COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000406‑908
(500‑01‑021626‑889)
(500‑36‑000655‑905)
Le 26 juin 1991
CORAM: LES HONORABLES KAUFMAN
DUBÉ
LeBEL, JJ.C.A.
SHAHROKH AMADZADEGAN-SHAMIRZADI,
APPELANTE
c.
MAXIMILIEN POLAK,
agissant es qualité de juge
de la Cour du Québec
INTIMÉ
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
MIS EN CAUSE
et
ME CLAUDE F. ARCHAMBAULT,,
MIS EN CAUSE
et
QUÉBEC LE GREFFIER DE LA COUR DU,
MIS EN CAUSE
La Cour, statuant sur le pourvoi de l'appelant Shahrokh Amadzadegan-Shamirzadi, contre un jugement de la Cour supérieure, chambre criminelle, prononcé à Montréal, le 17 décembre 1990, par l'honorable juge Jerry Zigman, rejetant sa requête pour certiorari, pour faire annuler une décision de l'honorable juge Maximilien Polak, de la Cour du Québec,
Pour les motifs exposés dans l'opinion de monsieur le juge LeBel, déposée avec le présent jugement, auxquels souscrivent messieurs les juges Kaufman et Dubé:
REJETTE le pourvoi.
_________________________
FRED KAUFMAN, J.C.A.
_________________________
ANDRÉ DUBÉ, J.C.A.
_________________________
LOUIS LeBEL, J.C.A.
ME CHRISTIAN DESROSIERS,
(Desrosiers, Provost)
pour l'appelant
ME JEAN LORTIE,
pour l'intimé
DATE D'AUDITION: 14 mai 1991
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500‑10‑000406‑908
(500‑01‑021626‑889)
(500‑36‑000655‑905)
CORAM: LES HONORABLES KAUFMAN
DUBÉ
LeBEL, JJ.C.A.
SHAHROKH AMADZADEGAN-SHAMIRZADI,
APPELANTE
c.
MAXIMILIEN POLAK,
agissant es qualité de juge
de la Cour du Québec
INTIMÉ
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
MIS EN CAUSE
et
ME CLAUDE F. ARCHAMBAULT,,
MIS EN CAUSE
et
QUÉBEC LE GREFFIER DE LA COUR DU,
MIS EN CAUSE
OPINION DU JUGE LeBEL
Reconnu coupable d'importation d'héroïne au Canada, encore en appel de cette condamnation, l'appelant Shahrokh Amadzadegan-Shamirzadi (Shamirzadi) veut maintenant arrêter le procès de l'avocat qui l'a représenté en première instance, Me Claude F. Archambault. Pour cette fin, il demande la réformation d'un jugement de la Cour supérieure, prononcé le 17 décembre 1990, par l'honorable juge Jerry Zigman, à Montréal. Celui-ci rejetait alors une requête en certiorari. Cette dernière demandait de casser des décisions rendues par l'intimé, le juge Maximilien Polak, de la Cour du Québec, au cours du procès d'Archambault, parce qu'elles comporteraient une violation du secret professionnel, auquel cet avocat était tenu à son endroit, dont il ne l'a pas relevé et, partant, celle de certains droits constitutionnels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. L'objectif ultime de cette procédure serait l'arrêt de l'instance pénale engagée contre Archambault.
L'ORIGINE DU LITIGE
Pour identifier et analyser les questions de droit posées par ce dossier, un rappel de son origine sera nécessaire. En 1988, la Couronne fédérale avait porté contre Shamirzadi des accusations de trafic de stupéfiants, c'est-à-dire d'héroïne. L'appelant avait mandaté Me Archambault pour le représenter à son procès. Avant le début de celui-ci, la police arrêta cet avocat. Elle l'accusa, avec Chantal Éthier, épouse de l'appelant, de conspiration pour incitation au parjure et entrave à la justice. Sans être accusé, Shamirzadi était désigné comme co-conspirateur. En substance, l'on reprochait à Me Archambault et à Chantal Éthier d'avoir conspiré avec Shamirzadi pour fabriquer de la preuve et organiser un parjure. L'on aurait approché un immigrant reçu au Canada, d'origine indienne, Anil Raniwalla. Celui-ci avait été en contact antérieurement avec Shamirzadi et aurait effectué des voyages à l'extérieur du Canada pour son compte. Selon la poursuite, Archambault et Éthier auraient voulu obtenir de Raniwalla qu'il témoigne au procès de Shamirzadi. Il y aurait déclaré qu'il s'était rendu en Inde pour rapporter, pour le compte de Shamirzadi, non des stupéfiants, mais des objets précieux, comme des diamants.
Connaissant l'implication de Raniwalla dans certains trafics illégaux, la Gendarmerie Royale du Canada le contacta et tendit un piège à Archambault. Raniwalla accepta de porter sur lui un dispositif d'enregistrement. Il l'utilisa au cours de conversations avec Éthier et Archambault, au bureau de celui-ci. Des interceptions d'écoutes téléphoniques à certaines adresses eurent également lieu. Les seules conversations d'Archambault que l'on ait enregistrées proviennent toutefois de cette opération d'écoute participative, menée avec le consentement, d'ailleurs confirmé par écrit, de Raniwalla. La police n'avait obtenu au préalable aucune autorisation judiciaire pour cette opération d'écoute participative. A l'époque, l'on estimait que cette autorisation n'était pas nécessaire.
Après le dépôt de ces plaintes, l'on cita Archambault à son procès. Celui-ci débuta devant le juge Polak. Après la preuve de la Couronne, l'avocat d'Archambault, Me Jacques Bouchard, souleva des objections qui provoquèrent éventuellement les procédures dont notre Cour est saisie. Il fit d'abord part au juge de ses craintes au sujet d'une atteinte possible au secret professionnel:
«... Et la défense que nous aurons à présenter, Votre Seigneurie, peut être handicapée du fait que le client de maître Archambault n'a pas relevé celui-ci de l'obligation de secret.
Ce qui veut donc dire, Votre Seigneurie, que certaines explications ne peuvent pas être données...» (m.a., p. 272)
Me Bouchard informa alors la Cour que le problème se posait aussi dans des procédures d'évocation contre une instance disciplinaire engagée par le Barreau du Québec contre Me Archambault (voir p. 273). Cette première mise en garde eut lieu le 27 août 1990. A l'audience du 28 août 1990, la défense évoqua à nouveau ce problème (voir m.a., p. 319). La défense évoqua même, à ce moment, la possibilité d'un huis clos pour traiter cette partie de la preuve (voir m.a., p. 319). La Cour reprenait à son tour cette suggestion, à l'égard de laquelle l'avocat de Me Archambault refusait, semble-t-il, de s'engager (voir m.a., p. 324).
Après le contre-interrogatoire de Raniwalla et de Chantal Éthier, le problème se souleva à nouveau en cours d'argumentation (voir m.a., pp. 418-419, p. 452). La défense alléguait être placée dans une situation impossible. Puisque Me Archambault n'était pas relevé du secret professionnel, il ne pouvait utiliser les informations qu'il possédait pour contre-interroger efficacement certains témoins. Il ne pouvait non plus présenter une défense pleine et entière et, en conséquence, réclamait l'arrêt des procédures entamées contre lui (voir m.a., p. 452). Pendant cette argumentation, Shamirzadi n'assistait pas au procès d'Archambault. Il n'avait pas non plus été assigné ou invité, de quelque façon, à y participer.
Le juge Polak refusa d'accueillir cette demande d'arrêt de procédure. Dans un jugement prononcé le 12 septembre 1990, il conclut que la poursuite avait fait une preuve prima facie de la participation de Shamirzadi à une conspiration criminelle avec Archambault et Éthier, pour fabriquer la preuve et organiser un parjure (voir m.a., p. 58). En conséquence, Archambault pouvait être relevé de son secret professionnel. Il ajoutait qu'il devait l'être aussi parce qu'une autre conclusion le priverait de son droit constitutionnel fondamental à une défense pleine et entière.
C'est après ce jugement que Shamirzadi intervint activement et ouvertement. Il présenta une requête pour émission d'un bref de certiorari (m.a., p. 74). Celle-ci recherchait la cassation de la décision du juge Polak et une déclaration que l'on avait violé les droits constitutionnels de l'appelant en vertu des articles 7, 11 et 26 de la Charte canadienne des droits et libertés et de l'article 9 de la Charte québécoise des droits de la personne. Ce recours échoua devant le juge Zigman. Celui-ci rendit un court jugement verbal, qui donna raison au juge Polak. Il se déclara satisfait qu'il existait une preuve prima facie d'une conspiration entre Shamirzadi et son avocat et, qu'en conséquence, il n'avait pas besoin d'autre preuve pour écarter le privilège client-avocat. De toute façon, si une erreur était survenue dans l'appréciation de la preuve, elle se situerait à l'intérieur de la compétence de la Cour du juge Polak et ne donnerait pas lieu à contrôle judiciaire par voie de certiorari (m.a., pp. 57-58). Enfin, le juge Zigman a considéré que la requête constituait un appel déguisé d'une décision interlocutoire en matière criminelle.
LES MOYENS D'APPEL
Dans son pourvoi, l'appelant a soulevé des moyens portant sur le type de preuve nécessaire pour mettre de côté le droit au secret professionnel dans le cas d'une allégation de fraude ou d'acte criminel. Par ailleurs, Shamirzadi soutient que la procédure suivie par le juge Polak comportait une violation de la règle audi alteram partem. Selon lui, on aurait dû l'inviter à participer au débat devant la chambre criminelle de la Cour du Québec, pour qu'il puisse y défendre son droit au secret professionnel. La violation de cette règle entraînerait alors perte de compétence de la part du premier juge. Il plaidait aussi que le droit au secret professionnel devait, de toute façon, prévaloir sur le droit du prévenu Archambault à une défense pleine et entière. Enfin, il représentait qu'il ne s'agissait pas d'un appel déguisé d'un jugement interlocutoire, mais d'un recours approprié dans les circonstances.
Ce dernier moyen n'a pas à être discuté longuement. Sans concéder que le recours soit bien fondé, la Couronne ne conteste pas devant notre Cour que la requête pour certiorari soit le moyen procédural approprié, qui soit normalement utilisable pour porter un tel type de problème devant la Cour supérieure.
La première question à traiter sera donc celle du secret professionnel, de l'exception applicable dans le cas d'utilisation de ce privilège pour des fins criminelles ou frauduleuses et du type de preuve requis pour relever l'avocat du secret professionnel. L'on examinera ensuite le problème allégué de la règle audi alteram partem et, enfin, s'il y a lieu, la question du conflit entre le droit à une défense pleine et entière et celui du secret professionnel.
On doit se rappeler, cependant, au départ, une caractéristique de la procédure engagée devant la Cour supérieure puis devant notre Cour, sur laquelle la Couronne a d'ailleurs insisté. L'on ne porte pas en appel le jugement du juge Polak. L'on demande d'exercer un contrôle juridictionnel sur l'existence et l'exercice de la compétence que possédait celui-ci sur les infractions. Un tel recours ne permet pas de réviser les décisions rendues à l'intérieur de la juridiction du tribunal. Il ne nous appartient pas notamment de réévaluer, en principe, ses décisions sur la preuve ou sur le droit, simplement parce que l'on aurait conclu différemment (voir Skogman c. La Reine, (1984) 13 C.C.C. (3rd) 161, pp. 166-167, monsieur le juge Estey; Beauchesne c. Procureur général du Québec, (1988) 2 R.C.S., p. 254). Sous cette réserve, il faut examiner s'il y a eu atteinte à la compétence du juge de la Cour du Québec, par les décisions qu'il a prises.
Par ailleurs, on doit au préalable faire une remarque quant au moyen principal proposé par la Couronne. Dans son mémoire et à l'audience, celle-ci a soutenu que les questions soulevées par l'appelant avait un caractère artificiel et prématuré. Dans l'état du dossier, il est impossible de jauger les intentions du procureur de Me Archambault ou de l'appelant, dans cette affaire. L'examen de l'argumentation et de la preuve reproduite en première instance indique cependant que Me Bouchard a soulevé un débat réel, peut-être à des fins tactiques, dans ce dossier et dans celui de Shamirzadi. Il a affirmé, comme avocat d'Archambault, l'impossibilité pour lui, à la fois, de faire entendre son client et celle de procéder à certains éléments de contre-interrogatoire, notamment à l'égard de Chantal Éthier, sans dégagement de l'obligation au secret professionnel. Il n'était pas nécessaire de l'obliger à poser à son client ou à Chantal Éthier des questions que le juge aurait dû arrêter pour amorcer une discussion sur le secret professionnel. Le débat présentait un caractère réel et le juge Polak, la Cour supérieure, comme notre Cour, doivent trancher les problèmes soulevés. Ils ne peuvent se contenter de rejeter le pourvoi comme ne soulevant aucune question susceptible d'adjudication par les tribunaux. Au contraire, il suscite des questions délicates, qui méritaient examen par la Cour.
LA MISE DE COTÉ DU SECRET PROFESSIONNEL EN CAS DE CRIME OU DE FRAUDE
Le secret professionnel de l'avocat a joué un rôle fondamental, notamment dans l'établissement du système de justice pénale. Tant pour assurer la liberté totale des échanges du client avec son procureur, en lui garantissant leur confidentialité, que l'efficacité de son droit à une défense pleine et entière par la possibilité même d'un échange libre et ouvert avec le procureur, il est apparu comme l'une des conditions du fonctionnement effectif de la justice criminelle (voir, par exemple, Geoffrey C. Hazard, «An historical perspective on the Attorney client privilege», (1978) 66 California Law Review 1061, p. 1069 et ss.). Il correspond à une nécessité sociale de préservation de la liberté et de l'efficacité de la défense vis-à-vis un acte criminel passé.
Comme il fait partie du droit criminel, les fondements et les modalités du secret professionnel de l'avocat, dans la mesure où on l'invoque en ces matières, relèvent des règles de common law. Elles en ont été identifiées comme des composantes essentielles de la justice pénale (voir, par exemple, Descoteaux c. Mierzwinski, (1982) 1 R.C.S. 860; Solosky c. R., (1980) 1 R.C.S. 821). L'on croit même trouver, aujourd'hui, dans un certain nombre de dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, un fondement constitutionnel à ce privilège, notamment dans l'article 7 sur le droit à la sécurité et à la liberté de la personne, l'article 10b), sur le droit de consulter un avocat en cas d'arrestation et de détention, le droit à la garantie à un procès juste devant un tribunal indépendant (art. 11d) ou, encore, dans la protection contre l'auto-incrimination en vertu de l'article 12.
Si importante que soit l'institution du secret professionnel de l'avocat en droit pénal, elle connaît cependant une limite importante, établie depuis longtemps. Ce secret, qui appartient au client, peut être néanmoins levé lorsqu'il a été détourné de sa finalité sociale et juridique. Protégé fermement tant que l'intention du client demeure d'assurer sa défense vis-à-vis un crime passé, il ne saurait être utilisé pour favoriser ou préparer la commission d'un crime. Il s'agit de l'exception de crime ou de fraude. En pareil cas, un tribunal a droit de dégager l'avocat de l'obligation de respecter le secret professionnel. Celui-ci peut alors être interrogé sur ses communications avec son client et le contenu de celles-ci peut être versé en preuve. La common law britannique a établi et conservé ce principe (voir notamment R. c. Cox and Railton, (1884) 14 Q.B.D. 153, p. 167; Bullivant c. Attorney General of Victoria, (1901) A.C. 196; O'Rourke c. Darbishire, (1920) A.C. 581; Phipson, On Evidence, 13 ed., Londres, 1982, Sweet & Maxwell, pp. 299-300).
La Cour suprême du Canada a reconnu que cette limitation faisait partie des règles d'aménagement du droit au secret professionnel en droit canadien. Monsieur le juge Lamer la commentait ainsi, dans l'arrêt Descoteaux c. Mierzwinski:
«Confidentielles qu'elles étaient aux moyens financiers ou à la nature des problèmes, les communications ne le sont plus si et dans la mesure où elles ont été faites dans le but d'obtenir des avis juridiques pour faciliter la perpétration d'un crime. A forciori, en est-il de même lorsque, comme en l'espèce, la communication elle-même est l'élément matériel (actus reus) du crime et c'est d'autant plus évident lorsque la victime du crime est précisément le bureau de l'avocat à qui la communication a été faite...» (loc. cit., p. 880; voir aussi p. 893; voir également Gosselin c. R., (1903) 33 R.C.S. 255, p. 277, monsieur le juge Davies; R. c. Huculak, (1963) R.C.S. 266, p. 272, confirmant (1963) 1 C.C.C. 297, (Alta C.A.) aussi Sopinka and Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases, Toronto, Butterworths, (1974) pp. 176-177); Fortin, La preuve pénale, Montréal, Les Éditions Thémis, (1984) p. 137)
L'existence de cette restriction comporte une recherche d'intention afin d'identifier le but recherché par le client. Lorsque la consultation a été sollicitée pour commettre un crime, non pas pour organiser la défense contre l'accusation déjà portée ou dont on s'estime menacé, il n'est pas de privilège qui tienne. La présence de cette intention illégale viole la politique juridique qui justifie l'existence du privilège de l'avocat:
«If the client seeks legal advice in order to further illegal activities this policy is not promoted and the privilege should be pierced.» (Note: Developments: Privileged Communications, (1985) 98 Harvard Law Review 1450, p. 1510)
Si l'on s'accorde pour reconnaître que l'exception à l'application du secret professionnel, en cas de consultation pour fins de crime ou de fraude, existe et s'applique dans notre droit, comme en droit criminel anglais ou américain, on s'entend moins pour identifier une méthode suivant laquelle l'on aura accès au contenu de la communication privilégiée, malgré le privilège de l'avocat. La Cour suprême du Canada ne paraît pas s'être prononcée sur cette question jusqu'à présent (voir A. Gold et al, (1985) Annual Criminal Review of Criminal Law, Carswell, Toronto, pp. 156 et ss.). On a envisagé diverses solutions. On s'est demandé si une simple allégation d'une consultation pour fins criminelles ou frauduleuses suffisait pour permettre l'interrogatoire du conseiller juridique. D'autres, comme l'appelant, ont soutenu qu'il fallait démontrer au préalable, suivant les critères les plus stricts de la preuve pénale, c'est-à-dire au-delà d'un doute raisonnable, que la communication privilégiée avait eu lieu à des fins criminelles. L'appelant reconnaît toutefois que, jusqu'à présent, une solution médiane a prévalu, mais soutient qu'elle devrait être changée.
Cette approche intermédiaire n'exige pas une preuve hors de tout doute raisonnable de l'utilisation pour une fin criminelle du privilège de l'avocat. Elle ne se satisfait pas non plus d'une simple allégation par la partie désirant mettre de côté le droit au privilège professionnel. Elle exige plutôt que la poursuite, dans ce cas, établisse un certain nombre de faits, qui rendent probable que le client ait entendu consulter pour des fins criminelles ou frauduleuses. Cette solution intermédiaire elle-même comporte des variantes. En droit américain, l'on semble, à l'occasion, permettre, par des procédures d'audition à huis clos, d'entendre l'avocat pour déterminer si la communication avait une fin criminelle. Par son contenu, l'on constatait l'affirmative. Elle pourrait être ensuite communiquée en audience publique (voir U.S. c. Zolin, (1989) S.ct. 2619; Clark c. U.S., (1933) 53 S.ct. 465, p. 469). Avant de s'engager dans un tel examen "in camera", il faudrait toutefois établir un fondement factuel préliminaire qui porterait à une croyance raisonnable, par une personne honnête que la communication privilégiée aurait été utilisée à des fins criminelles (U.S. c. Zolin, opinion de monsieur le juge Blackmun, p. 2631).
La solution, qui semble la plus généralement acceptée, voudrait que l'on recherche s'il existe un ensemble de faits dont l'ensemble établit une sorte de preuve circonstancielle permettant de conclure probablement au détournement du secret de la communication privilégiée de cette preuve ainsi que la probabilité de l'existence d'une intention chez le client de commettre un crime ou une fraude grâce à la communication privilégiée. Cette solution apparaîtrait conforme au droit existant pour le procureur de la Couronne, qui a d'ailleurs argumenté qu'il suffisait qu'une preuve prima facie établisse l'utilisation de la communication privilégiée à des fins criminelles.
Dans sa forme actuelle, la règle découle de la jurisprudence anglaise, qui l'a confirmée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. La règle appliquée par le juge du procès, en l'espèce, découle principalement de l'arrêt anglais O'Rourke c. Darbishire, (1920) A.C. 581. On y a examiné comment invoquer le privilège de l'exception à la règle de la confidentialité de la communication privilégiée entre le client et l'avocat. En l'espèce, il s'agissait de déterminer si des solicitors avaient falsifié certains actes afin de léser une partie. La Chambre des Lords reconnaissait qu'une cour pouvait écarter le privilège s'il existait des fondements, en fait, une preuve prima facie d'une utilisation à des fins criminelles. Ainsi, ces remarques dans l'opinion du Vicomte Lindley exigeaient:
«Some prima facie evidence that there is some foundation in fact...» (p. 604)
Une autre opinion, celle de Lord Sumner, ajoutait:
«The Court will exercise its discretion, not merely on the terms in which the allegation is made, but also as to the surrronding circumstances for the purpose of seeing whether the charge is made honestly and with sufficient probability of its truth to make it right to disallow the privilege of professional communications.» (p. 613)
On ajoutait qu'il fallait à la fois:
«Accusation and proof of a prima facie case.» (au même sens, voir Lord Parmoor, p. 621)
Dans l'arrêt antérieur de Bullivant c. Attorney General of Victoria, le Conseil privé n'avait pas examiné de façon précise la question du type de preuve requis pour écarter le privilège. Il avait toutefois souligné qu'il fallait plus qu'une simple allégation, si circonstanciée qu'elle soit.
Cette question de preuve pose un problème difficile pour les tribunaux. Si l'on se satisfait d'une simple allégation, on le réduit à néant, à toutes fins pratiques, au gré de la partie. A l'inverse, si l'on adopte la thèse de l'appelant, on le rend impénétrable. Le dilemme a été bien vu et expliqué dans un jugement de la Cour supérieure, prononcé par monsieur le juge Jean-Guy Boilard (R. c. Giguère, (1978) 44 C.C.C. (2d) p. 525). Il exposait ainsi la question:
«However, if the communication is made with the purpose of the client obtaining information liable to facilitate commission of a crime, whether or not this is known to the solicitor, the privilege ceases to exist.
This is where it is difficult, however, to determine how to decide the legitimacy of the existence of the privilege. Must the Courts rely upon the declaration presumably of good faith, made by the lawyer that the law compels him to claim the privilege? Or must the Court grant and be satisfied with the mere dispute over the existence of the privilege, a dispute made by one who denies its existence and who seeks to lead evidence of the privileged communication?
Finally, to resolve this dilemma, should the Court compel the solicitor to reveal the privileged communication that he has the duty to keep secret during a voir dire held in the presence of the accused, his counsel, counsel for the prosecution, and the Court personnel? There remains perhaps to determine whether the public may be present or not.
This latter solution seems to have been used by the Ontario Court of Appeal in R. v. Bencardino and de Carlo (1973), 15 C.C.C. (2s) 342, 2 O.R. (2d), 351, 24 C.R.N.S. 173. And I refer specifically to the reasons of Jessup, J.A.. I quote [at p. 349]:
In my opinion, the new trial Judge should conduct a voir dire as to what Quaranta said to Mr. Greenspan and if it appears that Quaranta was not seeking legal advice, but rather relief from intimidation in prison, or if it appears that he expressly or impliedly authorized Mr. Greenspan to divulge his plight to the authorities, then I think Mr. Greenspan can be required to testify before the jury as to what Quaranta said to him in that connection.
With much respect for Mr. Justice Jessup, to adopt this solution will be equivalent, I think, to ignoring the absolute character of the privilege, if it exists. It appears doubtful to me, and I say so with much respect, that on one hand one may authorize or even order a disclosure, perhaps semi-public, of the privileged communication in order to thereby declare it to be absolutely and definitively privileged and then to order the lawyer not to reveal it.» (pp. 528-529)
Le juge considérait comme applicable au Canada la solution retenue par la Chambre des Lords dans O'Rourke c. Darbishire. Il exigeait alors des éléments de preuve confirmant prima facie les allégations d'utilisation du secret professionnel à des fins criminelles:
«The solution to this problem seems to me to be proposed by the House of Lords in O'Rourke v. Darbishire, cited above, where it was decided that, even when claimed by the lawyer, the privilege will cease to exist if the who contests it not only alleges that the communication was made in order to facilitate the commission of a crime, but supports this assertion with prima facie evidence which in some way confirms this assertion.» (p. 529)
La méthode suggérée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. c. Bencardino et De Carlo (1973) 15 C.C.C. (2d) 342, comme le soulignait le juge Boilard, comportait l'inconvénient de contraindre à une divulgation du secret professionnel. Pour déterminer s'il devait être préservé, elle obligeait le juge à en faire dévoiler le contenu, même si cela survenait dans le cadre d'un voir dire et à huis clos. La méthode suggérée par le juge Boilard, fondée sur la jurisprudence anglaise, assure un meilleur équilibre des droits du client et de ceux de la poursuite. Elle retient l'importance fondamentale de ces communications mais, en même temps, préserve une possibilité d'accès à celles-ci, pour vérifier si on ne les a pas détournées de leur finalité. Cette possibilité se trouve basée sur l'existence d'une preuve circonstancielle, rendant probable l'existence d'une intention illicite. Cette méthode a été généralement jugé appropriée par les auteurs:
«It is submitted that the fundamental importance of such communications require a clear rule to the effect that an apparently privileged communication can be revealed on the basis of the fraud or future crime exception only after a prima facie showing of the exceptions application. To that point, the communication itself cannot be resorted to since the apparent privilege remains...» ( A. Gold, loc. cit., p. 1591; voir aussi, au même effet, Sopinka et Lederman, p. 177; McWilliams, Canadian Criminal Evidence, 3rd ed., Canada Law Book, p. 35-47; voir Fortin, La preuve pénale, p. 138)
L'appelant soutient que cette règle devrait être mise de côté. Il prétend s'appuyer notamment sur certains commentaires contenus dans les notes infra paginales de l'opinion du juge Blackmun, dans l'affaire Zolin (loc. cit., pp. 2026-2027). Cet arrêt ne contient de toute façon aucune conclusion semblable. Au contraire, il applique les règles traditionnelles suivant les modalités retenues par le droit américain. Avec égards, l'on n'a pas établi de justification pour une modification de cette règle. Tel que proposée par l'appelant, en exigeant une preuve hors de tout doute raisonnable de l'utilisation dans le cadre d'un crime, elle amènerait à abroger pratiquement l'exception établie par la jurisprudence au privilège de la communication. Pour que la communication cesse d'être privilégiée, il faudrait une preuve indépendante, hors de tout doute raisonnable, démontrant qu'elle avait servi à la commission ou à la planification d'un crime. Il faudrait, en somme, que le crime puisse être établi par d'autres sources, conformément aux standards généraux de la preuve pénale. A ce moment-ci, si cette preuve était disponible, la levée du secret professionnel deviendrait inutile. Si l'on ne pouvait établir la commission du crime et son lien avec la communication privilégiée hors de tout doute raisonnable, le secret professionnel ne pourrait être levé. Dans l'un ou l'autre cas, en établissant une règle de preuve de cette nature, l'on assurerait la préservation du secret professionnel d'une communication intervenue, même dans le but de commettre un crime futur. Cette interprétation avait déjà été écartée par le Conseil privé, dans l'arrêt Bullivant c. Attorney General of Victoria, où Lord Halisbury décrivait ainsi cet argument et ses conséquences:
«If you are to say "I will not say what these communications are because until you have actually proved me guilty of crime, they must be privileged as confidential", the result would be that they could never be produced at all, because until the whole thing is over, you cannot have proof of guilt.» (pp. 200-201)
La règle de common law, telle que dégagée à partir de l'arrêt Darbishire, représente un équilibre entre des intérêts sociaux et juridiques contradictoires. Elle empêche le détournement du secret professionnel de sa finalité. Elle évite que son contenu ne soit révélé sans une vérification attentive d'une preuve circonstancielle de l'intention capable d'établir, sur une balance des probabilités, son utilisation à des fins criminelles. La modification d'une telle règle ne s'impose pas, même depuis l'entrée en vigueur de la Charte. Les garanties juridiques de celle-ci ne paraissent pas exiger la confidentialité totale de communication professionnelle à fins criminelles. Il faut plutôt examiner ici l'argumentation subsidiaire quant à l'existence d'une telle preuve dite prima facie de la participation de Shamirzadi à une conspiration avec avocat et son épouse, pour fabriquer de la preuve.
L'ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE
Dans une argumentation subsidiaire par rapport à ses moyens principaux, l'appelant plaide que, de toute façon, même à l'intérieur de la règle appliquée par le premier juge, l'on aurait dû continuer à considérer la communication comme privilégiée. Il aurait fallu que l'on établisse que Shamirzadi participait à la conspiration. Selon lui, aucun élément de preuve, légalement admissible, ne permettait d'y conclure. Les éléments principaux de la preuve se retrouveraient dans la transcription des conversations de Raniwalla, principalement celles qu'il eut au bureau d'Archambault, alors qu'il portait une enregistreuse. Or, selon la jurisprudence de la Cour suprême, une telle écoute participative était illégale (R. c. Duarte (1990) 1 R.C.S., p. 30).
Par ailleurs, il n'existerait aucune preuve indépendante, au sens de l'arrêt R. c. Carter (1982) 1 R.C.S. 938, de la participation de Shamirzadi à la conspiration. En conséquence, faute de celle-ci, les autres éléments de preuve, quant à sa participation, notamment le ouï-dire résultant des écoutes électroniques et des conversations entre les autres parties, ne suffiraient pas à établir celle-ci. Encore une fois, devant l'absence de preuve de la participation de Shamirzadi, le privilège d'une conspiration criminelle et de l'utilisation de la communication privilégiée pour ces fins, le privilège professionnel devrait subsister dans son intégralité.
Le premier moyen tiré de l'arrêt Duarte doit être rejeté. Il est exact que celui-ci a rendu illégales des formes de surveillance et d'écoute participative, comme celle qui a été utilisée ici. Celle-ci était généralement considérée comme licite auparavant. Suivant cet état des choses et de la bonne foi des policiers qui ont mené l'enquête, le juge Polak a refusé d'écarter cette preuve en vertu de l'article 24 de la Charte. Elle ne comportait rien qui soit de nature à déconsidérer la justice. L'on ne nous a pas démontré que cette décision était contraire aux critères d'application de cet article 24 et ait porté atteinte à sa compétence juridictionnelle.
Par ailleurs, à l'égard de la conspiration, le premier juge, a examiné l'ensemble de la preuve et noté des éléments qu'il considérait comme comportant une confirmation de la participation de Shamirzadi. En plus du résultat des écoutes électroniques, l'on pouvait relever dans la preuve l'existence de rencontres entre Archambault et son client, l'engagement d'Archambault à l'égard de Raniwalla de faire cesser les menaces que Shamirzadi avait faites à celui-ci, l'existence même de ces menaces. Les éléments de faits, à supposer même qu'ils aient été nécessaires, constituaient des éléments de preuve indépendants, qui rendaient admissible le contenu des écoutes électroniques.
Ce contenu était par ailleurs incriminant, à la fois, pour toutes les parties. Il permettait au premier juge de conclure comme il l'a fait de l'existence d'un complot impliquant Éthier, Shamirzadi et Archambault et, en conséquence, de considérer qu'il pouvait «percer» le secret professionnel. A cet égard, il sera utile de citer ces passages de la décision du juge Polak:
«La question qui se pose maintenant pour déterminer la légitimité de l'existence du privilège est de savoir si en préparation de la défense du procès de A.S. il y a une preuve prima facie d'un complot, d'une entente, entre ARC, C.E. et A.S. pour conseiller R de commettre un parjure, une fabrication de preuve et une tentative d'entrave à la justice.
R a témoigné qu'en octobre 1988, A.S. et C.E. ont fait pression sur lui pour rencontrer ARC et devenir un témoin dans le dessein de sauver A.S. En fait R demeurait à ce moment dans l'appartement d'un certain Ahmad, qui était également recruté par A.S. et C.E. pour témoigner. A deux ou trois occasions, des discussions concernant la défense de A.S. eurent lieu entre C.E., Ahmad, et R.
Pendant cette période ARC .était l'avocat de A.S. et préparait la défense. Le 31 octobre, 1988, une réunion a eu lieu au bureau de ARC. Réunion où étaient présents ARC, C.E., R. et une autre avocate faisant partie du bureau de ARC. Cette discussion fut enregistrée au complet sur les cassettes produites comme exhibit P-4 en liasse. Remarquons que cette réunion a été précédée peu de temps auparavant d'une autre discussion avec le témoin Ahmad, et qui a résulté dans un brouillon d'une déclaration qui devrait se parfaire plus tard.
En attendant l'arrivée d'ARC au bureau, il y a eu une discussion entre C.E. et R. dans laquelle C.E. explique qu'à la place d'importation d'héroïne on dira plutôt qu'il s'agit de diamants. Dans ce contexte le témoignage de R. pourrait être la clé pour la liberté de A.S. Elle lui expliquait qu'il ne s'agissait pas d'une simple rencontre mais qu'il y aurait beaucoup de discussions et de vérifications pour voir ce qui pourrait être retenu comme bon.
R référait à un reçu que A.S. lui avait demandé d'obtenir des Indes, soit pour prouver l'importation du cuir ou de l'ivoire. C.E. l'informait que selon ARC, après discussion avec A.S., ceci était trop compliqué et que cela devrait être plutôt ce qui a meilleure valeur aux Indes, c'est-à-dire des diamants.
ARC se joignit à la réunion et indiqua à R qu'il pourrait être d'une grande importance pour la cause mais qu'il ne savait pas si R voulait aider A.S. beaucoup ou simplement l'aider. Il lui expliqua qu'il comprenait que R voulait aider sans pour autant se nuire à lui-même, mais que ARC devait savoir ce que R dirait en cour pour aider A.S. ARC indiquerait alors les points qui seraient dangereux et le pourcentage de chances d'avoir des problèmes. Il disait également qu'il n'était pas encore certain s'il voulait se servir de R comme témoin, mais il voulait savoir s'il était prêt à tenter d'aider A.S.
Il y eut ensuite des discussions en détail sur la vraie transaction, c'est-à-dire l'achat de trois kilos d'héroïne et sur la question pourquoi les deux courriers n'auraient rapporté finalement qu'un kilo.
ARC disait qu'il voulait démontrer à la Cour que les courriers importaient l'héroïne pour leur usage personnel. Il voulait savoir ce que R dirait de cela.
Ensuite une discussion eut lieu concernant l'hypothèse d'importation des diamants et leur valeur. La discussion révélait que R. ne se connaissait pas en diamants. Puis la discussion porta sur le prix de l'or aux Indes pour finalement constater que celui-ci était beaucoup trop cher.l Il était également question de menaces de la part de A.S. contre R si ce dernier n'obtenait pas des Indes un reçu ou un document pour bonifier l'importation d'un produit autre que l'héroïne. Arc a dit qu'il suggérerait à son client d'arrêter immédiatement ces menaces. ARC suggéra à R de réfléchir à la question de savoir s'il veut témoigner ou pas et lui de son côté réfléchira et avisera R du pourcentage de chances. Il lui réitérait encore qu'il était très important de l'avoir rencontré et que R et Ahmad étaient très importants et qu'il apprécierait beaucoup qu'il revienne le voir.
Pendant la discussion du 2 novembre 1988, entre R et C.E., discussion qui est également enregistrée et reproduite sur l'exhibit P-5, C.E. relate qu'elle a vu A.S. ce matin et qu'elle avait parlé des menaces A.S. préférait faire lui-même l'histoire et avant de savoir si R devait témoigner, on voulait mettre l'histoire au point. Seulement après que l'histoire est bonne on procède.
L'analyse de cette preuve démontre qu'il y a une preuve prima facie d'une conspiration entre ARC, C.E. et A.S., pour conseiller R de commettre un parjure, une fabrication de preuve et tentative d'entrave à la justice.
L'accusé ne peut donc pas invoquer le secret professionnel entre lui et A.S. pour se déclarer incapable de présenter une défense pleine et entière et avoir un procès équitable.» (m.a., pp. 67 à 70)
En étudiant le problème de la levée du secret professionnel, il faut se garder de traiter cette question comme s'il fallait établir la participation de Shamirzadi à son procès, pour relever son avocat du secret professionnel. Sur la base de règles de common law établie, découlant de l'arrêt Darbishire, lorsque l'on parle de preuve prima facie, l'on traite d'une preuve circonstancielle, qui rend probable, conformément à un critère de balance des probabilités, que la communication privilégiée a été utilisée pour les fins de la commission d'un crime. Or, ici, en raison des écoutes électroniques et les contacts entre parties, il existe un ensemble de circonstances qui, par des inférences logiques et concordantes, rendaient probable la conclusion que Shamirzadi était au courant des démarches d'Éthier et d'Archambault, qu'il les approuvait et qu'il y participait. Le premier juge, à cet égard, pouvait peser l'ensemble des circonstances, y compris la version donnée par Éthier au cours de l'enquête devant le juge Polak, lorsqu'il affirmait que Shamirzadi lui interdisait de communiquer avec Raniwalla. Le juge pouvait l'évaluer dans le cadre de l'ensemble de la preuve et il n'a pas commis d'erreur de droit à sa compétence.
Il n'est pas alors nécessaire, à mon avis, d'examiner l'autre moyen, celui basé sur la nécessité d'assurer le droit à une défense pleine et entière. Bien que traitée par le juge Polak, cette question devra sans doute être examinée à l'occasion d'une autre affaire, puisque le sort du présent pourvoi peut être réglé sans qu'il y ait lieu de se pencher sur cette question. Je n'entends pas exprimer d'opinion à son sujet.
LA VIOLATION DE LA REGLE AUDI ALTERAM PARTEM
L'appelant a insisté également sur un autre moyen qui, selon lui, porte sur la compétence du juge Polak. Il allègue qu'une violation de la règle audi alteram partem aurait été commise à son endroit. Puisque la décision sur le secret professionnel affectait les droits de l'appelant, il aurait fallu qu'il fût appelé en cause et entendu. Autrement, le juge Polak violait les règles de justice naturelle dans l'un de leurs éléments fondamentaux.
Au soutien de son argumentation, l'appelant invoque notamment un arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Bell c. Smith, (1968) R.C.S. 664. Cet arrêt ne pose pas un principe semblable. Il se borne à reconnaître la règle générale que la préservation du secret professionnel est une obligation de l'avocat, tout comme celle de la Cour. Celle-ci doit s'assurer que le secret professionnel est respecté. Elle doit même intervenir si elle s'aperçoit qu'un avocat n'est pas suffisamment conscient de ses obligations et s'apprête à témoigner en violation de ce secret, sans que l'on se trouve dans l'un des cas qui permette de le contourner.
Dans ce cas, l'on ne saurait certes reprocher au juge Polak de ne pas avoir adopté cette attitude. Il a demandé si Me Archambault avait obtenu une renonciation au secret professionnel. Il a tenu une audition sur les circonstances qui auraient permis de le relever de ce secret. Devait-il pour autant y requérir la présence de Shamirzadi et son intervention dans le débat?
Pour qu'il y ait violation de la règle audi alteram partem, il faut une obligation légale d'entendre la partie (voir sur l'ensemble du sujet: P. Lemieux, La règle audi alteram partem: principe et domaine d'application, développements récents en droit administratif, Formation permanente du Barreau du Québec, Les Éditions Yvon Blais, 1990, p. 1; voir aussi les développements dans R. Dussault et L. Borgeat, Traité de droit administratif, T. III, pp. 348 et ss.). Notre système de justice est contradictoire, en règle générale. Il suppose l'obligation d'entendre toutes les parties avec le contenu implicite que cela peut supposer: notification d'avis d'audition, précisions sur la question en litige, etc.
Dans la mise en oeuvre de ces principes, l'on doit cependant tenir compte du contexte où l'on se trouve. L'argument de l'appelant néglige ce facteur fondamental que le débat sur le secret professionnel est engagé dans une instance criminelle. Le procès pénal, dans le système établi par le Code criminel, en vertu de la common law britannique, est une instance publique. Il oppose l'État, responsable de la poursuite, et le prévenu. En principe, il se déroule exclusivement entre eux. Cette règle est si fermement fixée, que même si la procédure est déclenchée à l'initiative d'une partie privée, le Procureur général ou ses substituts possède le pouvoir d'arrêter l'instance ou de la continuer contre le gré de la partie. Également, même la victime, sauf dans un cadre restreint, à l'occasion du prononcé de la sentence, ne jouit pas de pouvoir d'intervention.
Il serait
indéniable que Shamirzadi possédait un intérêt dans le secret professionnel de
son avocat. Cet intérêt n'en faisait pas pour autant une partie, même de façon
incidente, au procès pénal. Il ne lui donnait pas le droit d'être entendu. La
reconnaissance de l'intérêt requis pour intervenir dans une instance,
particulièrement au niveau des juridictions d'appel et sur les questions de
droit constitutionnel (voir sur cette question, Borowsky c. Procureur
général du Canada, (1989) 1 R.C.S. 342) ne signifie pas pour autant que la
partie qui en bénéficie a un droit d'être appelée en cause et que la violation
de celui-ci emporte celle de la règle audi alteram partem. Le premier
juge devait certes veiller à l'intérêt public, que présentait le respect de la
règle du secret professionnel. Il l'a fait. Il n'avait pas l'obligation de
reconnaître à Shamirzadi le droit d'être présent dans cette partie de
l'instance. Il demeure, de plus, que si jamais une preuve des communications
entre Shamirzadi et son avocat devait être faite dans une instance éventuelle
ou dans un nouveau procès résultant de l'appel de son propre appel, qu'il
serait parfaitement libre de reprendre tout le débat pour son propre compte.
Pour l'ensemble de ces motifs, il y aurait lieu de rejeter ce pourvoi.
LOUIS LeBEL, J.C.A.