C A N A D A

Province de Québec

Greffe de Québec

 

 

No:   200‑10‑000069‑877

 

 

     (200‑01‑004420‑869)

 

Cour d'appel

 

____________________________

 

 

Le 16 novembre 1989

 

 

 

CORAM :   Juges Dubé, Nichols et LeBel

 

 

____________________________

 

 

RÉAL MARCEAU, accusé appelant,

 

 

c.

 

 

LA REINE, poursuivante intimée

 

 

____________________________

 

 

 

    LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un verdict de culpabilité rendu le 10 avril 1987 par un jury présidé  par  l'honorable juge Jean Bienvenue de la Cour supérieure du district de Québec le déclarant coupable de meurtre au premier degré pour avoir illégalement causé la mort d'Eric Fournier, à Québcc, district de Québec, le ou vers le 6 juillet 1986;

 

 Après étude du dossier, audition des procureurs et délibéré;

 

  Pour les motifs exprimés aux opinions de messieurs les juges André Dubé et Marcel Nichols produites avec le présent arrêt, monsieur le juge Louis LeBel souscrivent à l'opinion du juge Nichols:

 

 Accueille le pourvoi;

 

 Ordonne un nouveau procès sur la même accusation. JJ.C.A.

 

 Opinion du juge Nichols

 

  A l'issue d'un procès par jury échelonné sur 25 jours d'audience l'appelant a été déclaré coupable de meurtre au premier degré et condamné à l'emprisonnement à perpétuité pour avoir poignardé Eric Fournier à Québec le 6 juillet 1986.

 

  Parmi les sept motifs d'appel qui ont été plaidés par son procureur il s'en trouve un sur lequel nous avons insisté de façon particulière lors de l'audition et qui m'amène à conclure qu'un nouveau procès devrait être ordonné.

 

 Il s'agit de l'expulsion de l'appelant.

 

 Ce motif met en cause le délicat équilibre entre le droit d'un accusé d'être présent dans la salle d'audience pendant son procès et le pouvoir discrétionnaire accordé au juge qui préside un procès d'expulser l'accusé s'il est d'avis, selon l'article 650 (2)a) du Code criminel "qu'il se conduit mal en interrompant les  procédures, au point qu'il serait impossible de les continuer en sa présence".

 

 Le crime dont il s'agit est particulièrement sordide.  Je ne crois  pas  qu'il  soit  ici nécessaire d'en relater les circonstances.

 

 Il n'est pas douteux que ce soit l'appelant qui ait poignardé la victime. La défense en est une d'aliénation mentale. Le jury ne l'a pas retenue.

 

  L'appelant était représenté par un procureur tout au long du procès.

 

 A de multiples reprises, malgré les avertissements du juge et les admonitions de son procureur, l'appelant est intervenu soit en gesticulant pour montrer sa désapprobation, soit par des remarques destinées à contredire les faits dont on témoignait ou encore en proférant des propos grossiers ou injurieux.

 

  Le procureur de l'appelant ne nie pas que le comportement de celui-ci ait pu rendre la tâche du juge plus difficile mais il soutient que ces interventions, dans le contexte particulier du procès où elles ont eu lieu et en, tenant compte de la personnalité maladive de l'appelant, ne démontrent pas que sans son expulsion il soit devenu impossible de poursuivre le procès.

 

 Voici comment le mémoire expose ce moyen:

 

 Le procès de l'appelant a duré du 9 mars au 10 avril 1987.  De par  sa  longueur  consacrée  dans  4,053 pages de notes sténographiques, ce procès a certes été éprouvant pour tous les participants.  Le long témoignage de l'accusé qui s'est étendu du 18 au 26 mars et qui recouvre 910 pages  de  notes sténographiques a certainement contribué à éprouver la patience du juge.  En effet, ce témoignage a été ardu et a demandé beaucoup de patience à tous, ceci tant à cause de sa teneur qu'à cause de la personnalité particulière de l'accusé. La preuve en défense a amené l'appelant à raconter sa vie et à référer à des événements lointains, tout ceci dans un style parfois confus et répétitif. Ce témoignage émanant d'une personnalité maladive et ne bénéficiant que de peu d'instruction et d'éducation était toutefois très compréhensible dans son ensemble.

 

  Il  s'agissait  donc  d'un  procès  difficile  où  le professionnalisme du juge et des avocats devait permettre de comprendre et d'excuser certains travers de l'accusé qui faisait face à l'une des accusations les plus graves du Code Criminel.

 

 L'appelant a été expulsé à deux reprises.

 

 La première expulsion eut lieu le 26 mars au cours d'une discussion hors la présence du jury.

 

  Le procureur du ministère public faisait une demande à la Cour pour qu'il lui soit permis de produire les déclarations et témoignages  de  l'appelant  dans trois dossiers criminels antérieurs, soit les affaires Harrison, Dorval et Létourneau.

 

 Pour justifier sa demande il soutenait que dans ces dossiers l'appelant s'était toujours replié sur le même genre de défense. A remarquer de façon particulière que l'accusé est alors contre-interrogé par le procureur de la poursuite. Celui-ci dit alors à la Cour:

 

  "J'ai l'intention de démontrer que c'est tout le temps le même "pattern" de défense...

 

 Avant de pouvoir poursuivre, il fut interrompu par l'accusé en ces termes:

 

 "C'est pas la même affaire "pantoute""

 

 La transcription nous donne la suite:

 

 Me René De La Sablonnière, pour la Couronne:

 

 ...visant par là...

 

 La Cour:

 

  Q.  Non, pas de commentaires de vous, s'il vous plait, et surtout, n'est-ce pas, parce que sinon on va continuer de plaider en votre absence.

 

 Me René De La Sablonnière,

 

 pour la Couronne:

 

 ...visant par là...

 

 La Cour:

 

  Alors, attendez un petit peu, il m'a fait perdre le fil de ce que vous me disiez, en parlant de l'accusé.

 

 Alors...alors, vous disiez: puisse démontrer que c'est le même "Pattern" ?

 

 Me René De La Sablonnière,

 

 pour la Couronne:

 

 Et ainsi repousser...

 

 La Cour:

 

 Vous voulez dire même système "pattern" ou relation de faits...

 

 Me René De La Sablonnière,

 

 pour la Couronne:

 

 Oui.

 

 La Cour:

 

 ...dans cette cause-ci...

 

 Me René De La Sablonnière,

 

 pour la Couronne:

 

 Oui.

 

 La Cour:

 

 ...que dans les trois (3) en question ?

 

 Me René De La Sablonnière,

 

 pour la Couronne:

 

 Oui.

 

 La Cour:

 

 C'est ça.

 

 Me René De La Sablonnière,

 

 pour la Couronne:

 

 Et ainsi repousser une défense d'explosion, de presto.

 

 Le témoin:

 

 *Faut tuer dans un monde...

 

 La Cour:

 

 Voulez-vous sortir l'accusé ?

 

 Le témoin:

 

 *...de chien de pas..

 

 La Cour:

 

  Voulez-vous sortir l'accusé ?  Je vais faire consigner au procès-verbal ce qui va suivre.

 

 Et c'est l'avant-dernier avertissement que je vous donne, le procès se déroulera sans vous la prochaine fois jusqu'à sa fin.

 

  Madame le greffier, vous allez mentionner que le tribunal expulse l'accusé de la Cour en raison de ses interventions inopinées et cela pour permettre le bon déroulement du procès comme le prévoit un article du Code criminel.

 

 Et vous notez également que j'ai averti l'accusé à sa sortie que c'était l'avant-dernier avertissement que je lui donnais, faute de quoi le procès se terminera sans lui jusqu'à la fin incluant le verdict des jurés et la sentence s'il y a lieu.

 

 - L'accusé est expulsé de la salle d'audience -

 

  * On s'entend pour dire qu'il y a dans la transcription une reproduction erronée des propos de l'appelant qui aurait dit:

 

 "Faut-tu être dans un monde... ... de chien sale"

 

 La discussion se poursuivit jusqu'à l'ajournement du midi en l'absence de l'appelant.

 

  A la reprise de l'audience en après-midi le procureur de l'appelant demande au juge si on doit faire rentrer l'accusé. La réponse du juge fut la suivante:

 

 La Cour:

 

 Non, pas tout de suite, maître...

 

 Me Marc Delisle,

 

 pour la défense:

 

 Vous le laissez en dehors...

 

 La Cour:

 

 ...Delisle.

 

 Me Marc Delisel,

 

 pour la défense:

 

 ...vous le laissez en pénitence encore, juge.

 

 La Cour:

 

 Ca va lui faire du bien, ça va l'apaiser, le calmer, lui donner le goût de revenir puis ce que l'on désire dans la vie c'est toujours meilleur parce que, comme votre confrère, maître De La Sablonnière, continue de plaider puisque c'est à lui qu'il a lancé une parole aimable du genre de "maudit chien sale" ou je ne sais trop quoi, ce midi, maître De La Sablonnière a eu droit à son tour lui aussi, je voudrais pas que ça provoque à nouveau la belle humeur de votre client pour qu'on perde du temps précieux.

 

 Jusqu'à ce qu'on convienne de reporter l'audience au lendemain matin la discussion se poursuivit en l'absence de l'appelant et ce pendant son propre contre-interrogatoire.

 

 Immédiatement avant d'ajourner le juge demande qu'on ramène l'accusé devant lui et lui adresse les remarques suivantes:

 

 La Cour:

 

  Oui.  Accusé, j'ai permis que vous entriez en Cour parce que les jurés vont apparaître ici brièvement et je vous ai expulsé ce matin parce que vous aviez récidivé, notamment immédiatement après avoir lancé une insulte gratuite à maître  De  La Sablonnière,  après m'en avoir lancé à moi-même et à la magistrature en général au cours de la matinée, j'ai permis que vous entriez mais au moment où vous avez quitté ce matin, au cas où vous n'auriez pas bien saisi ce que je vous ai lancé du banc, ici, je vous ai dit que c'était l'avant-dernière chance que je vous donnais et qu'à la prochaine incartade d'ici la fin du procès, c'est-à-dire intervention qui a pour effet de nuire au procès et de troubler les séances, je vous expulserais jusqu'à la  fin du procès, incluant les plaidoiries, incluant la contre-preuve, incluant les délibérations du jury, incluant le verdict du jury et incluant le prononcé de la sentence si jamais j'avais à prononcer une sentence.

 

 Est-ce que vous m'avez bien compris ?

 

 L'accusé:

 

 La Cour:

 

 Répondez "oui" tout fort.

 

 L'accusé:

 

 Oui.

 

 La Cour:

 

 Bon. L'accusé répond "oui" à ma question.

 

  Alors, vous comprenez qu'à toute prochaine récidive de votre part, votre procès se terminera hors votre présence et j'en aurai conclu à ce moment-là et compris que c'est ce que vous désiriez vous-même que tout ça se déroule hors votre présence.

 

 La séance du 27 mars se déroule en présence de l'appelant mais encore hors la présence du jury.  Elle est assez brève. Le procès-verbal indique qu'elle débute à 9h50 pour se terminer à 10h28.  Rien de particulier ne s'y produisit. C'était un vendredi.

 

  Le lundi 30 mars la séance du matin est consacrée au contre-interrogatoire et ré-interrogatoire de l'appelant qui témoigne pour sa propre défense depuis le 18 mars.

 

 La transcription et le procès-verbal ne font état d'aucun incident particulier.  En après-midi ce fut le début du témoignage du docteur Guy Tremblay médecin-psychiatre entendu pour la défense. Aucun incident à signaler.

 

  Le mardi 31 mars le témoignage du docteur Tremblay prit fit vers 10h00. La défense déclara sa preuve close.  A la reprise de l'audience à 11h10 la Couronne entreprit une contre-preuve qui se poursuivit jusqu'au vendredi 3 avril à 12h11, alors que la preuve fut déclarée close généralement.

 

 La deuxième expulsion se produisit pendant cette contre-preuve, plus précisément le jeudi 2 avril à 15h50 pendant que témoignait le docteur Gilles Paul-Hus, médecin-psychiatre entendu pour la poursuite.

 

 Pour placer cette deuxième expulsion dans son contexte il convient de rappeler ce qui a pu se produire pendant les jours précédents, durant la contre-preuve.

 

 Le premier incident se produisit le 31 mars à 11h54 selon le procès-verbal.  Le  témoin  Jean  Harrison  rappelait  les commentaires de l'appelant à l'égard d'un autre jeune homme du nom de Létourneau que l'appelant avait poignardé antérieurement mais qui avait survécu à ses blessures. Il avait été question de cet autre crime pendant le témoignage de l'appelant. Le témoin Harrison rapportait devant les jurés les propos que l'appelant lui aurait tenu à cette occasion: "Y l'a mérité, le Christ".

 

  On ne sait pas exactement ce qui s'est produit à ce moment-là mais la réaction du juge fut la suivante:

 

 Q. Pas un mot de votre corps si vous voulez rester en Cour, vous, là, hein. Je le dis devant les jurés parce que j'ai averti l'accusé en votre absence que si j'entendais un mot de son corps pendant...  d'ici la fin du reste du procès qu'il sortirait jusqu'à la fin et je lui ai dit que c'était le dernier avertissement que je lui donnais, alors je lui répète, là, hein.

 

 Tâchez de vous en rappeler, vous avez une bonne mémoire.

 

 Le reste de la séance du 31 mars se poursuivit sans incident.

 

 Pendant la journée du 1er avril la poursuite fit entendre trois témoins dont la victime d'un autre crime pour lequel l'appelant avait antérieurement été reconnu coupable, une dame Jeanne d'Arc Dorval. Le dossier ne fait état d'aucun incident d'audience pouvant impliquer l'appelant.

 

 L'avant-midi du 2 avril se déroula aussi sans incident.

 

 Le docteur Paul-Hus commença à témoigner à 14h50.

 

  A la manière d'un monologue plutôt que d'un interrogatoire il communiquait ses observations à la lumière d'une entrevue qu'il avait eue avec l'appelant en présence du docteur Tremblay et faisait état de l'attitude générale que manifestait l'appelant chaque fois qu'il était impliqué dans un acte criminel violent.

 

 Son témoignage couvre 43 pages de transcription avant que ne se produise l'incident qui donne lieu à l'expulsion définitive de l'appelant, expulsion qui se prolongera pendant les plaidoiries et l'adresse du juge. En fait l'appelant ne sera ramené en cour qu'à la demande du jury à l'occasion du verdict.

 

 Voici comment la preuve nous rapporte les choses (c'est le docteur Paul-Hus qui témoigne):

 

  ...Ce que je veux montrer, c'est que lorsque la tension monte pendant quelques semaines, et que rien n'est fait pour le stopper, il va y avoir un... il y aura quelqu'un qui sera choisi comme cible.  Et de façon ordinaire, lorsque monsieur Marceau sort de cette expérience, il dit toujours que ça n'a pas marché avec le jeune, qu'on l'a expulsé à cause de la mère de famille.

 

  Mais lui ne l'accepte pas.  Et la seule chose qui le fait changer d'idée, s'il peut trouver un objet d'amour, à ce moment-là, il abandonne le premier... le premier objet, et se contente du deuxième.

 

 Je pense que c'est de cette façon-là que monsieur Harrison s'en est tiré avec de modestes coups, parce que déjà, la romance affective avait commencé avec le jeune Eric Fournier.

 

 Monsieur Réal Marceau:

 

 Non monsieur.

 

 La Cour:

 

 Dehors, l'accusé.

 

  Je vous avais averti, Marceau, votre procès va se continuer sans vous.

 

 Monsieur Réal Marceau:

 

 Je l'ai connu... je ne l'ai pas connu, Fournier...

 

 La Cour:

 

 Faites-le taire. Faites-le taire, puis sortez-le, puis vite.

 

 Monsieur Réal Marceau:

 

 Maudite gang de...

 

 La Cour:

 

 Les paroles que vous avez entendues, mesdames, messieurs, même pas dites sous serment maudite gang de...." vous avez droit d'en tenir compte, je vous l'ai dit déjà au début, vous pouvez en tenir compte, si vous considérez qu'elles sont préjudiciables à l'accusé.

 

 Et vous n'entendrez plus d'autres paroles, parce que vous ne le reverrez plus. On va siéger dans la sérénité, la paix et l'ordre.

 

 Et j'avais averti l'accusé à plusieurs reprises, en votre absence, mesdames, messieurs.

 

 J'ai pris cette décision, voyez-vous, notre loi est bien faite, j'aurai l'occasion de le dire dans nos directives finales, le législateur depuis fort longtemps, bien avant que nous soyons tous au monde, avait prévu que un des remparts de la démocratie, dans un pays démocratique, la justice, le système judiciaire, la loi...  et la justice ne peut pas se rendre dans un climat de tempête, ça se rend mieux lorsque le ciel est bleu, il n'y a pas trop de vent. C'est pour ça que le législateur a mis dans notre code criminel, il y a fort longtemps, cet article 577 qui dit:

 

 "Un accusé doit être présent en Cour pendant tout son procès.

 

  Exception:  la Cour peut faire éloigner l'accusé et le faire garder hors de la cour, lorsqu'il se conduit mal en interrompant les procédures, au point qu'il serait impossible de  les continuer en sa présence."

 

  Cinq (5) ou (6) fois, je l'ai déjà dit ce matin, c'est la goutte d'eau ensuite qui fait déborder le verre.

 

 Alors nous y allons, docteur.

 

 Je m'excuse, (c'est le docteur Paul-Hus qui parle) mais si on devait... c'est possible que ce soit la famille Dorval, mais de toute façon, ce que je retiens de l'histoire de Normand Létourneau, c'est qu'il y a un désir d'affection, de Sexualité, probablement, puisque monsieur Létourneau nous a dit qu'on lui demandait quelque chose de sexuel. Lorsque c'est refusé et que la mère s'objecte, c'est à ce moment-là qu'il frappe et la plupart du temps, il entre en agressivité pendant quelques heures, méditant sur ce qui lui arrive, et n'acceptant pas les décisions de parents.

 

  L'intervention de l'appelant qui n'a rien d'offensant en soi ("non, mnsieur"), semble avoir été provoquée par le fait que le docteur Paul-Hus se serait trompé dans sa relation des faits en intervertissant la chronologie des actes violents, substituant dans l'ordre l'affaire Harrison à l'affaire Dorval.

 

 C'est là l'explication que suggère le docteur Paul-Hus lui-même lorsqu'il dit immédiatement après l'expulsion: "(Je m'excuse ...c'est possible que ce soit la famille Dorval".

 

  Les propos offensants ne viennent qu'après  l'ordonnance d'expulsion lorsque l'appelant, en voie d'être expulsé, dit en sortant (maudite gang de .....". Il fut sorti avant de pouvoir terminer sa phrase. On imagine facilement la suite.

 

  Les autres interventions de l'appelant dignes de mention s'étaient toutes produites avant la première expulsion.

 

 Vu que nous n'avons pas encore le secours de la vidéo-caméra et afin d'avoir une image aussi fidèle que possible de l'atmosphère dans laquelle se déroulait le procès, je crois utile de rappeler les principaux épisodes.

 

 Le 9 mars, soit le tout premier jour du procès, quand le jury fut formé, la poursuite fit entendre son premier témoin en après-midi hors la présence du jury. Il s'agissait d'une preuve de voir-dire en vue de la production d'une déclaration que l'appelant aurait faite aux policiers.  Le témoin était le docteur Claude Chouinard qui avait eu l'appelant sous ses soins à l'hôpital le jour du drame. L'appelant s'était tiré une balle de calibre 22 dans la tête avec un pistolet de départ et avait prétendument absorbé des médicaments. On l'avait trouvé à demi conscient auprès de la victime.

 

 Le docteur Chouinard décrivait en ces termes l'état du patient au moment où il l'a libéré de l'hôpital le jour même de l'hospitalisation:

 

 Q.  Et lorsque vous l'avez libéré, c'est parce qu'il était normal ?

 

  R. Oui, il était cohérent, il était éveillé, il était capable de répondre aux questions, il était orienté...

 

 Q. Il était bien situé dans le temps et dans l'espace ?

 

 R. ...il était orienté dans le temps et dans l'espace.

 

 Réal-Réjean Marceau:

 

 C'est faux, c'est faux, c'est faux, c'est faux.

 

 La Cour:

 

 Q. Bon. Attendez un petit peu, docteur.

 

 Vous allez prévenir votre client, maître Delisle, avant...

 

 La Cour:

 

 ...que je le fasse moi-même que, tout d'abord, tout ce qu'il dit, même pas sous serment, est noté dans la machine.

 

  Deuxièmement, devant les jurés, tout ce qu'il dira sera noté également mais troisièmement, et  surtout,  s'il  témoigne autrement que comme témoin sous serment, comme on le fait dans ce pays, s'il le fait à un rythme ou à une répétition qui commence à me déplaire et à déplaire à la justice de ce pays, le procès  se  continuera en son absence et il aura perdu, malheureusement et par sa faute, un privilège combien important en ce pays, celui d'être jugé par ses pairs, en présence de ses pairs.

 

 Alors, je compte sur vous, maître Delisle, pour - je vois que votre client me fait un signe, maître Delisle, j'aimerais mieux que vous alliez lui-même lui prodiguer ces conseils, moi je ne suis pas payé pour le faire et j'aimerais bien compter sur vous pour lui expliquer tout cela dans son seul et unique intérêt à lui et à personne d'autres.

 

  Pour le 10 mars le seul fait que relève le procureur de la poursuite  dans  son  mémoire  se  produit  pendant  le contre-interrogatoire de l'appelant sur voir dire.

 

  Après que l'appelant eut affirmé qu'il prenait des notes pour son avocat, le procureur de la poursuite lui demande s'il a lu les notes avant de témoigner. L'échange suivant se produit:

 

 R. Non. Avant de témoigner, non.

 

  Q.  Bien, je ne vous parle pas cinq (5) minutes avant de témoigner mais, hier soir, les avez-vous lues ?

 

 R. Je ne vois pas le rapport...

 

 Q. C'est pas à vous de voir le rapport.

 

 R. ...le rapport encore une fois.

 

 La Cour:

 

 Q. Encore une fois je vous dis que vous devez répondre aux questions à moins qu'elles soient jugées illégales.

 

  R.  C'est parce que je...c'est ça le problème, c'est que je saisis pas à quoi qu'il veut en venir.

 

 Q . Vous êtes pas là pour saisir à quoi un avocat veut en venir, vous êtes là pour répondre sous serment aux questions de l'avocat et la question que être De La Sablonnière vous a maintenant posée trois (3) fois est la suivante, je la sais déjà par coeur: Les avez-vous lues avant de témoigner ?

 

  R.  J'ai...j'ai pris ça en note hier au soir suite à tout ce qui s'est dit hier pour donner ça à mon avocat, de qu'est-ce que moi je me souviens et que je me souviens pas.

 

 Q. Et la question de maître De La Sablonnière que je vous pose maintenant pour la cinquième fois: Les avez-vous lues avant de témoigner ?

 

 R. Si je les ai lues à matin ?

 

 Q. Non, la question dit pas à matin ou il y a mille (1,000) ans ou il y a une (1) heure ou il y a cinq cents (500) ans, la question dit: Les avez-vous lues avant de témoigner ?

 

 Là, c'est la sixième fois qu'elle est posée la question.

 

 R C'est que je prends des notes, ça se peut que j'aie pas besoin de les relire parce que quand c'est la vérité, je...

 

  Q. On ne vous demande pas si vous avez besoin de les relire - et là, ça sera la septième fois - vous avez - je vous vois sourire, vous avez raison de sourire vous êtes devant le juge le plus patient au monde.

 

 R. Ah.

 

  Q.  Alors, pour la septième fois, je vous dis: Les avez-vous lues avant de témoigner ?

 

 Non, non, regardez pas votre avocat, regardez-moi.

 

 R. Je ne sais pas quoi répondre.

 

 Ce compte-rendu partiel du témoignage de l'appelant est de nature à révéler la personnalité de celui qui témoigne mais je dis tout de suite qu'il n'y a pas là matière à expulsion, ni même une semence pouvant faire germer l'idée que la poursuite du procès puisse devenir impossible. J'écarte cet épisode.

 

  L'intimée  invoque dans son mémoire trois interventions qu'aurait faites l'appelant de la boîte des accusés le 11 mars.

 

 Pendant le témoignage du policier Serge Métivier, technicien en identité judiciaire, alors que celui-ci produit un cartable, le juge demande si c'est Nanette W. ?

 

  De son siège dans la boîte aux accusés l'appelant répond "Oui" et le juge note verbalement que l'accusé lui a répondu "Oui".

 

 Un peu plus tard, toujours pendant le même témoignage, le procureur de la poursuite demande au policier si les deux visages qu'on voit sur un exhibit montreraient Eric Fournier, la victime. Le policier répond "Oui" et de son siège l'appelant dit "C'est exact".  Le juge intervient: "L'accusé me dit que oui".  Le procès-verbal indique que "du box de l'accusé, ce dernier confirme la réponse du témoin".

 

  En après-midi, le biologiste François Julien énonce les dates où il a reçu les différents exhibits qu'il s'apprête à produire et l'appelant intervient en demandant "Sur quelle date, s'il vous plaît, qu'il a dit ?". Le juge se fait  alors  le porte-parole de l'accusé:

 

 La Cour:

 

  Q.  L'accusé demande sur quelle date: S'il vous plaît, il a dit, là ?

 

 R. A quelle date... à quelle date j'ai reçu ça ?

 

 Q. L'accusé vous questionne, monsieur Julien.

 

 R. En date du 7 août mil neuf cent quatre-vingt-six (1986) j'ai reçu ça.

 

 Non seulement n'y a-t-il pas matière à expulsion dans ces trois interventions du 11 mars mais le dossier fait plutôt voir la complaisance du  juge.   J'écarte  également  ces  trois interventions comme pouvant être considérées des préludes à l'expulsion.

 

 Pour le 12 mars la poursuite veut mettre au débit de l'appelant une intervention faite devant les jurés pendant le témoignage du docteur Richard Authier, médecin légiste et pathologiste.

 

  Faisant part de ses observations pathologiques lors de l'autopsie de la victime, il explique que l'individu a eu le pénis amputé.

 

  Avant de permettre au témoin de poursuivre son témoignage le juge intervient et demande aux représentants des médias de faire preuve de modération et de réserve dans l'exploitation qu'ils pourraient faire de cette preuve.

 

  Après une assez longue exhortation du juge l'accusé intervient en ces termes:

 

 Monsieur le juge, je suis une torture morale parce que ça veut pas me rentrer dans la tête mais...

 

 La Cour:

 

 Bon.

 

 L'accusé:

 

 ...je me demande qu'est-ce qui a pu me passer pour...

 

 La Cour:

 

 Bon.

 

 L'accusé:

 

 ...pour faire ça mais ça me fait une torture morale.

 

 La Cour:

 

 D'accord.

 

  Immédiatement après cette intervention de l'accusé le juge s'adresse à son avocat:

 

 Maître Delisle, vous avez et je compte sur vous, j'ai...j'ai eu l'occasion de le faire, pour parler à votre client, lui faire état des choses qu'il peut faire et ne pas faire devant cette Cour. Il est brillamment représenté par avocat, vous êtes pas ici comme un objet mais vous êtes ici pour prendre ses intérêts, alors je compte sur vous, maêtre Delisle, pour attirer son attention sur le fait qu'on ne peut s'exprimer devant toute Cour de justice que si on est avocat, si l'on est juge, si l'on est témoin assermenté et pas autrement parce que je ne pourrai pas et ce procès-ci ne pourrait se tenir avec des interruptions répétées qui ne sont d'ailleurs nullement prévues par la loi, bien au contraire, il serait impossible à ce moment-là de tenir ce procès-ci ou d'autres et je ne voudrais pas devoir avoir recours à un...à une disposition de la loi qui me permet de tenir un procès en l'absence de l'accusé si celui-ci, par son attitude, son...son comportement, empêche la bonne et régulière tenue de ce procès.

 

  Alors, maître Delisle, je compte sur vous pour faire le nécessaire auprès de votre client.

 

 Ces remarques faites devant les jurés suscitent d'eux une question qu'ils posent au juge le 13 mars.

 

  Dès l'ouverture de la séance du 13 le juge annonce qu'il donnera réponse un peu plus tard.

 

 La question est la suivante:

 

 "Votre Seigneurie, durant les audiences du 12 mars mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987) en matinée - soit dit en passant c'est bien hier matin, n'est-ce pas, on est aujourd'hui le 13- durant les audiences du 12 mars mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987) en matinée, l'accusé a émis certains  propos  qui pourraient lui être préjudiciables.  Suite à votre propos, devons-nous en conclure que nous ne devons tenir aucun compte des paroles de l'accusé ?

 

 Nous vous remercions des explications à venir."

 

  Faisant grâce des remarques préliminaires du juge, je donne l'essentiel de sa réponse:

 

  Si une personne dit quelque chose c'est le droit de l'autre partie de la contre-interroger. Le spectateur dans la salle, on ne le contre-interroge pas et, il n'est pas sous serment.  Et, en plus de ça, je peux vous dire qu'il partirait aussi vite qu'il aurait pris la parole. Ca va ? Bon.

 

 Ca prouve donc que ce que je vous ai dit demeure vrai:  Seules font preuve les personnes qui vous parlent sous serment, sauf - et là, j'arrive à l'exception - sauf, l'accusé lui-même.  Ca va ?

 

  Et c'et là que vous allez voir que votre question était pertinente.

 

 Et là aussi il y a une distinction à faire.  Si l'accusé, "proprio  motu",  spontanément,  de  lui-même,  sans qu'on l'interroge, de la boîte des accusés où il se tient devant vous pendant le procès, d'accord, si l'accusé lui-même dit quelque chose, en pleine cour comme ça, de façon inopinée et imprévue, - et là, suivez-moi bien - et, si vous considérez que ce que l'accusé a dit, pas sous serment, si vous considérez que ce qu'il a dit lui est préjudiciable, je reprends le mot même que vous avez employé dans votre question, si vous considérez que ce qu'il a dit lui est préjudiciable, même s'il ne l'a pas dit sous serment, vous avez le droit, - je ne dis pas: Vous êtes obligés - vous avez le droit de le retenir contre lui.

 

 Ca va ?

 

 Quelle que soit l'importance ou la gravité ou les conséquences de ce qu'il a dit, si vous considérez, et, seulement vous, les jurés parce que vous êtes maîtres des faits, vous, et vous seuls, vous considérez, vous, que ça lui est préjudiciable, vous avez le droit de le retenir contre lui comme s'il était venu sous serment vous le dire comme tout témoin ordinaire.

 

 Ca va ?

 

 Et, je continue. Si, par contre, vous ne considérez pas que ça lui est préjudiciable, vous ne - là, je ne dis plus:  Vous pouvez, je dis:

 

 Vous ne devez pas le retenir.

 

  Tout à l'heure je disais que vous pouviez le...vous "pouviez", hein.

 

 Ca risque de dire: pouvoir et devoir. Vous pouvez le retenir contre lui si c'est préjudiciable, selon vous. Mais si ça n'est pas préjudiciable, là mon exception vient de tomber, vous ne devez pas le retenir.

 

 Correct ?

 

  Vous devez faire comme si vos oreilles n'avaient rien entendu si ce qu'il vous dit ne lui est pas préjudiciable.

 

 Exemple. Je vais vous donner un exemple fou.  J'imagine que l'accusé  dans  une cause, de la boîte des accusés, dit spontanément aux jurés:

 

 Le hockey est un jeu qui se pratique sur l'heure et non sur la glace.

 

  Correct. Que ce soit vrai ou faux, ce n'est pas préjudiciable à l'accusé une phrase comme ça, n'est-ce pas ? Et ça, vous ne devez pas le retenir. Et, ça n'a rien prouvé.

 

  Est-ce que c'est assez claire ce que je vous ai dit ? D'accord.

 

 Et, je vous dis enfin, de la même façon et pour les mêmes raisons, à vous qui êtes les maîtres des faits, vous réalisez que lorsqu'on fait un procès dans ce pays l'accusé est en cour devant vous, hein.

 

  L'accusé n'est pas ailleurs à cent (100) milles d'ici, il est devant vous. Et, vous avez le droit de le voir, de le regarder, de l'observer pendant tout le procès. Et, quand je dis, "l'observer et le regarder" je fais allusion évidemment au comportement d'un accusé, n'est-ce pas. Sa conduite, les gestes qu'il peut faire ou ne pas faire, avec son visage ou avec le reste de son corps.

 

 C'est votre droit le plus strict de l'observer, l'accusé.  Et, si votre, observation vous fait déceler ou constater certaines choses, vous avez le droit d'en tenir compte aux fins de vos délibérations.

 

 L'appelant prétend que cette directive était erronée et en fait un motif distinct d'appel.

 

  Etant d'avis que l'expulsion dont l'appelant fut l'objet n'était pas justifiée par les circonstances je n'entreprendrai pas de discuter de ce motif d'appel.

 

  Cependant je retiens cette intervention du juge et cette directive pour dire que l'expulsion de l'appelant était d'autant moins justifiée que les jurés avaient été prévenus de retenir contre lui toutes interventions, par gestes ou par paroles, qui lui étaient préjudiciables et de ne pas considérer celles qui pouvaient lui être favorables.

 

 Le lundi suivant, 16 mars, après le ré-interrogatoire du témoin Mario Lamontagne et alors que la moitié des jurés sont déjà sortis de la salle, l'accusé intervient en ces termes:

 

 "Ca se parjure, puis ça se parjure. Maudit"

 

 Le juge fait immédiatement rentrer les jurés et leur dit:

 

 Mesdames, messieurs, au moment où vous sortiez de la salle, les cinq (5) ou six (6) derniers, dernières parmi vous ont entendu l'accusé parler, n'est-ce pas.

 

  Et, comme tout ce qu'entendent les jurés doit être entendu par les douze (12) et pas par seulement un à la fois, je dis aux autres ce que l'accusé a dit.

 

  L'accusé s'est levé puis a dit en se tournant vers son avocat: "Ca se parjure, ça se parjure, ça se parjure".

 

 Vous avez entendu ça, mesdames, messieurs ?

 

 Alors, là, maintenant les douze (12) ont entendu.

 

 Vous vous rappelez la directive que je vous ai donnée vendredi, je la répète rapidement.  Lorsqu'un accusé dans toute cause parle de la boîte des accusés, pas sous serment, devant les jurés en présence de la Cour, s'il dit des choses que vous les jurés considérez être préjudiciables à lui, lui nuire à lui, vous pouvez en tenir compte, vous vous rappelez ?  Vous vous rappelez que je vous ai dit ça ?

 

 Bon. Je vais continuer en son absence.

 

 L'accusé quitte la salle d'audience.

 

  Et, je vous ai dit par contre, que six ce qu'il disait ne lui état pas préjudiciable, d'accord vous ne deviez pas le retenir.

 

 Alors, lorsqu'un accusé dit que d'autres se parjurent, ça ne lui est pas préjudiciable, hein.

 

 On se comprend bien ?

 

 Il parle de témoin qui témoigne contre lui puis il dit qu'il se parjure. Ca ne lui est pas préjudiciable.

 

 Donc, ça je ne vous dis pas que vous pouvez, je vous dit: Vous devez oublier ça tous les douze (12), comme si vous n'aviez rien entendu.

 

  On voit que l'accusé a volontairement quitté la salle pendant que le juge faisait ses représentations aux jurés.

 

 Un autre incident se produit le 17 mars. Il est assez sérieux pour que j'en relate le contenu au complet. Il se produisit pendant le témoignage du sergent-détective Denis Royer qui commençait à faire la lecture du contenu d'une déclaration de l'accusé:

 

 Me René De La Sablonnière pour la Couronne:

 

 Q. Alors pouvez-vous nous faire la lecture de la déclaration ?

 

  R. "Je, Réal Marceau, déclare solennellement que je connais la famille Fournier depuis environ deux (2) ans.

 

 Je me suis fait voler par les Fournier, y compris la mère."

 

 Je peux ouvrir une parenthèse, monsieur le Juge ?

 

 Lors de la déclaration verbale, il ma parlé de la mère, madame Fournier. Les termes qu'il employait....il la traitait de chienne.

 

 La Cour:

 

 Q. Alors dans la déclaration verbale...

 

 R. Oui.

 

 Q. ...il la traitait de chienne ?

 

 R. Oui. "La maudite chienne, elle m'empêchait de voir Eric".

 

 Réal Marceau:

 

 Maudit menteur !

 

 La Cour:

 

 Mesdames, messieurs du jury...

 

 Réal Marceau:

 

 Ah bien là, là, je vous jure qu'il se parjure, monsieur le Juge. Je vous jure sur la sainte Bible que je respecte Dieu, il ment.  Puis je porte une accusation contre lui qu'il fait un faux témoignage, puis même son beau-père m'a confirmé- que j'ai connu, d'ailleurs - qu'il m'a confirmé que ça lui faisait rien de chier sur la Bible.

 

 Ah bien là, là, ça me dépasse...Il veut vraiment me faire passer pour menteur. Je vous jure sur la sainte Bible que je respecte, que je n'ai jamais dit une telle phrase.

 

 Il y a de quoi que j'en devienne fou, monsieur le Juge, parce que ça fait trois (3) témoins qui viennent se parjurer et dire ce que monsieur Royer leur dit de dire. Je vous le jure.  Si vous ne me croyez pas, je veux un rappel tout de suite, puis je veux un enquêteur que moi je vais lui dire qu'il aille s'informer à telle, telle place, qu'il aille s'informer, si c'est moi qui dis la vérité ou si je mens.

 

 Mais je connais un policier qui a été honnête, qui a toujours vérifié mes dires, puis qui a toujours été honnête de dire puis de prouver que je disais vrai.

 

 Puis si je suis encore en vie, là, j'ai tenté de me suicider plusieurs fois, à Orsainville, j'ai détruit quatre (4) fois une cantine de cinquante (50) places, parce que je m'en voulais d'avoir fait...de m'avoir aperçu...d'avoir fait une explosion.

 

  Je ne peux pas avoir dit une telle chose.  Il se parjure pour...

 

 J'avais demandé qu'il vienne me voir à Orsainville, trois (3) fois, pour lui dire le nom de celui qui m'a vendu l'arme. Il m'a menacé que si je me rendrais au bout, que si je refusais...

 

 La Cour:

 

 Faites-le taire et faites-le asseoir messieurs...

 

 Réal Marceau:

 

 Un instant, s'il vous plaît, okay ?

 

 La Cour:

 

 Non.  Faites-le taire et faites-le asseoir, j'en ai assez entendu.

 

 Faites-le asseoir.

 

  Mesdames, messieurs du jury, je vous redonne pour la énième fois les directives que je vous ai déjà données, au sujet des interventions faites par un accusé dans un procès, de la boîte des accusés, pas sous serment. Ma principale directive était la suivante: lorsque vous considérez que les paroles prononcées par un accusé, non sous serment, pendant son procès, lui sont préjudiciables, vous pouvez en tenir compte et le retenir contre lui, aux fins du verdict que vous rendrez.

 

 Si par contre, les paroles prononcées par l'accusé, non sous serment, de la boîte des accusés, pendant son procès, ne lui sont pas préjudiciables, alors vous devez les ignorer, et ne pas les retenir contre lui, ni pour lui, ça va ?  Lorsqu'elles ne sont pas préjudiciables vous ne devez pas en tenir compte, comme si ça n'avait pas été dit, parce qu'il n'est pas sous serment.

 

  Uniquement si les propos de l'accusé vous paraissent lui être préjudiciables, vous avez le droit de les retenir contre lui aux fins de votre verdict.

 

 La preuve de la poursuite fut déclarée close le 17 mars.  La défense débuta le 18 mars en après-midi par le témoignage de l'accusé.  On l'a vu précédemment, ce témoignage devait se poursuivre jusqu'au 26 mars, date de la première expulsion.

 

  Il semble, selon le procureur de l'intimée (page 26 de son mémoire) que l'appelant s'inspire d'un texte de 600 pages pour rendre témoignage.  Il entreprend à toutes fins utiles la narration de l'histoire de sa vie et tarde à venir aux événements du crime dont il est accusé. Le 20 mars, au cours de son récit qui prend la forme d'un monologue, il fait un aparté à l'intention de son avocat et des membres du jury:

 

  Ce n'est pas avec plaisir que je veux prendre le temps de m'expliquer pour, comme on  dit,  pour  coûter  cher  au gouvernement, puisque au commencement on s'est dépêché à prendre les douze (12) premiers jurés, pour aider le procureur de la Couronne à ce que ça aille plus vite, parce que par après je me suis dit:  Si on aurait plus de temps, on aurait peut-être pogner des experts qui sontaient capables de me comprendre.

 

 En tout cas, j'ai blâmé un peu mon avocat, qu'on a peut-être agi trop vite, et j'espère que les jurés qu'on va prendre sont vraiment capables de comprendre.

 

 Voyez-vous, je suis tellement fin que je dis tout ce que je pense.

 

  J'espère, messieurs les jurés que vous êtes assez instruits. C'est par que j'en vois qui me donnent une certaine impression qu'ils ne savent pas à quoi s'attendre, ils ne savent pas....ils me laissent sous-entendre que...ils ne connaissent pas leur propre but. Voyez-vous à quel point que je peux être franc ?

 

 Je me suis assez fait jouer de moi que je crains tout le monde asteure. C'est un peu normal.

 

 Hormis cette courte incartade, il poursuit son récit jusqu'à la fin de la séance de l'avant-midi sans incident particulier. La majeure partie de son monologue n'apporte pas grand'chose au débat si ce n'est de permettre aux jurés de mieux connaître la personnalité de celui qu'ils ont à juger.

 

 L'audience reprend le lundi matin suivant, soit le 23 mars.

 

 Pour montrer le climat dans lequel se déroulait le témoignage de l'accusé la poursuite fait état dans son mémoire d'une remarque du juge faite au cours de l'avant-midi:

 

 "Non. Je... je...vous allez me laisser décider. Il me reste si peu de choses à décider dans ce procès, je voudrais mériter mon traitement que je reçois une fois par mois, avec votre auguste permission."

 

 On venait d'avoir une discussion impliquant le juge, les avocats et l'accusé-témoin au sujet d'une lettre que l'accusé avait écrite à l'intention de quelqu'un et qu'il voulait produire en preuve. L'avocat de la poursuite s'objectait à la production de cette lettre arguant que c'était du "self serving evidence" en plus de ne pas être pertinent.  L'avocat de l'appelant était du même avis que l'avocat de la poursuite.  Le juge entreprit alors d'expliquer à l'accusé qu'il pouvait s'inspirer de ses notes mais qu'il ne pouvait pas les lire ni les produire.

 

  Mais la conduite de l'appelant n'avait absolument rien de troublant tel qu'en fait foi cette remarque du juge faite à peine quelques minutes avant que ne survienne l'incident que veut invoquer la poursuite. Le juge dit:

 

 Me Marc Delisle pour la défense:

 

 Maintenant, ça n'empêche pas monsieur de pouvoir se référer à ses notes, sauf que son témoignage ne doit pas être lu. Il s'agit de témoigner sur des faits.

 

 La Cour:

 

 Comme il le fait depuis le début. Depuis le début il ne lit pas des notes, il s'en inspire, mais il regarde les jurés, il me regarde en parlant, et on voit qu'il témoigne comme tout témoin ordinaire.

 

 Ce qu'il ne faudrait pas, c'est que vous commenciez une lecture devant les jurés, de ça. N'est-ce pas ?

 

 R. Okay.

 

 Q. C'est ça que vous lui auriez dit, maître Délisle ?

 

 Me Marc Delisle pour la défense:

 

 C'est ça que je m'apprêtais à lui dire, monsieur le Juge.

 

 La Cour:

 

 Q. Est-ce que vous comprenez comme il faut, là ?

 

 R. Oui.

 

 Comme cette discussion s'était déroulée en l'absence des jurés, le juge fit revenir les jurés et dès leur entrée leur annonça qu'on allait faire une suspension dans une dizaine de minutes.

 

 L'accusé qui témoignait depuis le début de la matinée répondit:

 

 "C'est aussi bien de la prendre tout de suite, d'abord"

 

  C'est à la suite de cette remarque que le juge lui dit "vous allez me laisser décider.".

 

 L'incident, manifestement, était sans importance.

 

 On allègue au mémoire de la poursuite un autre incident survenu le même jour du 23 mars. Il n'a pas non plus l'importance qu'on veut lui attribuer. L'accusé approche dans son récit des événements du 6 juillet 1986. Je me réfère à la transcription:

 

  Ca fait que ça me revient à dire qu'est-ce qui m'a fait penser à ça, c'est le pourquoi que lorsque rendu chez nous, le soir du six (6) juillet quatre-vingt-six('86), trois (3) jours après un vol, sa mère l'a laissé partir avec moi dans le but de me faire peur, je suppose, parce que j'ai.... c'est en réfléchissant à ça, ces dernières semaines-là, que j'ai trouvé que ça doit être ça sûrement.

 

  Alors là, je commence à me sentir très mal, parce que je n'ai pas hâte de rentrer dans les détails tout de suite, parce que ça me fait trop de peine. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai vu un méchant trou noir.

 

 Q. J'ai quoi, vous dites ?

 

 R. J'ai vu un méchant trou noir.

 

 Q. Alors vous avez vu un méchant trou noir. C'est ça ?

 

 R. Oui.

 

 On peut-tu continuer demain ?

 

 Q. Attendez-moi une seconde, là.

 

  R.  Je n'ai pas hâte de conter ça. S'il vous plaît, je veux attendre à demain.

 

  Q.  Oui, mais attendez-moi une petite seconde.  Tassez les micros monsieur Labbé. Je n'ai pas vu le geste, qu'est-ce que c'est qui s'est produit....

 

  R.  Je n'y crois pas à la justice, il n'y en aura pas de justice à mon égard, je le sais, j'ai trop de dossiers....

 

 Q ...maître De La Sablonnière, qu'est-ce qui s'est produit ? L'accusé s'est cogné sur un des micros ? Est-ce ça ?

 

 Me René De La Sablonnière pour la Couronne:

 

  Je crois que le témoin a levé la main, Votre Seigneurie, lors d'un geste, puis il a frappé le micro.

 

 La Cour:

 

 Ah bon, la main et non la tête ?

 

 Me René De La Sablonnière pour la Couronne:

 

 Non, non, c'est la main. La main gauche.

 

 La Cour:

 

 Ah bon, d'accord.

 

 Vous n'êtes pas blessé ? Ca va. L'accusé fait signe que non.

 

 Bon.  Alors il est cinq heures vingt (5h:20), mesdames, messieurs, est-ce que je comprends....

 

 R. Je n'ai pas hâte de rentrer dans ça.

 

  Q. Préféreriez-vous rentrer dans votre cellule ? Vous pouvez l'amener.  Ca va ? On va ajourner à demain matin, mesdames, messieurs, à neuf heures trente (9h:30). D'accord ?

 

 R. Je ne crois pas à la justice, j'ai trop de dossiers.

 

  Q.  Un instant, l'accusé dit...je vais vous donner une directive, l'accusê...parce qu'il...

 

 La séance prend fin sur cette remarque qui, dans le contexte où elle a été faite, n'est certes pas de nature à s'inscrire dans le cadre d'une manoeuvre qui soit de nature à rendre impossible la poursuite du procès.

 

  Les événements du 24 mars qu'on cherche à reprocher à l'appelant pour justifier les exclusions qui surviendront les 26 mars et 2 avril sont aussi sans importance.

 

  Voyant que l'accusé se répète et tarde à aborder le récit des événements du 6 juillet le juge intervient et dit: "Oui, cela vous avez raconté tout cela hier" Le dialogue entre le juge et l'accusé se poursuit comme suit:

 

 Q. Et, quand on s'est laissé vous étiez rendu avec...

 

 R. Oui.

 

 Q. ...Eric Fournier chez vous en nous disant: "Je suis rendu là".

 

 R. C'est parce que...

 

  Q.  Si il y avait moyen d'éviter de répéter la même histoire, les jurés l'ont tout entendue.

 

 R. C'est parce que je n'ai pas hâte d'en...

 

 Q. Non, je comprends.

 

 R. ...d'en arriver là.

 

 Q. Oui, je comprends.  Mais, c'est parce que vous pourriez nous dire pendant un (1) mois que vous n'avez pas hâte d'en arriver là.

 

 R. Oui, oui Oui, oui.

 

 Q. Le procès...

 

 Laissez-moi finir.

 

 R. Je vous comprends.

 

 Q. Le procès durerait longtemps.

 

 Vous n'êtes pas obligé d'en arriver là. Vous n'êtes pas obligé de raconter ce que vous ne voulez pas raconter.  Mais, si vous décidez de raconter quelque chose j'apprécierais que vous ne vous répétiez pas inutilement.

 

  R. C'est parce que je n'ai pas précisé quelle drogue que j'ai prise puis...

 

 Q. Hier, vous nous avez parlé...

 

 R. ...tout ça.

 

 Q. ...les journaux en font même état ce matin de:  mescaline, d'acide, de fumer un joint, et caetera.

 

 R. Oui. C'est la quantité qu'ils n'ont pas su.

 

  Q.  Alors, parlez-nous de la quantité sans nous revenir nécessairement...

 

 R. Okay.

 

 Q. ...sur la visite de la veille...

 

 R. Okay.

 

 Plus tard le même jour le juge exhorte l'accusé à accélérer son récit et à ne pas trop philosopher sur ce qu'il pense de la justice. La transcription nous révèle cet épisode:

 

  J'ai décidé de me suicider avec, c'est...  c'est vers sept heures trente (7h30), à peu près. Parce que je ne croyais pas à...  à une justice à mon égard. Mais si il y a une justice, tant mieux.

 

 C'est pas que je doute la justice, mais je vais vraiment montrer la vérité sur le bon côté de la médaille.

 

 La Cour:

 

  Q.  Accusé, Pournez-vous accélérer un petit peu ? N'est-ce pas ?

 

 R. Oui, c'est bien ça.

 

 Q.  Ne pas trop philosopher sur ce que vous pensez de la justice...

 

  R. ...et caetera. C'est parce qu'il est trois heures et cinq (3h05), le temps avance, et je répète que j'aimerais bien terminer ce procès avant la fête du Canada, et davantage Noel évidemment.

 

 R. Il m'en reste pas long, monsieur le juge, sauf que...

 

 Q. J'aimerais que votre "pas long" se traduise dans les faits et non en affirmation de votre part.

 

 R. Dans les faits, oui.

 

 Q. D'accord.

 

  R. Mais, est-ce que je vais avoir le droit en vous citant les notes que j'ai pris pendant les témoignages ?

 

 Q. Vous avez tous les droits. Vous avez tous les droits, il vous ont été reconnus depuis quatre (4) jours comme rarement à ma connaissance à aucun accusé...

 

 R. Okay.

 

 Q. ... depuis fort longtemps.

 

 Je vous demande de profiter des droits que vous avez sans en abuser, n'est-ce pas.

 

 R. Okay.

 

 Q. Ca va. C'est simplement un rappel.

 

 R. Okay.

 

 Q. Qui se veut fort raisonnable.

 

 R. Très bien.

 

 L'accusé reprend alors son récit et dit à un moment donné:

 

  Vu que j'avais découvert Eric mort je voulais les tuer pour le venger.

 

 C'est... c'est parce que là si je cherche trop à expliquer ça va rallonger le temps puis quand que je me sens pousser je peux pas...

 

 Q. Je ne vous pousse pas, n'est-ce pas ?

 

 R. Non. Mais, monsieur le juge...

 

 Q. Je ne vous pousse pas. Ca fait quatre (4) jours que vous témoignez...

 

 R. Oui.

 

 Q. Mais, à un moment donné je vous rappelle qu'il faut un jour - toute chose à une bonne fin, n'est-ce pas ?

 

 R. Okay. Okay.

 

  Je suis persuadé que le juge n'a pas pu se référer à pareils propos pour se former l'idée qu'il devenait de plus en plus difficile de poursuivre le procès.

 

  Les répétitions et les longueurs paraissent s'expliquer davantage par la réticence que ressentait l'accusé de vouloir revivre les malheureux et dramatiques événements auxquels il avait été mêlé.

 

 Plus tard le même jour du 24 mars on craint que l'accusé, à l'aide de ses notes, entreprenne de faire une revue détaillée de toute la preuve. Le juge, s'adressant au procureur de l'accusé, intervient:

 

  "Je voudrais un peu savoir où on va, parce que si votre client s'apprête à conter la preuve faite depuis les deux semaines et demi que dure ce procès...".

 

  Pendant qu'a lieu un échange de propos entre le juge et Me Delisle l'accusé s'immisce dans la conversation:

 

 "Je tiens à préciser à la Cour..."

 

 Le juge réplique aussitôt:

 

 "Je parlais à votre avocat, accusé."

 

 L'accusé répond:

 

 "Excusez. Je pensais que..."

 

 Le juge lui coupe la parole:

 

 "S'il a encore un mot à dire dans cette cause-ci, comme l'avocat de la Couronne d'ailleurs, laissez-lui le dire"

 

  Le juge fait sans doute allusion au fait que l'accusé tente de jouer à l'avocat et de se substituer à son procureur car de toute évidence l'avocat de la défense n'a pas l'ascendant sur son client.

 

 Mais comment peut-on soutenir que le comportement de l'accusé soit conçu à dessein pour paralyser la bonne marche du procès. Encore une fois je crois que le procureur de la poursuite n'a pas raison d'invoquer cet épisode comme prémisse à l'exclusion.

 

  Les propos les plus injurieux tenus par l'appelant paraissent avoir été proférés le 25 mars à l'endroit du procureur de la poursuite qui procède à son contre-interrogatoire.

 

  Le contre-interrogatoire porte sur l'amputation du pénis de la victime. L'accusé tente d'expliquer de façon laborieuse et troublante comment il a coupé le pénis de la victime pour se venger contre sa mère en faisant croire à celle-ci qu'il l'a mangé.

 

  L'avocat lui demande: "Bon. Mais lui faire croire de l'avoir tué, c'était pas suffisant ?" L'accusé répond: "Vous êtes traître, "batince" ! que vous êtes traître".

 

  Le juge intervient et lui dit clairement qu'il ne doit pas faire de commentaires à l'endroit d'un avocat. Le juge ajoute: "Répondez aux questions ccmme vous avez parlé abondamment pendant quatre jours et puis tout va bien aller". L'accusé enchaîne: "Monsieur le juge, je le traite pas de traître. Lui, je veux dire à ma façon de parler, je le trouve traître de me faire souffrir".

 

 Je ne vois pas comment le juge aurait pu retenir pareil commentaire pour justifier les décisions qu'il a prises par la suite d'expulser l'accusé.  Il me semble en  effet  que l'intervention pondérée du juge ait replacé les choses dans l'ordre et ait permis de poursuivre l'enquête normalement.

 

  Enfin le dernier incident dont fait état le procureur de la poursuite se produit encore une fois le 25 mars.

 

 Au cours de son long témoignage en examen en chef l'accusé avait parlé de jeunes gens qu'il avait photographiés. Après que l'accusé eut identifié un des jeunes ainsi photographié, le procureur de la Couronne lui pose une question à ce sujet: "Est-ce que c'est le seul jeune que vous avez photographié de mère semblable ?". La réponse ouvre la voie à l'incident qui s'en suit:

 

 R. Non, c'est pas le seul jeune.

 

 Q. Il y en a-tu d'autres qui vous en ont demandé ?

 

 R. Oui.

 

 Q. Qui ?

 

 R. Exactement.

 

 Q. Qui ?

 

 R. ...

 

 Q. Rien qu'un ?

 

 R. Oui.

 

 Q. C'est qui ?

 

 R. Eric Lamontagne.

 

 Q. Eric Lamontagne.

 

 C'est qui, lui ?

 

  R.  Je vous trouve salaud de mettre ça en pleine cour, vous êtes une gang d'écoeurants !

 

 Q. C'est vous qui en avez parlé, monsieur Marceau.

 

 R. Parce que le monde pense pas comme que moi je pense.

 

 Q. Monsieur Marceau, je n'ai jamais parlé des photos dans ma preuve.

 

 C'est vous qui en avez parlé.

 

  R.  C'est officiel que les jurés peuvent pas penser comme moi parce que pour moi c'est une affaire naturelle..  Eux... eux s'imaginent que...que je peux être ci et puis je peux être ça. La pression qu'il a promis de me mettre si je me rendrais au procès, il la met ce maudit écoeurant-là !

 

  L'accusé aurait pointé le sergent-détective Royer chargé de l'enquête pour signifier que ces propos lui étaient adressés.

 

 Ces écarts de langage n'étaient certes pas de nature à impressionner favorablement les jurés.  Considérés cependant dans l'optique de la poursuite du procès, il serait difficile de soutenir qu'ils contribuaient à créer un climat tel qu il faille éventuellement songer à expulser l'accusé pour qu'on puisse enfin rendre le procès à terme.

 

 Cette longue revue de la preuve, si elle ne couvre pas tous les gestes et paroles qui ont pu donner lieu à un avertissement, donne tout de même une idée assez fidèle des excès de langage et du contexte où ils ont eu lieu. Elle met en relief de façon particulière le doigté dont a pu faire preuve le juge du procès pour contenir l'accusé, pour l'apaiser et le contrôler.

 

 Il serait sans doute intéressant de compléter ce tableau en donnant de l'accusé une description plus détaillée de sa personnalité et de son caractère à la lumière des observations faites par les psychiatres qui ont témoigné et déposé des rapports d'expertise mais j'estime, pour les fins de la présente discussion, que les extraits de la preuve reproduits ci-devant suffisent à nous replacer adéquatement dans le contexte où se trouvait le juge du procès au moment où il a pris la décision d'expulser l'accusé de la salle d'audience.

 

 Le droit

 

  Le droit d'expulser un accusé est expressément prévu à l'article 650(2) du Code criminel:

 

 "Le tribunal peut, selon le cas:

 

  a) faire éloigner l'accusé et le faire garder à l'extérieur du tribunal lorsqu'il se conduit  mal  en  interrompant  les procédures, au point qu'il serait impossible de les continuer en sa présence;"

 

  Ce pouvoir d'expulsion comporte par implication le droit d'un accusé d'être présent devant le tribunal pendant son procès. Mais le législateur ne s'est pas contenté d'une reconnaissance implicite de ce droit. Dès le premier paragraphe de l'article 650 il a spécifiquement consacré ce droit:

 

  "Sous réserve du paragraphe (2), un accusé, autre qu'une corporation, doit être présent en cour pendant tout son procès."

 

 La Charte canadienne des droits et libertés n'a pas adopté un texte aussi spécifique que celui de l'article 650(1) pour garantir à un accusé le droit d'être présent en cour pendant tout son procès mais il me paraît évident que la conjugaison des principes énoncés aux articles 1, 7 et 11d) a pour effet d'ériger ce droit en garantie constitutionnelle.  Ces articles se lisent comme suit:

 

  1.  la Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés.  Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

 11. Tout inculpé a le droit:

 

 d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

 

 Il ne fait pas de doute qu'avant l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 c'était déjà une règle de justice fondamentale en droit criminel qu'un accusé soit présent en cour pendant tout son procès.

 

 Monsieur le juge Arthur Martin de la Cour d'appel d'Ontario parlant au nom de la cour, écrivait dans l'arrêt Regina v. Hertrich, Stewart and Skinner (67 C.C.C. (2o) 510, à la page 526) rendu le 17 mai 1982 pour une affaire antérieure à la Charte:

 

 It is a fundamental principle of the criminal law that a person charged with an indictable offence is entitled to be personally present at his trial. At common law no trial for felony could take place except in the presence of the accused unless the accused by his misconduct rendered a trial in his presence possible.

 

 L'appelant ne conteste pas la constitutionnalité de l'article 650(2) qui accorde à une cour de justice un certain pouvoir d'expulsion.

 

 L'eut-il fait que cette contestation se serait avérée à mon sens infructueuse.

 

  Je me rallie en effet et sans difficulté à l'opinion émise par monsieur  le  juge  Murray  de  la  Cour  suprême  de Colombie-Britannique qui disait dans Regina v. Pawliw (23 C.C.C. (3o) 14, à la page 19, 28 octobre l985):

 

 The constititionality of s. 577(2)(a) (maintenant 650 (2)a) has not been questioned by any decision in Canada and on reflection I have decided that it is unnecessary for me to do so in this case as I have concluded that even if the section offends against the Charter the importance of protecting the integrity of the administration of justice against tactics which would turn that administration into a farce justilies the existence of s. 577(2)(a) as a reasonable limitation in a free and democratic society.  Any other conclusion would result in chaos in the courts which could be held to ransom by any accused person who takes it upon himself to disrupt the administration of justice.

 

  Cependant je crois qu'il est important de souligner que le droit d'expulsion reconnu à l'article 650(2) du Code criminel constitue une restriction au droit constitutionnel d'un accusé et qu'à ce titre l'exercice du droit d'expulsion par une cour de justice doit loger à l'enseigne de la retenue et de la stricte nécessité tel que le prescrit l'article du Code criminel lorsqu'il dit que la conduite de l'accusé qui interrompt les procédures doit être telle qu'elle rende impossible la poursuite du procès en sa présence.

 

  A mon avis monsieur le juge Murray dans cette affaire Pawliw a correctement tracé les limites du droit d'expulsion lorsqu'il dit (p. 17):

 

  To invoke the drastic procedure contemplated by s. 577(2)(a) I must be satisfied beyond a reasonable doubt on three issues, as follows:

 

 1. that the accused misconducted himself;

 

 2. that such misconduct has interrupted the trial;

 

  3. that it would not be feasible to continue the trial in his presence.

 

 Avec à propos le juge Murray invoque à l'appui de sa décision les principes posés par certains arrêts:

 

  ...In coming to that conclusion I draw comfort from the words of Judson J. in Spataro v. The Queen (1972) 7 C.C.C. (2o) I at p. 5, 26 D.L.R. (3o) 625, (1974) S.C.R. 253:  "The right of defence is not a licence to obstruct the course of justice...".

 

 In the Spataro case Judson J., at p. 6, referred to the decision of the Supreme Court of Canada in Vescio v. The King (1948), 92 C.C.C. 161, (1949) 1 D.L.R. 720, (1949) S.C.R. 139, in the following terms:

 

 The reasons delivered in this Court clearly show that there was no good reason for delaying the trial.  They approve of the determination of the trial Judge not to allow the judicial process to be frustrated by the tactics of counsel to bring about a delay.

 

 and in R. v. Thorpe (1976), 32 C.C.C. (2o) 46, Guy J.A. said at p. 49:

 

 But he is not entitled to make a travesty of the administration of justice by keeping 12 members of society (the jury of his peers) waiting day after day while he vacillates about counsel, or changes counsel. His right to "his day in court" does not include the right to make a mockery of the judicial system.

 

 L'appelant soutient que les deux expulsions sont injustifiées.

 

  On se souviendra que la première eut lieu le 26 mars pendant une discussion hors la présence du jury. L'accusé était dans la boîte aux témoins et rendait témoignage dans sa propre défense. On  voulait,  en  contre-interrogatoire, produire certaines déclarations extra-judiciaires faites à des  personnes  en autorité et certains témoignages de l'appelant à l'occasion de crimes antérieurs pour lesquels il avait été reconnu coupable. L'accusé avait abondamment parlé de ces crimes en rendant témoignage. Il fut expulsé quand il intervint spontanément dans la discussion qui se déroulait entre le juge et le procureur de la Couronne en disant:  "Faut-tu être dans un monde de chien sal...".

 

  La discussion entre le juge et les deux procureurs se poursuivit pendant tout le reste de l'avant-midi du 26 mars en l'absence de l'accusé-témoin sur la question de savoir si la production des déclarations et témoignages antérieurs pourrait être permise.

 

  Le procureur de l'accusé, Me Delisle, semblait admettre que la production puisse être légalement justifiée mais il s'opposait à la production de ces déclarations et témoignages parce que la poursuite risquait ainsi de "rallonger inutilement le procès". Le juge prit finalement la décision  d'en  permettre  la production.

 

  L'après-midi du 26 mars fut consacré à la production des déclarations et transcriptions en l'absence de l'accusé jusqu'à ce que le juge demande qu'on le ramène en cour en fin de journée pour  lui  donner  l'avertissement  déjà  cité.    Le contre-interrogatoire de l'accusé prit donc fin avec l'expulsion dont il fut l'objet.

 

 Pendant l'absence qui dura l'espace de 15 minutes en avant-midi et de 30 minutes en après-midi l'accusé fut absent pendant une discussion hors jury sur des questions de droit et pendant la production hors jury de certaines déclarations et certains témoignages émanant de lui à l'occasion de procès antérieurs pour divers autres crimes dont il avait été reconnu coupable.

 

 Le langage grossier peut certes être pris en considération lorsqu'un juge entreprend d'exercer sa discrétion judiciaire aux termes de l'article 650(2) du Code criminel mais en soi la vulgarité et la  grossièreté  du  langage  ne  sont  pas déterminantes.

 

  Ce sont des éléments parmi d'autres qui aideront le juge à apprécier la conduite de l'accusé et à déterminer si la poursuite du procès est encore possible en sa présence.

 

  La spontanéité de la réflexion vulgaire et choquante de l'accusé ne me paraît pas s'inscrire ici dans le cadre d'une conduite susceptible de rendre impossible la poursuite du procès.  On ne peut non plus, dans le contexte où cette réflexion a été faite, prétendre que c'était la goutte qui faisait déborder le vase.

 

 Avec beaucoup d'égards pour le juge qui faisait face ici à une situation difficile en raison de la personnalité même de l'accusé il me semble que sa réaction spontanée ne lui a pas permis de s'interroger sur les ballses que lui posait l'article 650(2) du Code criminel dans l'exercice de sa discrétion.

 

 Je conçois qu'il soit difficile pour un juge d'atteindre un juste équilibre entre la fermeté et la patience dont il doit faire preuve dans l'exécution de ses fonctions mais sa fonction lui dicte avant tout le devoir de suivre les préceptes de la loi et non pas de réagir en fonction de son propre tempérament.

 

  Dans la formulation de ses avertissements antérieurs le juge s'était tellement enrobé d'une camisole de force en avertissant l'accusé qu'à la première incartade il n'aurait pas d'autre choix que de l'expulser, qu'il s'est senti contraint de mettre ses menaces d'expulsion à exécution quand la première occasion s'est présentée.

 

 La deuxième expulsion me paraît encore moins justifiée que la première.

 

  La  Couronne  faisait  entendre  son dernier témoin en contre-preuve. Le docteur Paul-Hus, par la force des choses, était appelé à faire part aux jurés des prémisses sur lesquelles il fondait sa conclusion que l'accusé était sain d'esprit au moment de la commission du crime.

 

  Il avait assisté au procès depuis le 17 mars, avait eu la possibilité de faire un examen psychiatrique de l'accusé en présence du psychiatre de ce dernier et avait pris connaissance de tous les documents de nature judiciaire et médicale pouvant le renseigner à son sujet. Une masse imposante de documents.

 

 Depuis l'expulsion du 26 mars, comme j'ai tenté de le démontrer en faisant l'analyse de la preuve, il ne s'était produit aucun incident qui soit de nature à établir que l'appelant cherchait, par son comportement, à paralyser la bonne marche du procès.

 

  L'expulsion qui se produit le 2 avril survient au moment où l'accusé dit au docteur Paul-Hus qui apparemment fait erreur dans son interprétation des faits "Non monsieur".

 

  Il semble que le juge ait davantage réagi par agacement et impulsion que par décision réfléchie. Il n'a certes pas eu le temps de se demander si, hors de tout doute raisonnable, la poursuite du procès était devenue impossible.

 

 Encore une fois j'ai la conviction que le juge a été prisonnier des avertissements antérieurs où il avait prévenu l'accusé qu'il l'expulserait pour le reste du procès à la moindre intervention de sa part.

 

  Le droit d'être présent en cour pendant tout le procès n'implique pas seulement le droit d'assister à l'audition des témoins mais aussi d'assister aux plaidoiries des avocats, à l'adresse du juge, au verdict du jury et à la sentence.

 

 Dans l'arrêt Hertrich de la Cour d'appel d'Ontario auquel j'ai déjà référé monsieur le juge Martin avait l'occasion d'écrire (p. 527):

 

 Under s. 577(1), (maintenant 650 (1)), the accused is not only entitled to be present at his trial, but his presence is required, subject to the provisions of s-s. (2).

 

 For the purpose of this principle, the trial means the entire proceedings, including sentence:  Lawrence v. The King, (1933) A.C. 699 at p. 708.

 

 The law is settled that depriving an accused of his right to be present at his trial in contravention of s. 577 is the denial of a fundamental right requiring the setting aside  of  the conviction, and the curative provisions of s. 613(i)(b)(iii) are inapplicable:  see Meunier v. The Queen (1965), 48 C.R. 14, (1966) Que. Q.B. 94n; affirmed (1966) S.C.R. 399, 50 C.R. 75; Ginoux v. The Queen (1971), 15 C.R.N.S. 117; affirmed 16 C.R.N.S. 256n; R. v. Reale (1973), 13 C.C.C.(2d) 345, (1973) 3 O.R. 905; affirmed 22 C.C.C.(2d) 571, 58 D.L.R.(3d) 560, (1975) 2 S.C.R. 624 sub nom.  A.-G. Ont. v. Reale; R.  v. Grimba (1980), 56 C.C.C. (2d) 570, 117 D.L.R.(3d) 740, 30 O.R.(2d) 545.

 

  Generally speaking, the trial of an accused does not commence until after plea: see Giroux v. The King (1917), 29 C.C.C. 258 at p. 268.

 

  However, "trial" for the purpose of the principle that an accused is entitled to be present at his trial clearly included proceedings which are part of the normal trial process for determining the guilt or innocence of the accused such as arraignment and plea, the empanelling of the jury, the reception of evidence (including voir dire proceedings with respect to the admissibility of evidence), rulings on evidence, arguments of counsel, addresses of counsel to the jury, the judge's charge, including requests by the jury for further instructions, the reception of the verdict and the imposition of sentence if the accused is found guilty.

 

 La deuxième expulsion eut lieu vers la fin de l'enquête.

 

  L'ensemble du dossier ne permet pas de présumer que l'accusé aurait eu pendant les plaidoiries et l'adresse du juge un comportement incorrect au point de faire craindre que tout le procès puisse devenir une moquerie ou une parodie de la justice.

 

 Je crois utile de donner ici la description de la situation qui prévalait devant monsieur le jury Murray dans l'affaire Pawliw quand il a pris la décision d'expulser l'accusé après avoir suspendu l'audience, mûrement réfléchi sur sa décision et prit la peine de rédiger une décision écrite qui fut versée au dossier avec interdiction d'en donner communication aux jurés avant la fin du procès. Je cite de la page 16:

 

  The trial commenced on September 16, 1985, at which time Crown counsel estimated that the trial would take a month. It became obvious very quickly that by reason of the delaying tactics of the accused the trial will take much longer.  Almost from the commencement of the trial the accused adopted the following tactics:

 

 1.  He continually made long statements to the jury about matters which are absolutely irrelevant to the case. An example of this type of statement was his constant reference to his conviction for first degree murder and the fact that he was in bed asleep when the murder was committed.

 

  2.  He continually asked repetitious questions of witnesses. On some occasions he would ask the same witness the same question four of five times despite repeated warnings.

 

  3.  He persisted in asking witness after witness improper questions.

 

 One example of this type of question was his persistence in asking nearly all police officers if he was suspected of having committed 30 murders.

 

 4. Time after time he asked witnesses to testify to hearsay after I had explained to him in simple terms the nature of hearsay evidence.

 

 On many of these occasions instead of abiding by my rulling he would immediately ask the same question again.

 

 5. He would deliberately pause for very long intervals between questions. The delays often amounted to four of five minutes.

 

  6.  On occasions too numerous to mention he displayed a calculated refusal to abide by any directions I gave as to the admissibility of evidence or ortherwise.

 

  7.  He made spurious motions at every available opportunity. These were usually motions to quash the indictment on frivolous grounds.

 

  8.  He refused to abide by my rulings on other motions and requests made by him. One example of his was his request for the issue of a subpoena directed to one Judy Rusu, a witness who had testified against him as a Crown witness at his murder trial and who has now been given a new identity and is out of Canada. When I ruled that I would not compel her attendance he refused to recognize the ruling and renewed his request on an almost daily basis interspersed with complaints to the jury.  He similarly requested that subpoenas be issued for Dennis Van Dooren and Conrad Gunn. Van Dooreen is the husband of Diana Van Dooren for whose murder the accused was convicted and Gunn is a convicted drug trafficker who, the evidence adduced by the accused showed, had a contract out to kill the accused and vice versa. I was convinced that these requests were not made genuinely but were made for obviously ulterior purposes. The accused again refused to accept my ruling on these latter matters.

 

 9. Finally, the accused commenced to verbally abuse witnesses. An example of this occurred on October 16th when he addressed a police officer who was giving evidence by using words to the following effect:  "Officer, I used to think you were a gentleman - now I think you are a jerk."

 

  It was as a result of the foregoing type of conduct that I had the accused removed on October 2nd. As a result of that removal the accused apologized and asked to return to the court-room the following day. He did not learn a lesson from that removal but rather the type of conduct detailed above escalated to the point where I ordered his removal a second time. I am now satisfied beyond a reasonable doubt that, for reasons known only to him, the accused deliberately embarked on a course of conduct calculated to delay and to obstruct the course of this trial indefinitely and I am also so satisfied that he was succeeding in his objective. This is illustrated by the fact that I have already had to excuse one juror who was facing economic disaster as a result of the prolongation of the trial.  I am also satisfied that it would not be practical to return the accused to the court-room during the rest of the Crown's case as he would only resume his delaying and obstructionist tactics. As I told the accused at the time of his removal on October 16th, he was in effect by this conduct holding the members of the jury as hostages.

 

 On est loin d'une telle situation. Très loin.

 

  Il n'y a bas d'autre solution dans les circonstances que d'ordonner un nouveau procès.

 

 Dans l'affaire Hertrich monsieur le juge Martin ne manquait pas de souligner qu'on ne pouvait invoquer la mesure remédiatrice de l'article 686 (i)b)(iii) (anciennement 613 (i)b)(iii)) lorsqu'un accusé était injustement privé du droit fondamental d'être présent.  A ce sujet le droit avait été bien défini par plusieurs arrêts que cite le juge Martin et notamment par l'arrêt Meunier c. R. (1965) 48 C.R.  14, (1966) B.R. 94; confirmé par (1966) R.C.S. 399, 50 C.R. 75. La Cour suprême a de nouveau étudié cette question dans R. c. Barrow (1987) 2 R.C.S 694 et a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renverser le précédent posé par l'arrêt Meunier.

 

  L'ajout du sous-paragraphe 686(1)b) ne permet pas davantage d'ignorer le motif d'appel car le préjudice causé à l'accusé, en supposant que son expulsion puisse être assimilée à une simple irrégulariré de procédure - ce que je n'entends pas ici décider - est trop évident. Il suffit de rappeler qu'en son absence on a produit des déclarations et des transcriptions de témoignage énormément  préjudiciables; que toutes les plaidoiries des avocats et l'adresse du juge ont eu lieu sans qu'il puisse en avoir connaissance.

 

  J'en viens à la conclusion que dans les circonstances de la présente affaire la discrétion du juge n'a pas été exercée judiciairement et pour ce seul motif j'accueillerais le pourvoi et j'ordonnerais un nouveau procès. J.C.A.

 

 Opinion du juge Dubé

 

 Je partage l'opinion de mon collègue, monsieur le juge Nichols.

 

 J'ai beaucoup de sympathie pour un juge qui doit présider des assises criminelles durant 25 jours: c'est une des tâches des plus difficiles de la magistrature; en plus d'une grande compétence, elle exige souvent une patience angélique.

 

 D'autre part, l'article 650 (I) de notre droit criminel accorde à un accusé un droit quasi sacré d'être présent pendant toute la durée de son procès. Pour priver un accusé de ce droit, il n'y a qu'un seul cas, c'est celui où l'accusé se conduit tellement mal "qu'il serait impossible de les continuer (procédures) en sa présence".

 

  Une étude attentive du volumineux dossier dans cette cause me conduit à la même conclusion que mon collègue, monsieur le juge Nichols, c'est-à-dire à celle que, même si l'accusé s'est mal conduit et qu'il devait être très pénible pour le juge d'endurer ses interventions et ses polissonneries tout de même, la continuation des procédures n'a jamais été empêchée de ce fait.

 

  Il serait peut-être à propos que les autorités judiciaires équipent les salles d'assises criminelles d'une chambre vitrée d'où un accusé récalcitrant pourrait voir et entendre toutes les procédures  sans  que  ses interventions puissent déranger l'audience.

 

 Comme mon collègue, monsieur le juge Nichols, je ne vois pas d'autres conclusions dans les Circonstances, que d'ordonner un nouveau procès.

 

 J.C.A.

 

 

INSTANCE-ANTÉRIEURE

 

 

(C.S. Québec 200-01-004420-869)