C A N A D A

Province de Québec

Greffe de Montréal

 

 

No:   500‑09‑000511‑857

 

 

     (705‑05‑000498‑835)

 

Cour d'appel

 

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Le 11 décembre 1987

 

 

 

CORAM :   MM. les juges Monet, Nichols et Vallerand

 

 

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ASSOCIATION DES HARMONISTES DU QUÉBEC INC., demanderesse appelante,

 

 

c.

 

 

MAURICE THOUIN et une autre, défendeurs intimés, et GISÈLE THOUIN,

intimée

 

 

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   LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement de la Cour supérieure du district de Joliette rendu le 11 février 1985 par l'honorable juge Louis S. Tannenbaum, accueillant la requête en irrecevabilité des intimés et rejetant l'action avec dépens;

 

 Après étude du dossier, audition des procureurs et délibéré;

 

  Pour les motifs exprimés aux opinions de messieurs les juges Nichols et Vallerand, monsieur le juge Monet souscrivant à l'opinion de ce dernier:

 

 ACCUEILLE le pourvoi avec dépens;

 

 CASSE le jugement de première instance;

 

 REJETTE la requête en irrecevabilité sans frais.

 

 OPINION DU JUGE NICHOLS

 

  Dans une action en passation de titre un promettant acheteur a-t-il l'obligation rigoureuse de consigner le prix de vente au moment d'intenter l'action et cette consignation doit-elle nécessairement être faite en espèces ? Telles sont les questions posées par le présent pourvoi.

 

 Il est acquis au débat que l'action a dûment été précédée d'une mise en demeure et d'offres réelles légalement faites.

 

 Un plaidoyer de la nature d'une dénégation générale fut produit par les intimés sans qu'on y soulève un moyen de défense spécifique pour justifier le refus de donner suite à la promesse de vente.

 

  Avant que la contestation ne soit liée et que la cause ne soit inscrite pour audition, l'appelante n'a pas consigné le prix de vente de 125 000 $ qu'elle avait offert en espèces au moment de la mise en demeure.

 

 Le jour fixé pour le procès les intimés, qui avaient déjà sollicité et obtenu deux remises, présentèrent une requête en irrecevabilité au motif que l'appelante avait omis de déposer la somme offerte et de la consigner conformément à l'article 189 du Code de procédure civile.

 

 Confronté par une telle requête le procureur de l'appelante chargea un de ses associés de s'occuper sur le champ d'aller consigner au greffe la somme requise. L'associé se rendit au greffe,  remit au protonotaire un chèque non certifié de 125 000 $ tiré sur le compte en fidéicommis du bureau et obtint un récépissé qu'il s'empressa d'aller porter à son confrère qui s'opposait à la requête en irrecevabilité.

 

 Le récépissé se lisait comme suit:

 

 Cent vingt-cinq mille (125 000 $) en argent, chèque visé, déposé ce jour, l'Association des Harmonistes, Joliette, 11 février 1985.

 

 Il appert de la transcription des discussions qui furent tenues ce même jour du 11 février 1985 que le greffe de Joliette avait l'habitude de considérer comme dépôt en argent ou comme chèque visé un simple chèque non certifié quand il s'agissait d'un chèque émanant d'un avocat connu du greffe et tiré sur son compte en fidéicommis.

 

 Le juge fut donc informé de la consignation d'une somme de 125 000 $ à l'aide d'un chèque visé alors qu'en réalité le chèque en question n'avait pas été visé.

 

 Pendant l'ajournement du midi, les procureurs de l'appelante s'occupèrent de faire viser le chèque et à la reprise de l'audience en après-midi le tribunal fut informé de ce fait.

 

 Devant l'attitude du tribunal qui paraissait endosser la thèse du procureur des intimés à l'effet que la consignation était tardive et irrégulière, le procureur de l'appelante invoqua l'article 166 du Code de procédure pour que lui soit accordé un délai en vue de redresser le grief sur lequel était fondée la requête en irrecevabilité. Sans opposer un refus formel le juge ignora cette demande et rendit sa décision. Il en vint à la conclusion que la consignation devait être faite en monnaie courante et qu'elle était tardive. Il s'agissait selon lui de vices auxquels il était impossible de remédier. Il accueillit donc la requête en irrecevabilité et rejeta l'action avec la mention "sauf recours", laissant sous-entendre que le remède approprié était d'intenter une nouvelle action en respectant les préceptes qu'il venait d'endosser. D'où le présent pourvoi.

 

  Avec égards, je suis d'avis qu'un tel formalisme n'est pas justifié.

 

 Le code de procédure civile règle la manière de faire les offres et la consignation (article 1168 C.C.).

 

  Or les articles 187 et suivants du Code de procédure ne déterminent ni l'instant où la consignation doit être faite ni la manière de la faire.

 

 La possibilité de consigner les offres au greffe du tribunal ou au bureau des dépôts de la province n'implique pas que le déposant soit tenu de verser la somme en espèces. Quelle que soit la forme du paiement, l'essentiel c'est que le greffe ou le bureau des dépôts soient satisfaits de détenir la somme offerte et soient capables d'émettre un récépissé.

 

 La jurisprudence constante suivie par notre Cour a été exposée de nouveau dans SOCIETE FINANCIERE J.B. LTEE c. 122681 CANADA INC. (C.A.M.  500-09-001157-841, 24 janvier 1985) où l'on rappelle ce qu'on disait dans LEBEL c. LES COMMIS SAIRES D'ECOLES MONTMORENCY (1954 B.R. 824, confirmé par 1955 R.C.S. 298):

 

  "le demandeur doit produire le contrat de vente qu'il a signé, renouveler ses offres, faire, s'il y a lieu, les consignations que le cas peut comporter, en un mot, agir de manière que son cocontractant soit, par la force du jugement, placé dans les mêmes conditions que si toute la transaction s'était effectuée devant le notaire".

 

 Il faut donc que le défendeur à l'action soit "placé dans les mêmes conditions que si toute la transaction s'était effectuée devant le notaire".

 

 Or si la transaction s'était effectuée devant le notaire les prestations  de  l'acheteur  et  du  vendeur auraient été concomitantes.  L'acheteur aurait versé le prix de vente au moment même où le vendeur lui aurait passé titre.

 

  Dans l'action en passation de titre il faut donc que, par la force du jugement, le vendeur-défendeur condamné à passer titre reçoive le prix offert par l'acheteur-demandeur au moment où il se conforme à l'ordonnance contenue au jugement ou, à défaut de s'y conformer, au moment où le jugement devient le titre recherché.

 

 Le juge appelé à rendre un tel jugement ne peut évidemment pas rendre une ordonnance contre le demandeur pour le contraindre à payer le prix car il n'est saisi d'aucune demande d'ordonnance à cet effet.

 

 Il lui faut avoir la certitude que la prestation du demandeur est disponible quand le jugement est rendu.

 

  Cette certitude provient du renouvellement des offres dans l'action et de la consignation de la somme offerte lorsque le prix est payable en deniers.

 

  Le renouvellement des offres se fait par allégation dans la déclaration. Mais la simple allégation du renouvellement des offres ne donne pas au juge la certitude que la prestation du demandeur sera disponible quand jugement sera rendu.

 

 Cette certitude provient de la consignation de la somme offerte. Il s'agit là d'une formalité essentielle.

 

  Lorsque l'instruction d'une cause commence devant le tribunal, le cadre du débat judiciaire est celui de la contestation liée.

 

 Cela signifie que la consignation doit faire partie de la contestation  liée et doit être faite avant que commence l'instruction de la cause.

 

  Bref, pour faire partie du débat judiciaire devant le tribunal la consignation doit d'abord faire partie du débat procédural qui mène à l'inscription de la cause pour audition.

 

  A première vue il peut paraître injuste qu'un acheteur soit obligé de fournir sa prestation d'avance quand un vendeur s'obstine à ne pas fournir la sienne mais le législateur n'a pas encore pu élaborer un mécanisme judiciaire par lequel les prestations pourraient être véritablement concomitantes.

 

 Le seul tempérament qu'il a apporté pour corriger cette apparente  injustice se retrouve à l'article 189.1 C.P.C. sanctionné le 23 juin 1987 (L.Q. 1987, c. 48, a.l) en vertu duquel un demandeur peut maintenant confier à une compagnie de fidéicommis la somme d'argent qui normalement devrait être consignée.

 

 Ce correctif n'existait pas le 11 janvier 1985 quand le premier juge fut saisi de la requête en irrecevabilité des intimés.

 

 Il faut donc conclure que l'appelant avait omis de consigner la somme offerte en temps utile. A ce titre les intimés pouvaient soulever l'irrecevabilité de la demande.

 

  Cependant l'absence de  consignation  ne  constitue  pas nécessairement  une  fin  de non-recevoir. L'arrêt SOCIETE FINANCIERE J.B. LTEE le reconnaît expressément:

 

 CONSIDERANT que, même si l'absence de consignation des deniers lors de la demande peut, dans certaines circonstances, ne pas constituer une fin de non-recevoir à l'action en passation de titre mais uniquement donner ouverture à un moyen dilatoire, il ne s'agit pas ici d'une requête en irrecevabilité mais de l'appel d'un jugement permettant de substituer une garantie bancaire au dépôt du prix de vente ou de partie d'icelui;

 

 Au moment où le juge fut saisi de la requête en irrecevabilité, l'enquête et l'audition n'étaient pas encore commencées. Cette demande lui a été présentée avant le procès. La déclaration, par ses allégués, démontrait le sérieux de l'appelante. On y alléguait que des offres réelles en monnaie courante avaient été faites aux intimés par le notaire qui s'était occupé de mettre ceux-ci en demeure de signer l'acte de vente. Le procès-verbal du notaire est produit au dossier de la Cour selon qu'en atteste le paragraphe 11 de la déclaration. Il s'agit d'un acte authentique. Pour les fins de la requête en irrecevabilité le premier juge devait tenir ces faits pour avérés. Il avait donc la démonstration que l'appelante avait l'intention de respecter ses propres obligations. Il lui manquait la certitude que l'argent serait en disponibilité advenant qu'il condamne les intimés à passer titre.

 

 L'article 166 du Code de procédure lui offrait le moyen tout indiqué de remédier au grief soulevé par la requête des intimés.

 

  166.  Lorsqu'il est possible de redresser le grief sur lequel l'exception est fondée, le demandeur peut obtenir qu'un délai lui  soit accordé pour ce faire et que le jugement sur l'exception ne soit rendu qu'à l'expiration de ce délai.

 

 Si le grief subsiste, la demande sera rejetée; s'il a été redressé, l'exception sera maintenue pour les dépens seulement.

 

  D'ailleurs avant qu'il ne rende jugement un chèque visé avait déjà été déposé entre les mains du protonotaire et il avait été informé de ce fait à l'aide d'un document officiel émanant du greffe, soit le récépissé dont parle l'article 189 C.P.C. A vrai dire, la requête ne devenait qu'une affaire de frais.

 

 Le plaidoyer tient de la nature d'une dénégation générale. Il ne soulève aucun moyen spécifique de défense si ce n'est de dire que c'est à bon droit que les intimés ont refusé de signer l'acte de vente.

 

  Les intimés ont attendu le jour fixé pour le procès pour présenter cette requête. Elle est datée du 11 février 1985, le jour même du jugement dont appel. Il n'apparaît pas au dossier qu'elle ait été signifiée un jour franc avant sa présentation.

 

 Manifestement les intimés ont voulu prendre l'appelante par surprise.

 

  Quoiqu'il en soit je suis d'avis que le premier juge aurait dû considérer comme remède efficace et suffisant la consignation faite par l'appelante.

 

 Notre code de procédure, faut-il le redire, est destiné à faire apparaître le droit. Je ne vois aucun principe qui puisse permettre dans un cas comme celuici d'opposer une fin de non-recevoir au recours de l'appelante.

 

  Vu qu'il a été remédié au grief soulevé par la requête avant même que jugement ne soit rendu et vu que les intimés ont attendu à la toute dernière minute pour produire leur requête dans le but manifeste de prendre l'appelante par surprise, j'accueillerais le pourvoi avec dépens et je rejeterais la requête en irrecevabilité sans frais. J.C.A.

 

 OPINION DU JUGE VALLERAND

 

 Je suis d'avis de disposer de ce pourvoi comme le propose mon collègue Nichols.

 

  La consignation du prix est et a toujours été une formalité essentielle de l'action en passation de titre. Cela, comme le signale mon collègue, afin d'assurer que le jugement ne passera pas titre sans que le vendeur ne soit irrévocablement certain de toucher le prix.

 

  Faute par le demandeur-acheteur  d'avoir  irrévocablement consigné le prix, son action est irrecevable et il est loisible au défendeur-vendeur de soulever l'exception d'irrecevabilité en tout état de cause.

 

 Là où, d'accord avec mon collègue, je ne partage pas l'avis du premier juge c'est lorsqu'il a, en l'espèce, refusé au demandeur le secours de l'article 166 C.P.C. au motif que l'irrecevabilité aurait été définitivement acquise au défendeur-vendeur. Les faits de l'espèce forcent la conclusion que les défendeurs ont voulu imposer un formalisme aujourd'hui désuet que, pas plus que mon collègue, je ne puis endosser. J.C.A.

 

 

INSTANCE-ANTÉRIEURE

 

 

(M. le juge Louis S. Tannenbaum, C.S. Joliette

 

 

705-05-000498-835, 1985-02-11