'It is the duty of the presecution to satisfy you of the man's guilt'».
et subséquemment par Lawton L.J.(21): «... if judges stopped trying to define that which is almost
impossible to define there would be fewer appeals».
Aux États-Unis, la même discussion s'est engagée dans Victor
v. Nebraska, supra, et dans un article publié en 1993 par le Juge en
chef Newman (U.S. Court of Appeals for the Second Circuit), «Beyond
reasonable doubt», New York University Law Review, vol. 68, November 1993,
p. 979. «Attempts to explain the term
«reasonable doubt» do not usually result in making it any clearer to the minds
of the jury». (Miks v. United
States, 103 U.S. 304, 312).
Pour
éviter le piège des mots, la confusion et la redondance, pourquoi, pour
paraphraser ici le professeur Jacques Fortin(22), ne pas accepter
les expressions qui «consiste(nt) en des mots si simples qu'ils ne peuvent
être définis par des mots plus simples?»
Je
reconnais qu'il est peut-être souhaitable de ne pas imposer une
directive et donc de laisser aux juges une certaine latitude dans le choix de
leurs mots et dans la manière dont ils doivent instruire le jury. N'y a-t-il
pas lieu toutefois de s'entendre au moins sur des modèles de directives pour
éviter que se perpétuent ces litiges inutiles et coûteux? C'est dans ce but que
je reproduis ci-après trois modèles canadiens.
Le
modèle proposé par le juge Wood dans l'arrêt Brydon, supra, endossé
d'ailleurs par le juge David Watt(23), de la Ontario
Court (General Division) et le juge Réjean Paul(24), de la Cour
supérieure du Québec, se lit comme suit:
You will note that the Crown must establish the accused's guilt beyond a «reasonable doubt», not beyond «any doubt». A reasonable doubt is exactly what it says - a doubt based on reason - on the logical processes of the mind. It is not a fanciful or speculative doubt, nor is it a doubt based upon sympathy or prejudice. It is the sort of doubt which, if you ask yourself «why do I doubt?» - you can assign a logical reason by way of an answer.
A logical reason in this context means a reason connected either to the evidence itself, including any conflict you may find exists after considering the evidence as a whole, or to an absence of evidence which in the circumstances of this case you believe is essential to a conviction.
At this point, the natural flow of the instruction shifts its focus to the standard of proof:
You must not base your doubt on the proposition that nothing is certain or impossible or that anything is possible. You are not entitled to set up a standard of absolute certainty and to say that the evidence does not measure up to that standard. In many things it is impossible to prove absolute certainty.
If, after a careful consideration of all of the evidence in this case, there remains in your mind a reasonable doubt as to the guilt of the accused, the Crown has failed to meet the standard of proof which the law requires, the presumption of innocence prevails and you must - not may - acquit. On the other hand, if a careful consideration of all the evidence leaves you with no reasonable doubt as to the guilt of the accused, the presumption of innocence has been displaced and it is your duty to convict.
As an additional instruction on the standard of proof, I would endorse a slightly modified version of that suggested in the 1987 report of the Committee to Study Criminal Jury Instructions, made to the Federal Judicial Centre, as set out in para. 108 herein:
Proof beyond a reasonable doubt is proof that leaves you firmly convinced of the accused's guilt. There are very few things in this world that we know with absolute certainty, and in criminal cases the law does not require proof that overcomes every possible doubt. If, based on your consideration of the whole of the evidence, you are firmly convinced that the accused is guilty of [the offence alleged] it is your duty to find him guilty. If, on the other hand, you think there is a reasonable possibility the accused is not guilty, the Crown has failed to meet the standard of proof required for a conviction and you must acquit.
Le juge Eugene Ewaschuk, également de la Ontario Court (General
Division), adopte le modèle suivant(25), qui joint la
directive sur la norme de preuve à celle sur le sens des mots «doute
raisonnable»:
18. When I speak of reasonable doubt, I use the words in their ordinary, natural meaning, not as a legal term having some special connotation. Reasonable doubt is essentially self-defining. Thus, reasonable doubt is an honest and fair doubt, based upon reason and common sense after having considered all of the evidence as a whole. It is a real doubt, not an imaginary or frivolous doubt born
out of sympathy or prejudice. Reasonable
doubt may arise from the evidence tendered at this trial, particularly from a
conflict of the evidence, or from a lack of evidence tendered at this trial.
However, reasonable doubt must not be based upon conjecture or
speculation and applies only to essential, as opposed to non-essential, matters
so that individual items of evidence need not be proven beyond a
reasonable doubt. I will later tell you what the essential matters are in this
case. Furthermore, reasonable doubt may arise because you are unable to
determine the credibility or reliability of particular witnesses in relation to
essential matters. Finally, keep in mind that it is rarely possible to prove
anything with absolute or mathematical certainty and so the burden of proof on
the Crown is to prove guilt beyond a reasonable doubt, but not beyond a
shadow of a doubt. Thus, the Crown is not compelled to prove guilt to the
impossible degree of proof to a certainty. In the end, proof of guilt beyond a
reasonable doubt equates to the absence of reasonable doubt as to the accused's
guilt. Let me repeat what I have just said.
18a. (Re-definition of reasonable doubt if jury asks for it)
Proof beyond a reasonable doubt is achieved when you feel sure of the guilt of the accused; when the totality of the evidence that you find credible convinces the mind and satisfies the conscience. Of course in the area of human affairs absolute or mathematical certainty is neither possible nor required.
Dans la version française qui constitue également une adaptation
de «Canadian Criminal jury instructions» signée en 1990 par le juge Jean-Paul
Bergeron, de la Cour supérieure, on lit:
1. Vous vous demandez sans doute: «Que signifie l'expression «preuve hors de tout doute raisonnable». Il n'existe pas de réponse simple à cette question. Un doute raisonnable peut découler de la preuve, d'un conflit dans la preuve ou d'un manque de preuve. Le doute raisonnable en est un basé sur la raison. Il ne s'agit pas d'un doute imaginaire. C'est un genre de doute au sujet duquel vous pouvez donner une explication logique et raisonnable, si on vous le demande.
2. Si vous êtes moralement certains que ___________ [L'ACCUSÉ(E)] a commis (l'/les) infraction(s) de ____________, alors vous n'avez pas un doute raisonnable. Si vous croyez que _______________ [L'ACCUSÉ(E)] est probablement coupable, mais conservez un doute raisonnable, vous devez accorder le bénéfice de ce doute à _______________ [L'ACCUSé(E) et rendre un verdict de non- culpabilité.
3. Par ailleurs vous ne devez pas rechercher une norme de certitude absolue dans le fardeau de la preuve dont la Couronne doit s'acquitter. Vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé(e).
Je
retrancherais la deuxième directive qui réfère à la «certitude morale» et ce,
pour les raisons que j'ai fait valoir précédemment.
Il
y a lieu de noter que ces modèles de directives ne mettent pas en relief
d'autres volets portant sur l'étendue de la norme de preuve, comme par exemple,
que la norme de preuve s'applique (1) à chaque élément de l'infraction et (2) à
laquestion de la crédibilité des témoins. Je me limite ici à l'examen de la
définition du doute raisonnable dans le contexte d'une directive générale sur
la norme de preuve.
Ces
modèles, adoptés par des juges de grande expérience, ont le mérite de proposer
une directive claire et exacte tant de la norme de preuve que du sens des
mots-clés et d'éviter certains pièges, dressant les limites de ce qui doit être
dit. Ils éliminent ainsi les formules trop complexes, dangereuses ou
controversées et se concentrent sur un choix de mots simples qui ne peuvent
être définis par des mots plus simples.
Me
référant maintenant au modèle du juge Bergeron, je proposerais une version
légèrement modifiée qui se lit comme suit:
L'accusé est présumé innocent. Il revient à la Couronne de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable, de vous convaincre au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité.
Être convaincu au-delà de tout doute raisonnable, ce n'est pas de rechercher la certitude absolue ou mathématique, c'est être vraiment sûr et satisfait que l'accusé est coupable, c'est d'en avoir la ferme conviction. Si vous pouvez uniquement conclure que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, c'est que vous n'êtes pas fermement convaincus de sa culpabilité et vous avez un doute raisonnable.
Être convaincu au-delà de tout doute raisonnable, ce n'est pas au-delà du moindre doute, de tout doute, ce n'est pas un doute capricieux, irréfléchi ou imaginaire: un doute raisonnable peut découler
de la preuve, d'un conflit dans la preuve ou d'un manque de preuve, c'est donc un doute au sujet duquel vous pouvez donner une explication logique et raisonnable.
En conclusion, si après avoir examiné soigneusement l'ensemble de la preuve vous avez un doute raisonnable, c'est que la Couronne ne vous a pas vraiment convaincus de la culpabilité et vous devez acquitter l'accusé. Par contre, si vous êtes fermement convaincus de la culpabilité en vous fondant sur l'ensemble de la preuve, c'est que vous n'avez pas un doute raisonnable et vous devez déclarer l'accusé coupable.
En
optant pour la «ferme conviction», au lieu de la certitude morale,
je veux ici évoquer ce qu'avait écrit le juge Bissonnette, de cette cour, en
des propos si éloquents au sujet du doute raisonnable, en disant, pour n'en
citer qu'un extrait: «Quand une preuve entraîne la ferme adhésion de
l'esprit...».(26)
Contrairement
à la tradition britannique qui se limite à un simple énoncé de la norme de
preuve, j'estime nécessaire de préciser le sens des mots «au-delà de tout doute
raisonnable» et d'adopter en cela la méthode commune aux trois modèles
canadiens qui ne laissent pas le jury recourir à son imagination pour
comprendre le sens des mots.
A.A.S.
Zuckerman(27), dans un traité
sur la preuve, reproche d'ailleurs à la jurisprudence anglaise de se cantonner
dans un simple énoncé de la norme de preuve et de prendre pour acquis que «all
jurors will have the same instinctive comprehension of the meaning of this
expression», référant ici aux mots «au-delà de tout doute raisonnable».
Application à l'espèce
Analysée
dans son ensemble, la directive du premier juge souffre, en premier lieu, d'un
manque total de concision. Il lui a, en effet, fallu près de deux mille mots
pour exprimer ce qui, dans le modèle le plus long ci-haut reproduit, en a
nécessité à peine deux cent cinquante. En second lieu, la redondance et le choix
des expressions finit par enlever aux mots justes leur portée véritable. C'est
d'ailleurs ce qui a toujours été appréhendé par les tribunaux d'appel qui
suggèrent la concision et surtout d'éviter le piège des mots.
En
extirpant de l'exposé sur le sens du doute raisonnable toutes les
expressions choisies par le premier juge, je retiens que pour ce jury, un doute
raisonnable est un doute (1) sérieux, (2) réfléchi, (3) pensé, (4) le doute de
la raison, (5)qui trouble l'esprit, (6) qui dérange l'esprit, (7) qui empêche
d'arriver à une conclusion ferme, (8) ce doute honnête, (9) qui résiste à
l'analyse sérieuse, (10) ce doute honnête qui ne vous quitte pas, (11) qui
vous poursuit toujours, (12) qui vous harcèle, (13) qui vous
trouble l'esprit, (14) qui empêche de manger et de dormir, (15) ce
doute qui obstinément est ancré en vous et ne vous lâche pas, sans compter
toutes les autres expressions utilisées pour décrire ce que n'est pas le doute
raisonnable, à savoir, doute de nature (1) frivole, (2) légère, (3)
irréfléchie, (4) superficielle, (5) fantaisiste (6) qui repose sur les seules
intuitions (7) sur les seules hypothèses ou (8) sur les seuls caprices ou (9)
sur la pure spéculation, ce doute léger (10) folichon, fantaisiste, (11)
d'accommodement.
Avec
égards, je dois avouer qu'en relisant cette directive dans son ensemble, ma
crainte originaire que le jury ait mal perçu la norme de preuve s'est accrue.
Je ne dis pas que chacune des expressions choisies est condamnable en elle-même
mais que c'est l'ensemble qui porte à confusion par sa longueur et ses fausses
analogies. C'est cette gradation dans l'échelle du doute, particulièrement ce
doute qui empêche de manger et de dormir, qui obstinément est ancré
en vous et ne vous lâche pas, qui vous harcèle et vous poursuit toujours,
qui contribue à diminuer considérablement le fardeau de preuve de la Couronne.
C'est comme si l'on invitait le jury à vaincre son doute, un doute
néanmoinsraisonnable: c'est comme si l'on craignait que le jury rende un
verdict pervers.
Une
telle directive m'inquiète à la pensée d'un juré qui, placé devant un cas où,
de façon évidente, l'acquittement s'impose devant l'insuffisance de preuve et
donc ne l'empêche pas de dormir, se demanderait si son doute est raisonnable?
Ou
encore, si les jurés retiennent que le doute doit être «obstinément ancré en
vous», n'est-ce pas là leur poser davantage un débat de conscience et prendre
le risque d'un désaccord puisque si le doute est «obstiné», il serait difficile
d'en pouvoir triompher.
À
vouloir quantifier le doute raisonnable, on finit par en diluer la qualité.
L'intimée
suggère qu'il était à propos d'opposer un doute folichon ou d'accommodement à
un doute qui harcèle ou empêche de manger ou de dormir, pour bien rappeler au
jury le sérieux de leur tâche. Avec respect pour l'opinion contraire, c'est
précisément ce contraste entre deux extrêmes qui fausse la notion et la
banalise puisque c'est porter le jury à croire qu'un doute qui se situe entre
les deux extrêmes ne suffit pas. C'est aussi laisser entendre qu'un doute qui
paraît si évident qu'il n'empêchepas de dormir (par exemple en raison d'un
conflit dans la preuve) ne constitue pas un doute raisonnable.
Cette
directive fait problème enfin pour une autre raison. Malgré toutes ces
expressions utilisées par le premier juge, je ne retrouve pas de propos qui
aident le jury à comprendre d'où le doute raisonnable peut surgir à l'examen de
l'ensemble de la preuve. En effet, de chacun des modèles se dégage une
constante reproduite dans celui du juge Bergeron dans les termes suivants:
Un doute raisonnable peut découler de la preuve, d'un conflit dans la preuve ou d'un manque de preuve.
Pour
conclure, j'estime donc que la directive, dans sa globalité, contient des
erreurs irréversibles qui concernent un principe de droit fondamental, soit le
prisme au travers duquel le jury évalue la preuve sur laquelle il fonde son verdict.
Pour ce seul motif et me référant à ce qui précède quant à la non- application
de la disposition curative [686(1)b)iii) C.cr.], un nouveau procès doit donc
être ordonné.
Incidemment,
une autre formation de cette cour(28) a conclu
récemment à l'irrégularité de la même directive (émanant du même juge)
devant entraîner la cassation du verdict.
2e moyen: Le meurtre
L'état de droit
Le
meurtre se caractérise par l'intention spécifique de causer la mort. Cette
intention doit comprendre une prévision subjective que la mort s'ensuive: c'est
ainsi que se décrit l'état d'esprit coupable de l'auteur d'un meurtre, selon
l'enseignement de la Cour Suprême depuis les arrêts R. c. Vaillancourt,
[1987] 2 R.C.S. 636 et R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633 .
Plus
spécifiquement, selon le par. 229 a) C.cr. qui s'applique en l'espèce, il y a
meurtre si la personne (i) ou bien a l'intention de causer la mort, (ii) ou
bien a l'intention de causer des lésions corporelles qu'elle sait être de
nature à causer la mort et qu'il lui est indifférent que la mort s'ensuive
ou non.
Comme
dans les deux cas (i) et (ii) la prévision subjective de la mort est
sous-jacente à l'intention, il s'ensuit que pour (i), la preuve de cette
intention de causer la mort suffitpour établir le meurtre; en ce qui a trait à
(ii), d'autres éléments doivent être prouvés. En effet, doit être prouvée non
seulement l'intention de causer des lésions corporelles mais la connaissance ou
la prévision de l'auteur que ces lésions corporelles sont de nature à
causer la mort, donc qu'il est probable(29) que la mort
puisse en résulter. La prévision subjective ou la connaissance que les
blessures infligées sont de nature à causer la mort (qu'il est probable
que la mort s'ensuive) constitue donc un élément essentiel à prouver selon le
(ii) du par. 229 a) C.cr. Le jury peut certes s'interroger sur ce
qu'objectivement une personne raisonnable aurait prévu comme résultat probable
pour décider de ce que l'auteur a véritablement prévu (sa prévision
subjective). Enfin, un dernier élément s'ajoute: qu'il est indifférent à son
auteur que la mort s'ensuive ou non.
Lorsque
la mort survient au cours de la commission d'un crime, comme un vol qualifié en
l'espèce, le meurtre n'est pas présumé: preuve doit être faite des mêmes
éléments examinés précédemment en regard de l'exigence constitutionnelle de la
prévision subjective de la mort.
De
ce qui précède, l'on peut donc conclure que la prévisibilité objective que la
mort résulte des lésions infligéesne suffit pas: ce n'est pas ce que l'auteur devait
savoir (prévisibilité objective) mais bien ce qu'il savait ou connaissait
véritablement (prévision subjective). Cela vaut autant pour l'auteur que pour
le complice selon les al. 21(1)b) et c) C.cr., soit la personne qui aide ou
encourage l'auteur à en tuer une autre: lorsque ce complice aide ou encourage
une personne à commettre ce meurtre, sa complicité doit être accompagnée de la
même intention qui est exigée de la personne qui commet réellement le meurtre.(30)
Application à l'espèce
(i) Les directives sur le meurtre en général et la complicité
Dans
ses directives sur le meurtre, le premier juge a instruit le jury sur la prévision
subjective mais y a toujours associé le concept de prévisibilité
objective:
... c'est tellement compliqué qu'il faut pas que je me mêle moi-même, la prévisibilité subjective par l'accusé et la prévision objective. Et quand j'ai dit «la prévision objective», j'ai pas dit par l'accusé si vous avez remarqué. J'ai seulement dit «la prévisibilité subjective de ou par l'accusé et la prévision objective point. On s'explique.
Après
avoir défini ces termes, il les applique au meurtre:
... la Couronne devait vous prouver au-delà d'un doute raisonnable que l'accusé avait la prévision subjective du meurtre. Ca va? La loi dit pas du meurtre alors que lui a le revolver. La loi dit du meurtre auquel il est accusé d'avoir participé par le biais de l'article vingt-et-un (21). La Couronne devait vous prouver ça au-delà d'un doute raisonnable et la Couronne devait vous prouver au- delà d'un doute raisonnable aussi, et là on arrive à ma prévisibilité objective, qu'indépendamment de ce qu'il y avait dans le cerveau de l'accusé, ce dont je viens de parler, de cet accusé-là, qu'indépendamment de ça et en dehors de lui il y avait une prévisibilité objective que ça arriverait, n'est-ce pas, et ça veut dire prévisibilité, caractère de ce qui est prévisible en dehors de l'accusé, il fallait que pour tout autre que l'accusé, pour d'autres, là, n'importe qui, vous et moi, n'importe qui qui aurait été là en dehors de lui, c'était prévisible objectivement que ça arriverait, là, au moment où ça se passait. Et il y a un «mais» qui est extrêmement important et qui échappe à bien du monde et sur lequel j'attire votre meilleure attention, votre meilleure attention. Lorsque la loi vous dit qu'il faut ces deux (2) éléments-là: la prévisibilité... la prévision subjective et la prévisibilité objective, un chez l'accusé, l'autre en dehors de lui, ça va, lorsque la loi vous dit que la Couronne doit vous prouver ça au-delà du doute raisonnable, la loi va pas jusqu'à dire que la Couronne doit prouver, que c'était prévisible depuis la veille, là, ou depuis quatre heures (4:00) l'après- midi ou depuis six heures (6:00), ça va? Sinon, le code et la loi et la Cour Suprême l'auraient dit. Tout ce qu'il faut, c'est qu'au moment où les événements se produisent, ces deux (2) éléments- là soient là et prouvés par la Couronne au-delà du doute raisonnable.
(je souligne)
Après
avoir rappelé brièvement le contexte factuel, le premier juge reprend la même
directive, mais cette fois dans le contexte de la complicité:
... Alors donc, je vous dis que la Couronne devait vous prouver en plus de tout ce que je vous ai dit, soit pour le crime de meurtre soit pour le crime de conspiration, l'article vingt-et-un (21), les trois (3) façons de commettre: aider, accomplir ou omettre d'accomplir, encourager ou aider quelqu'un à le commettre, la Couronne devait vous prouver en plus de tout ça, et tout ça au-delà d'un doute raisonnable, la couronne devait vous prouver au- delà d'un doute raisonnable qu'il y avait chez l'accusé au moment des actes, pas la veille ni le lendemain, au moment des actes qu'on lui reproche, qu'il y avait chez lui la prévision subjective et qu'existait à tous autres égards que lui la prévisibilité objective de ce qui se passait et allait se passer, de ce qui se produirait. Ça va? Là, je peux pas faire un plus grand tour de l'horloge, j'ai fait les heures, les minutes et les secondes. C'est pour ça que je reprends les mots mêmes de notre plus haut Tribunal, c'est pour ça qu'on a dit que dans notre pays les principes de justice fondamentale exigent qu'une déclaration de culpabilité de meurtre, que ce soit directement par l'auteur principal ou que ce soit par l'article vingt-et-un (21), qu'une déclaration de culpabilité de meurtre se fonde sur la preuve hors de tout doute raisonnable d'une prévision subjective de la mort par l'accusé et sur une preuve hors de tout doute raisonnable de la prévisibilité objective de la mort, c'est-à-dire ce qui était prévisible.
À
noter ici que c'est uniquement en regard du par. 21(1) et non du par. 21(2) que
le premier juge a traité de la complicité: ce n'est cependant pas l'appelant
qui pourrait s'en plaindre maintenant.
(ii) Des directives additionnelles à la demande du jury
Dès
le début de leurs délibérations, des directives additionnelles à la fois sur la
prévision subjective et la prévisibilité objective furent requises par le jury.
En réponse, le premier juge répéta son exposé antérieur sur la définition de
ces concepts et leur application à l'espèce pour conclure comme suit:
Vous avez entendu la preuve à ce sujet, c'est vous qui allez la juger, vous vous rappelez ce que l'accusé vous dit soit en Cour sous serment, soit dans sa déclaration écrite dont je vous ai dit qu'elle constituait de la preuve, vous vous rappelez l'incident de Lindsay qui se lève, qui décide de vendre chèrement... défendre chèrement sa peau ou ses biens, il se lève puis d'après ce qu'on nous dit, aurait sauté pour s'emparer de l'arme, il y aurait eu combat, renversement des deux (2) sur le sofa, sur le divan, coup de poing de la part de l'accusé, cagoule enlevée, et caetera, et caetera, et ces incidents-là selon un témoin, Tremblay, durent de cinq (5) à six (6) à sept (7) minutes. Selon l'accusé, toute l'expédition dans la maison dure de dix (10) à quinze (15) minutes. À vous et à vous seuls d'apprécier si au fil du déroulement de ces incidents-là dans le salon ou ailleurs, si l'accusé au- delà d'un doute raisonnable avait la prévision subjective de ce qui allait se passer. Et je vous ai pas dit avait ça une (1) heure avant. En tout temps pendant que ça s'est passé. Ça va? Et si y avait pour le commun des mortels et en dehors du cerveau de l'accusé une prévisibilité, est-ce que c'était prévisible objectivement ce qui allait arriver à partir du moment où les victimes ou une des victimes commence à sa débattre puis sauter sur l'arme, cherche à s'emparer de l'arme, il part des coups accidentellement ou pas, et la cagoule s'enlève, et
caetera. Ça va? Là, là, j'ai plus le droit d'entrer dans ce
domaine-là. Je viens de faire mon effort, ça, c'est le vôtre à vous, ça, c'est
votre propriété à vous. Correct? Est-ce que je vous en ai appris un peu plus
qu'hier?
UN MEMBRE DU JURY:
Oui.
(iii) Discussion sur la prévision subjective et la prévisibilité
objective
Bien
qu'à proprement parler on ne saurait reprocher à un juge d'insister sur la
prévision subjective, par ailleurs il n'est pas étonnant que le jury, malgré
une première directive très élaborée, ait requis le juge de reprendre sa
directive tant sur la prévision subjective que la prévisibilité objective.
Comme
l'a justement noté la juge Hetherington, de la Cour d'appel d'Alberta, dans
l'arrêt Coughlin c. R.(31), le
recoursau jargon légal doit être évité: l'emploi, en l'espèce, des concepts de
«prévision subjective» et «prévisibilité objective» en est le meilleur exemple.
J'ignore
pourquoi le premier juge a choisi ce type de directive. Peut-être est-ce dû au
fait que dans l'arrêt R. c. Vaillancourt, supra, la Cour Suprême
a conclu que la prévisibilité objective de la mort constitue un critère
minimal auquel il faut satisfaire pour maintenir une déclaration de
culpabilité de meurtre, mais du même coup, la cour a aussi ajouté que la
prévision subjective de la mort est exigée en regard de la Charte, ce
qui a été précisé davantage dans l'arrêt Martineau, comme je l'ai
souligné ci-haut.
Il
n'était donc pas requis de traiter de la prévisibilité objective puisque
l'intention de tuer doit comporter une prévision subjective. Peut-on croire que
l'un a neutralisé l'autre dans l'esprit du jury? On peut certes arguer que
cette directive a été favorable à l'appelant si le jury a compris que non
seulement fallait-il démontrer sa prévision subjective de la mort mais qu'en
plus cela était objectivement prévisible. Par ailleurs, pourquoi s'interroger
sur l'aspect objectif quand la question consiste plutôt à décider de la prévision
subjective dans l'examen de l'intention de l'appelant.
Le
véritable débat en l'espèce ne portait pas de toute façon sur la prévisibilité
objective car à compter du moment où monsieur Lindsay opposa une résistance,
toute aide de l'appelant pouvait objectivement contribuer à la mort de
monsieur Lindsay. La question était de savoir si la preuve des actes ou de
la complicité de l'appelant pouvait mener le jury à conclure à une prévision
subjective de la mort non seulement de monsieur mais de madame Lindsay,
c'est-à-dire si ces actes étaient posés avec l'intention requise pour
constituer un meurtre.
C'est
à compter du moment où l'appelant intervient dans l'altercation opposant
Tremblay et monsieur Lindsay, et compte tenu de toutes les circonstances, que
son intention (ou sa prévision subjective) que la mort survienne devenait en
litige.
Au
lieu de toujours associer la prévision subjective et la prévisibilité
objective, il aurait été plus simple de s'abstenir de discuter de ces concepts
et de dire au jury que s'il déterminait que Tremblay était l'auteur des
meurtres (ce qui demeurait le scénario le plus réaliste), il n'était pas
suffisant, pour que l'appelant en soit aussi déclaré coupable, que la mort
puisse être un événement probable: encore fallait-il démontrer, par sa
complicité, une intention que la mort s'ensuive ou avoir l'intention que
l'auteur ou lui-même cause des lésions corporelles de nature à causer la mort
et qu'il lui soit indifférent que lamort s'ensuive ou non. Ce n'est pas ce
qu'il devait savoir mais ce qu'il savait qui était déterminant: le jury devait
également comprendre ce principe.
Cela
dit, il n'est pas nécessaire, en l'espèce, que je m'interroge outre mesure sur
l'effet de cette directive associant prévision subjective et prévisibilité
objective, vu la conclusion à laquelle j'en suis arrivé quant aux autres
reproches faits aux directives traitant du meurtre et de l'homicide
involontaire coupable, dont je vais maintenant discuter.
(iv) Autres griefs reliés aux directives sur le meurtre
Me
limitant pour l'instant aux directives traitant du meurtre, j'estime que le
reproche le plus sérieux consiste dans l'omission de distinguer la
participation de l'appelant à l'égard des deux victimes et, par voie de
conséquence, dans l'insuffisance des directives pouvant aider le jury à
examiner quelle preuve pouvait justifier une déclaration de culpabilité pour
deux meurtres.
Tant
de l'ensemble des directives que des plaidoiries devant jury et même des
plaidoiries devant cette cour, l'on peut comprendre qu'était écarté le scénario
selon lequel l'appelant aurait été l'auteur principal des blessures mortelles causées
auxdeux victimes: en résumant la thèse de la poursuite, le premier juge a
déclaré qu'elle s'appuyait sur l'art. 21 pour conclure que l'appelant avait
aidé, assisté et encouragé Tremblay à causer la mort des deux victimes.
La
responsabilité de l'appelant à l'égard de ces meurtres commis par Tremblay
devait donc être examinée par le jury en regard de l'art. 21.
Or,
tant dans ses premières directives que dans ses directives additionnelles
ci-haut reproduites, le premier juge n'a insisté que sur l'incident où monsieur
Lindsay se lève pour résister à l'agression armée, sur la bousculade sur le
sofa entre Tremblay et monsieur Lindsay, sur la cagoule enlevée, sur le coup de
poing donné par l'appelant, pour aider le jury à comprendre en quoi l'appelant
pouvait être déclaré coupable de meurtre des deux victimes. Avec égards, cela
était nettement insuffisant tant dans le relevé des faits pertinents qu'à
l'égard de la responsabilité de l'appelant pour chacun des meurtres.
Quitte
à redire ce qui a été écrit depuis un demi- siècle, il est impérieux qu'un
jury, non seulement comprenne adéquatement (1) les questions soulevées, (2) le
droit relatif àl'inculpation, mais aussi (3) les éléments de preuve dont il
devrait tenir compte pour trancher ces questions.(32)
Au
lieu de livrer au jury un résumé fastidieux et sans fin de chaque élément de
preuve, le premier juge aurait été bien avisé de se limiter aux éléments de
preuve dont le jury doit tenir compte pour trancher les questions en litige.
La récitation de la preuve: une pratique à décourager
Rien
n'oblige un juge à exposer en détail l'ensemble de la preuve: c'est ce que
rappelait le juge en chef du Canada d'alors, le juge Dickson, dans R. c.
Thatcher [1989], 1 R.C.S. 702. Ce qui est essentiel, comme cela fut
rappelé dans l'arrêt Cooper, supra, consiste à exposer la position du
ministère public et de la défense, les questions juridiques qui sont soulevées
et les éléments de preuve qui peuvent être appliqués pour trancher les
questions juridiques et, en fin de compte, pour déterminer la culpabilité ou
l'innocence de l'accusé.
Il
est donc inutile de résumer la totalité de la preuve.
C'est
dans cet esprit que le juge en chef Lamer, dans une allocution prononcée le 8
mai 1995 dans le cadre d'un programme d'études intensives offert par l'Institut
National de la Magistrature à Cornwall, invitait les juges de procès, à l'égard
de leur exposé au jury, à viser un «objectif qui consiste à donner des
directives claires et concises», à éviter «ces exposés très longs, très
détaillés... de peu d'utilité pour les personnes qui en ont besoin», la
véritable rôle du juge consistant à présenter au jury «les questions à
trancher dans le contexte des faits pertinents». Enfin, de se demander le
juge en chef, «Comment un jury peut-il absorber et appliquer des directives
sur le droit qui durent plusieurs jours»?
Il
y a lieu pour cette cour de faire sienne l'invitation faite aux juges de procès
par le juge en chef du Canada qui, loin de proposer une nouvelle règle de droit
ou un changement des règles du jeu, traduit une inquiétude face à certaines
pratiques qui ne servent plus l'intérêt public.
À
mon avis, le danger de ces exposés interminables, outre ce qu'on peut
facilement percevoir à leur lecture, réside davantage dans la possibilité
réelle de faire perdre aux jurés leur concentration pour bien saisir
l'essentiel de ce qu'ils ont à décider. Comme cela demeure imperceptible mais
néanmoinssusceptible de se produire, pourquoi ne pas y renoncer et faire effort
de synthèse pour n'exposer que l'essentiel au jury?
En
l'espèce, comme il était indiscutable que les deux meurtres avaient été commis
successivement et par des moyens distincts et que la responsabilité de l'appelant
pour chacun des deux meurtres n'était pas nécessairement la même, cela exigeait
du premier juge qu'il fasse cette distinction pour le bénéfice du jury et qu'il
indique quelle preuve pouvait justifier la complicité coupable de l'appelant
pour chacun des meurtres. Quant au meurtre de monsieur Lindsay, certes
l'appelant admet dans sa déclaration aux policiers que devant la résistance de
monsieur Lindsay, à leur arrivée, alors que Tremblay avait l'arme à feu, il a
voulu l'aider dans la bousculade pour maîtriser monsieur Lindsay et c'est là
qu'il lui a infligé un «bon coup de poing» dans le visage. Il a alors quitté
les lieux pour se rendre dans la pièce voisine afin de fouiller pour trouver de
l'argent. C'est alors qu'il a entendu des coups de feu. Il n'a eu recours à
aucune violence à l'endroit de madame. Il a répété sensiblement la même version
au procès. Tremblay, qui a témoigné pour la poursuite, a admis sa
responsabilité première pour chacun des meurtres et n'a pas impliqué
l'appelant, abstraction faite de sa déclaration antérieure qu'il a répudiée et
que le juge a prié le jury de ne pas considérer comme preuve.
La
preuve a révélé que monsieur Lindsay a reçu quatre projectiles qui ont causé sa
mort: un cinquième projectile fut retrouvé dans le divan (cela peut s'expliquer
par la bousculade et serait le premier coup de feu) et le dernier projectile
est retrouvé dans le revolver laissé sur les lieux. De plus, des coups violents
ont causé une fracture du crâne.
Dès
lors, pour déterminer si l'appelant avait aidé et encouragé Tremblay à
commettre le meurtre de monsieur Lindsay, il fallait certes s'interroger sur
l'intention qui l'animait lorsqu'il accepta de prêter son concours à Tremblay
qui se bousculait avec monsieur Lindsay, en frappant d'un coup de poing ce
dernier, et s'il prévoyait alors qu'en quittant les lieux Tremblay ferait feu
sur monsieur Lindsay, comme conséquence de l'encouragement qu'il a manifesté
par le coup de poing infligé. Il y avait lieu, par contre, de se demander si le
fait de n'avoir infligé qu'un coup de poing suivi de son départ vers la pièce
voisine témoignait d'une intention de ne pas recourir à une violence aussi
brutale que celle subséquemment démontrée par Tremblay.
En
ce qui a trait à la complicité de l'appelant dans le meurtre de madame Lindsay
qui est décédée des suites de nombreux coups violents portés à la tête, et
d'aucun projectile, je comprends encore moins que le premier juge n'ait pas
fait de distinction entre les deux cas puisque, contrairement au casprécédent,
il n'y a aucune preuve que l'appelant a porté un coup à madame et aucune preuve
directe d'aide ou d'encouragement n'a été établie, madame ayant été
vraisemblablement blessée mortellement par Tremblay alors que l'appelant était
dans la pièce voisine. Je rappelle que dans ses directives, le juge a invité le
jury à considérer les mêmes faits énumérés à la page 37, ante, comme pouvant
justifier un verdict de meurtre par complicité pour chacun des deux meurtres.
Avec
respect, j'estime que s'imposait à tout le moins l'obligation de bien
distinguer chacun des cas, si tant est, et je suis loin d'en être convaincu,
qu'il y avait une preuve suffisante de la complicité de l'appelant dans le
meurtre de madame Lindsay.
Quoi
qu'il en soit, je ne poursuivrai pas cette discussion, vu ma conclusion sur les
directives traitant de l'homicide involontaire coupable.
3e moyen: L'homicide involontaire coupable
Depuis
les arrêts Kirkness, supra, et R. c. Jackson, [1993] 4
R.C.S. 573 , un complice de l'auteur d'un meurtre qui ne démontre pas
l'intention exigée pour être déclaré coupable de meurtre, peut être déclaré
coupable d'homicide involontaire coupable en vertu des par. 21(1) et 21(2)
C.cr.
Selon
le par. 21(1), le complice qui aide l'auteur d'un meurtre peut être
déclaré coupable d'homicide involontaire coupable si, compte tenu de toutes les
circonstances, une personne raisonnable se serait rendu compte que l'acte
dangereux accompli avait pour conséquence prévisible de causer des lésions
corporelles.(33)
En
vertu du par. 21(2), le complice qui participe à un projet commun peut
également être déclaré coupable d'homicide involontaire coupable si, compte
tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable pouvait prévoir au
moins le risque de causer des blessures à autrui par suite de la réalisation de
l'intention commune.(34)
Me
référant à ces principes, il ne serait pas risqué d'affirmer qu'en l'espèce un
verdict d'homicide involontaire coupable pour chacune des deux victimes, par le
biais des par. 21(1) et (2), pouvait prendre appui sur la preuve et constituait
un verdict plausible ou vraisemblable («air of reality»). Dès lors, s'imposait
une directive appropriée.
Comme
la juge McLachlin l'a affirmé dans l'arrêt Jackson, supra, même si le
jury a reçu des directives claires et justes concernant le meurtre et qu'un
appelant a été déclaré coupable de meurtre, le verdict n'est pas juste pour
autant si (1) le juge a omis dans ses directives d'indiquer sur quoi le jury
pouvait se baser pour déclarer l'appelant coupable d'homicide involontaire
coupable en vertu des par. 21(1) et 21(2) et si (2) le juge a omis toute
directive voulant qu'un participant à une infraction puisse être coupable
d'homicide involontaire coupable même si l'auteur principal est coupable de
meurtre.(35)
Or,
ce sont malheureusement les deux mêmes omissions que je note en l'espèce dans
les directives au jury, dont je reproduits les extraits pertinents:
Alors, si vous trouvez pas l'accusé coupable de meurtre, un autre verdict possible qui est plus bas, inférieur à celui de meurtre, c'est homicide involontaire coupable. Si, au contraire de ce que je viens de vous dire, vous comprenez que ça commence par «si, au contraire», parce que ce sera pas la même chose, si, au contraire de ce que je viens de vous dire vous éprouvez un doute raisonnable quant au fait qu'il s'agit d'un meurtre, n'est-ce pas, si vous avez un doute raisonnable que c'est bien un meurtre, ça peut plus être un meurtre à ce moment- là, faut que ça aille plus bas, si, au contraire vous éprouvez un doute raisonnable quant au fait qu'il s'agit d'un meurtre et cela, je vous dis pourquoi vous auriez un doute raisonnable à ce moment-là, et cela parce que Benoît Girard, bien qu'ayant lui-même réellement et par un acte illégal causé la mort de J.-P. L. ou alors, ou encore s'il l'a pas commis lui-même réellement bien que l'ayant causé par le biais de l'article vingt-et-un (21) cette mort-là, et entre parenthèses, j'ai écrit pour me répéter à nouveau (c'est-à-dire accompli ou omis d'accomplir quelque chose en vue d'aider à commettre ou encore encourager à le commettre) que Benoît Girard, dis- je, n'avait aucune des deux (2) intentions coupables prévues à l'article deux cent vingt-neuf (229) pour qu'il y ait meurtre, et vous connaissez les deux (2) intentions, là, je les ai écrites de toute façon..., je reprends ma phrase pour pas se perdre. Si, au contraire, vous éprouvez un doute raisonnable quant au fait qu'il s'agit d'un meurtre, et pourquoi vous avez un doute raisonnable qu'il s'agit d'un meurtre, parce que même si l'accusé directement ou par le biais de l'article vingt-et-un (21) a commis l'acte physique coupable de tuer, vous avez un doute raisonnable quant au fait des deux (2) intentions du meurtre, il suffit pas d'avoir l'acte, il faut l'une ou l'autre des deux (2) intentions, donc, l'acte coupable de tuer, oui, aurait été prouvé dans... selon vous, mais sans l'intention coupable requise, et alors vous n'êtes plus en présence d'un meurtre car la mort est involontaire s'il n'y a pas une (1) des deux (2) intentions, elle n'a pas été voulue comme telle et alors vous devez et non pas vous pouvez, vous DEVEZ déclarer Benoît Girard coupable d'homicide involontaire coupable.
En
bref, le premier juge a omis (1) d'indiquer en quoi l'appelant pouvait être
déclaré coupable d'homicide involontaire coupable plutôt que de meurtre et (2)
de dire au jury que même si Tremblay avait commis deux meurtres, l'appelant
pouvait être déclaré coupable d'homicide involontaire coupable.
En
conséquence, même si, pour les fins de ladiscussion, les directives au jury sur
le meurtre étaientirréprochables, on ne saurait conclure, comme cela fut
affirmé dans l'arrêt Jackson, supra, que le verdict est juste si par
ailleurs les directives comportent des erreurs importantes reliées à l'exposé
sur l'homicide involontaire coupable.
En
conclusion de ces motifs quant aux moyens 2 et 3, j'estime que les directives
sur le meurtre et sur l'homicide involontaire coupable contiennent des
irrégularités telles qu'elles doivent entraîner la cassation des verdicts de
meurtre et une ordonnance de nouveau procès: je suis loin d'être convaincu que
le verdict aurait été le même si le jury avait été bien instruit. Cette
conclusion se renforce en regard de ma conclusion sur le premier moyen quant au
doute raisonnable.
_____________________________
MICHEL PROULX, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-10-000175-922
(160-01-000034-926)
Le 28 juin 1996.
CORAM: LES HONORABLES PROULX
CHAMBERLAND, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
BENOIT GIRARD,
APPELANT - accusé
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - poursuivante
______________LA COUR;- Statuant sur le pourvoi de l'appelant contre
le verdict d'un jury (Alma, le 26 septembre 1992, l'honorable juge Jean
Bienvenue, de la Cour supérieure, chambre criminelle), lequel l'a déclaré
coupable de deux meurtres au deuxième degré, et contre l'ordonnance du juge de
la Cour supérieure de porter à 12 ans le délai préalable à sa libération
conditionnelle;
Après
étude du dossier, audition et délibéré;
Pour
les motifs exprimés dans l'opinion écrite de M. le juge Michel Proulx, auxquels
souscrivent MM. les juges Jacques Chamberland et Jacques Philippon;
ACCUEILLE
le pourvoi; CASSE les verdicts de culpabilité et ORDONNE la tenue
d'un nouveau procès sur les deux inculpations de meurtre au deuxième degré;
Quant
au pourvoi contre l'ordonnance du juge de la Cour supérieure, vu le nouveau
procès ordonné, DÉCLARE ce pourvoi sans objet.
MICHEL PROULX, J.C.A.
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
JACQUES PHILIPPON, J.C.A. ad hoc
Me Réjean Lavoie, pour l'appelant
(St-Cyr, Lavoie)
Me Denis Dionne, pour l'intimée
Substitut du Procureur général
AUDITION: 16 novembre 1995.
1. Sullivan c. Louisiana,
113 S.Ct. 2078 (1993).
2. R. v. Sears (1948), 90 C.C.C. 159 (Ont.C.A.); R. v. Hogan (1983), 2 C.C.C. (3d) 557
(Ont.C.A.); R. v. Fischer (1987), 31 C.C.C. (3d) 303 (Sask.C.A.).
3. R. v. Schurman (1915), 23 C.C.C. 365 (Sask.S.C.); R. v. Sears, supra.
4. R. v. Blunden (1977), 30 C.C.C. (2d) 122 (Ont.C.A.).
5. R. v. Sears, supra; R. v. Hrynyk (1949), 93
C.C.C. 100 (Man.C.A.).
6. R. v. Roloson (1979), 42 C.C.C. (2d) 262 (Ont.C.A.).
7. R. v. Porteous and Delaney (1961), 129 C.C.C. 287 (Ont.C.A.).; R. v. Latta
(1972), 8 C.C.C. (2d) 530 (Alberta S.C. App.Div.).
8. R. v. Ford (unreported endorsement) 21 mars 1991, Ont.C.A., Toronto 1028/89; R. v.
Luvaglio (1969), 53 Cr.App.R. 1.
9. Miller c. Minister of Pensions [1947] 2 A.ll.E.R. 372.
10. R. v. Olbey (1971), 4 C.C.C. (2d) 103 (Ont.C.A.).
11. Boucher v. R., [1955] S.C.R. 16.
12. R. v. Pahuja (1987), 30 A.Crim.R. 118 (South AustraliaC.A.); R. v. Brydon (1995), 37 C.R. (4th) 1, 29 (B.C.C.A.).
13. Tremblay c. La Reine, [1995] R.J.Q. 2077 .
14. I express no
opinion on the judge's repeated elaboration of «beyond a reasonable doubt»
in terms of «moral certainty» (my emphasis). Though it has been held, for example by the
OntarioCourt of Appeal in R. c. Gordon, (1983) 4 C.C.C. 492 at p. 494, that the two expressions are
«synonymous,» the last word has not been written on the subject. The issue has recently been argued before, and reserved by, a
special five-member panel of the British Columbia Court of Appeal in R.
c. Brydon, C.A. 014886 (Vancouver Registry). In the United States, the phrase, «... an abiding conviction, to a moral
certainty» has been «caustically criticised as raising more questions
that it answers»: McCormick. McCormick on Evidence. 3rd ed. P. 963. As to the position in England, see Sidney Lovell Phipson. Phipson
on Evidence. 13th ed. by John Huxley Buzzard, Richard May and M.N. Howard. London: Sweet & Maxwell, 1982. P. 61-64,
nos. 4-31, where the perils of elaboration on «beyond a reasonable
doubt» are considered in detail. See also A.S.S. Zuckerman. The Principles
of Criminal Evidence. 1989. P. 140.
15. «... we do not
condone the use of the phrase. As modern dictionary definitions of
moral certainty attest, the common meaning of the phrase has changed since it was used in the Webster instruction, and it may
continue to do so to the point that it conflicts with the Winship standard. Indeed, the
definitions of reasonable doubt most widely used in the federal courts do not contain any reference to
moral certainty.» (p. 597)
16. Ferguson v. The Queen [1979] 1 All.E.R. 877, 882 (P.C.); Regina v. Allan [1969] 1 All.E.R. 91, 92; Regina v. Livingston, (1985) 46 C.R. (3d) 50
(Sask.C.A.).
17. R. v. Rose, [1996] B.C.J. no 665, 28 mars 1996, (B.C.C.A.) Vancouver, C.A. 018905.; R.
v. Brydon. supra.
18. Regina v. Tuckey Baynham and Walsh (1985), 20 C.C.C. (3d) 502 (C.A.Ont.); R. v.
Brydon, supra, (C.A.C.B.).
19. R. v. Brydon, Cour
Suprême du Canada, supra; Miller v. Minister of Pensions, supra; cette formule de Lord Denning dans Miller a cependant été écartée par le juge J. Arthur Martin dans Regina v. Campbell (1978) 38 C.C.C. (2d) 6 (Ont.C.A.).
20. R. c. Kritz (1949) 2
All. ER 406, 410.
21. Yap Chuan Ching (1976), 63 Cr.App.R. 7, 11.
22. «Preuve
pénale», Les Éd. Thémis, 1984.
23. «Summing-Up a
Criminal Case Asset or Liability?», Jury trials, Ottawa, Institut
National de la Magistrature, Novembre 1995.
24. «Errors to be
Avoided in a Judge's Charge to the Jury and Related Topics
of Special Interest» Jury trials,
Ottawa, Institut National de la Magistrature, Novembre 1995.
25. «Burden of
proof», Jury trials, Ottawa, Institut National de la Magistrature, Novembre
1995.
26. Marcotte c. The King (1950), 9 C.R. 209 (Que.K.B.).
27. «The
Principles of Criminal Evidence», Clarendon Press, Oxford, 1989, p. 131.
28. Bergeron c. La Reine, C.A.Q. no 200-09-000090-923, le 12 juin 1996 (les juges
Tourigny, Baudouin et Nuss).
29. R. c. Cooper, [1993] 1 R.C.S. 146 , pp. 155 et 156.
30. R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74 , 88.
31. (1995) C.A.
Alberta, no 15064, pages 4 et 5 de l'opinion. «The trial judge in this case
also used legal terminology in his charge when he could have avoided it. This practice is not uncommon. However, legal
jargon adds to the problems of a jury. Usually the trial judge must explain it.
In doing so, he or she increases the number of unfamiliar concepts with which the jury must wrestle. A trial judge
should therefore try to avoid legal terminology whenever possible. Quoting sections of the Criminal Code to a jury is not likely
to be of assistance. These sections are usually couched in legal terms.»
32. R. c. Cooper, supra, pages 163, 164.
33. R. v. Jackson, supra, p.
583.
34. R. v. Jackson, supra, p. 587.
35. R. c. Jackson, supra, p. 593.