R. c. Barrow, [1987] 2 R.C.S. 694
A. Irvine Barrow
Appelant
c.
Sa Majesté La Reine Intimée
RÉPERTORIÉ: R. c. BARROW
No du greffe: 19086.
1987: 25, 26 mars; 1987: 17 décembre.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Wilson, Le Dain
et La Forest.
en appel de la division d'appel de la cour suprême de la nouvelle-écosse
Droit criminel -- Jury -- Formation du jury -- Procédure -- Interrogatoire
de membres du tableau des jurés après l'interpellation et le plaidoyer en vue de
décider de l'opportunité de les libérer pour cause de liens avec l'affaire ou de
partialité due à la publicité ayant précédé le procès -- Sélection effectuée privément
entre le juge et le juré, dans la salle d'audience mais sans que l'accusé et son avocat
puissent entendre -- Accusé autorisé à demander la récusation motivée des jurés
restants -- La procédure est-elle irrégulière? -- Dans l'affirmative, le procès de
l'appelant est-il entaché de nullité de sorte que le pourvoi formé contre la déclaration
de culpabilité devrait être accueilli? -- Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art.

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110(1)d), 423(1)d), 558, 567, 569(2), 573, 577, 598, 599, 600, 613(1)b)(iii), -- Juries
Act, S.N.S. 1969, chap. 12, art. 1m), 4(2).
Droit criminel -- Complot pour obtenir des contributions au profit du parti
au pouvoir en recourant à un trafic d'influence -- Un parti politique est-il une
"personne"? -- Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2, 110(1)d).
Droit criminel -- Preuve d'un complot -- Règle du ouï-dire et exception
dans les cas de complot -- Les directives du juge étaient-elles appropriées?
Preuve -- Preuve de bonne moralité -- Pertinence -- Les directives du juge
étaient-elles appropriées?
Le juge, au procès de l'appelant inculpé, comme ses deux coaccusés, de
complot criminel pour recueillir des fonds pour le parti politique au pouvoir, grâce à
leur influence auprès du gouvernement, a invité les membres du tableau des jurés à
demander des dispenses afin de ne pas avoir à exercer la fonction de jurés, notamment
pour cause de partialité envers le ministère public ou l'accusé. Les demandes de
dispense individuelles ont été examinées à l'audience, mais sans que l'accusé et son
avocat puissent entendre ce qui se disait. Des quatre-vingt-trois membres du tableau,
trente-six ont obtenu des dispenses; le juge de première instance a fait savoir que
l'impartialité d'au moins quatre jurés pouvait être en cause. Le jury, formé à même le
tableau restant, a reconnu l'accusé coupable. La Division d'appel a rejeté l'appel qu'il
avait interjeté de la déclaration de culpabilité.

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Voici les moyens invoqués en l'espèce: (1) la Division d'appel a-t-elle eu
tort de juger que l'interrogatoire sous serment de membres du tableau des jurés auquel
a procédé le juge de première instance en l'absence de l'appelant et de son avocat
n'entachait pas de nullité le procès de l'appelant? (2) la Division d'appel a-t-elle eu tort
de juger que le parti politique en cause était "une personne" au sens de l'al. 110(1)d)
du Code criminel? (3) les directives du juge de première instance au jury, au sujet de
l'exception à la règle du ouï-dire dans le cas des parties à un complot, étaient-elles
appropriées? (4) une erreur judiciaire a-t-elle résulté de l'absence de directives du juge
de première instance au jury sur l'usage qui, en droit, pouvait être fait de la preuve de
bonne moralité de l'appelant?
Arrêt (les juges McIntyre et Le Dain sont dissidents): Le pourvoi est
accueilli.
Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, Wilson et La Forest:
L'article 577 du Code criminel devrait recevoir une interprétation large; les termes
"pendant tout son procès" signifient cela justement. Vu l'importance fondamentale de
la sélection du jury et vu aussi que le Code criminel confère à l'accusé le droit de
participer à ce processus, la sélection du jury devrait être considérée comme une partie
intégrante du procès pour les fins du par. 577(1). Les dispenses accordées par le juge
dans cette affaire ne constituaient pas un prolongement dans la salle d'audience de la
procédure préparatoire au procès prévue par le par. 577(1).
Dans le cas de la sélection du jury, la compétence provinciale en matière
d'administration de la justice cesse et la compétence fédérale en matière de procédure
criminelle commence lorsque les actes du juge concernent non plus la constitution d'un

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tableau de citoyens admissibles, mais plutôt les précautions qu'il est nécessaire de
prendre pour s'assurer de l'impartialité du jury. La Juries Act de la Nouvelle-Écosse
est compatible avec cette interprétation de l'étendue de la compétence provinciale.
L'équilibre du système complet établi par le Code criminel dans le but d'assurer qu'un
jury sera aussi neutre que possible et de garantir que les parties et le public en général
seront convaincus de son impartialité, serait perturbé par toute addition provenant
d'une autre source. La province ne peut confier au juge le pouvoir de décider de la
partialité ou de l'impartialité et tout juge qui tente de participer à de telles décisions
usurpe la fonction de juré établie par le par. 569(2). Une usurpation de ce genre
constitue une erreur de droit si grave de la part du juge, qu'elle oblige à ordonner un
nouveau procès, même s'il est impossible de démontrer l'existence d'un préjudice pour
l'accusé.
L'accusé et le public doivent avoir l'impression que la procédure est
équitable; ils verraient difficilement dans les échanges à voix basse du juge et d'un
juré, après l'interpellation et l'inscription d'un plaidoyer, une question administrative
qui n'influe pas sur le droit de l'accusé à un procès équitable. La décision ne saurait
être fondée uniquement sur la définition technique du moment où commence le procès.
Même si la libération d'un juré peut être perçue comme un acte purement administratif,
les attentes du public en ce qui concerne la fonction judiciaire dans ces circonstances
exigent que le juge exerce judiciairement cette tâche administrative. Le juge doit
autoriser la participation des avocats et permettre au public de connaître les motifs de
sa décision.
Les articles 598, 599 et 600 ne s'appliquent pas ici. Les articles 598 et 599
signifient qu'on ne peut avoir recours à un vice de forme qui n'a pas influé sur le fond

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du procès pour en contester le résultat. Ces articles ne remédient pas aux doutes
soulevés quant à l'impartialité du jury ni quant à savoir si justice paraît avoir été
rendue. En vertu du par. 569(2), toutes les questions de partialité doivent être
tranchées par deux jurés assermentés à cette fin; par conséquent, l'art. 600 n'autorise
pas le juge à exercer cette fonction.
Il ne peut être présumé que tous les jurés libérés pour cause de partialité
étaient partiaux en faveur du ministère public. Les motifs de partialité pour lesquels
le juge a exclu les jurés ne sont pas connus et ne peuvent que faire l'objet de
conjectures. Il ne peut être présumé non plus que le tamisage par le juge a aidé l'accusé
sans nuire à un exercice ultérieur du droit de récusation motivée. Il est fort possible
que le processus de tamisage n'ait pas permis d'écarter certains jurés favorables au
ministère public ou à l'accusé.
Les juge McIntyre et Le Dain (dissidents): L'appelant n'était pas présent
à la sélection du tableau des membres en vue de la sélection du jury, puisque ni lui ni
son avocat n'ont pu entendre ce qui se disait lors de l'interrogatoire.
L'interrogatoire des membres du tableau qui demandaient une dispense n'a
pas eu lieu "pendant" le procès. Si tout événement survenu à l'audience qui est
susceptible de mettre en cause les intérêts vitaux de l'accusé devrait faire partie
intégrante du procès, ce ne sont pas toutes les étapes du long processus qui conduit
ultimement au verdict, qui font partie du procès aux fins de l'art. 577. Les droits que
confère à l'accusé l'art. 577 du Code criminel seront violés si le juge de première
instance interroge un juré afin de vérifier son impartialité, en l'absence de l'accusé et
après la formation du jury. Mais la situation est fort différente si le juge interroge des

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jurés afin de vérifier leur impartialité, avant la sélection du jury selon la procédure
prévue par le Code.
La formation d'un jury chargé d'entendre une affaire donnée comporte deux
étapes distinctes. La première étape, qui consiste à constituer le tableau à partir duquel
sera sélectionné chaque juré, est régie par la loi provinciale. L'accusé n'a d'autre intérêt
dans cette procédure que celui que tout citoyen a dans la bonne application de la loi.
La seconde étape est régie par les art. 558 à 571 du Code et consiste à sélectionner, à
même le tableau des jurés, un jury chargé d'entendre une affaire donnée. La ligne de
conduite adoptée par le juge de première instance était tout à fait régulière, car son
interrogatoire des membres du tableau faisait partie de la première étape du processus
de formation du jury et n'avait pas d'incidence sur l'intérêt vital de l'accusé quant à la
question de sa culpabilité ou de son innocence.
Le terme "personne", à l'al. 110(1)d) du Code criminel, doit être interprété
en fonction de l'art. 2 du Code. L'Association libérale de la Nouvelle-Écosse est
clairement visée par le terme "société" que l'on trouve à cet article et, par conséquent,
elle est une personne pour les fins de l'al. 110(1)d).
Les éléments directement admissibles contre chacune des trois parties au
complot différaient à certains égards. Il y avait des éléments de preuve qui
permettaient au jury de conclure qu'il y avait bien eu complot et une grande partie des
éléments de preuve produits, en ce qui concerne chaque individu inculpé, était du
ouï-dire. Le ministère public pouvait donc se prévaloir de l'exception à la règle du
ouï-dire si le jury, après examen des éléments de preuve directement admissibles

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contre chaque individu, avait conclu, relativement à chaque accusé, qu'il était partie
au complot. Le jury a reçu des directives appropriées quant à ses fonctions à cet égard.
Le jury a été clairement saisi de la preuve de la bonne réputation et
moralité de l'appelant et le juge de première instance l'a soulignée et traitée
équitablement. Bien que le juge de première instance ne l'ait pas affirmé directement,
le jury doit avoir eu conscience qu'il lui était loisible de juger que cette preuve
démontrait qu'il était peu vraisemblable que l'appelant ait commis le crime dont il était
accusé. Il n'y a pas eu erreur judiciaire sur l'ensemble des directives par suite de ce qui,
au mieux, n'était qu'une absence technique de directive.
Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts examinés: Basarabas et Spek c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 730; R.
v. Hertrich (1982), 67 C.C.C. (2d) 510, autorisation de pourvoi refusée, [1982] 2
R.C.S. x; Vézina et Côté c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 2, conf. [1982] C.A. 419, 3
C.C.C. (3d) 155; distinction d'avec l'arrêt: R. c. Hubbert, [1977] 2 R.C.S. 267, conf.
(1975), 29 C.C.C. (2d) 279; arrêts mentionnés: Guérin c. R., [1984] C.A. 305, 13
C.C.C. (3d) 231; R. v. Varga (1985), 18 C.C.C. (3d) 281; R. v. Battista (1912), 21
C.C.C. 1; R. v. Stewart, [1932] R.C.S. 612; Meunier v. The Queen (1965), 48 C.R. 14,
[1966] B.R. 94n, conf. [1966] R.C.S. 399; R. v. Fenton (1984), 11 C.C.C. (3d) 109; R.
v. Elliot, [1973] 3 O.R. 475.
Citée par le juge McIntyre (dissident)

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R. v. Lee Kun, [1916] 1 K.B. 337; Basarabas et Spek c. La Reine, [1982]
2 R.C.S. 730; R. v. Hertrich (1982), 67 C.C.C. (2d) 510; Vézina et Côté c. La Reine,
[1986] 1 R.C.S. 2, conf. [1982] C.A. 419, 3 C.C.C. (3d) 155; R. v. Fenton (1984), 11
C.C.C. (3d) 109; Frisco v. The Queen, [1971] C.A. 176, 14 C.R.N.S. 194; R. v.
Hubbert (1975), 29 C.C.C. (2d) 279; R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938; R. v. Makow
(1974), 20 C.C.C. (2d) 513; R. v. Baron and Wertman (1976), 31 C.C.C. (2d) 525;
Guimond c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 960; Director of Public Prosecutions v.
Shannon, [1975] A.C. 717; R. v. Khan (1982), 66 C.C.C. (2d) 32.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2, 110(1)d), 423(1)d), 554, 558, 560(5),
567, 569(2), 572(1), 573, 577, 598, 599, 600, 613(1)b)(iii), 618(1)b).
Juries Act, S.N.S. 1969, chap. 12, art. 1m), 4(1), (2).
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(14).
Doctrine citée
Practice Direction, [1973] 1 All E.R. 240.
POURVOI contre un arrêt de la Division d'appel de la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse (1984), 65 N.S.R. (2d) 1, 147 A.P.R. 1, 14 C.C.C. (3d) 470, qui a
rejeté l'appel d'une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Burchell siégeant
avec jury. Pourvoi accueilli, les juges McIntyre et Le Dain sont dissidents.
Austin M. Cooper, c.r., et Mark J. Sandler, pour l'appelant.

- 9 -
Kenneth W. F. Fiske, et John D. Embree, pour l'intimée.
Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz,
Estey, Wilson et La Forest rendu par
1.
LE JUGE EN CHEF--Le principal point litigieux dans le présent pourvoi,
et le seul que j'entends traiter à fond, est de savoir si l'interrogatoire sous serment de
membres du tableau des jurés, auquel le juge de première instance a procédé en
l'absence de l'appelant et de son avocat, concernant d'éventuelles demandes de
dispense de siéger au jury, a entaché de nullité le procès de l'appelant.
2.
J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue,
le juge McIntyre, et je souscris à son exposé des faits.
I
La formation du jury
3.
À l'ouverture du procès, l'appelant a été interpellé devant les membres
du tableau des jurés assignés et a inscrit un plaidoyer de non-culpabilité relativement
à l'accusation dont la cour était saisie. Le juge de première instance a alors, dans les
termes suivants, invité les membres du tableau des jurés à demander une dispense, le
cas échéant, notamment pour cause d'éventuelle partialité:
[TRADUCTION] Mesdames et messieurs du tableau des jurés, vous
venez d'assister à la procédure d'interpellation, dans ce cas-ci, de deux
accusés; vous avez entendu l'accusation portée contre eux et vous avez
aussi entendu leur plaidoyer de non-culpabilité dans les deux cas. Bon,

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nous procéderons plus tard ce matin à la formation d'un jury de douze
personnes qui auront à juger cette affaire qui, si je puis me permettre,
constitue la seule au rôle pour laquelle vous avez été assignés. Toutefois,
il est d'usage, à ce moment-ci, d'inviter les membres du tableau des jurés
à s'avancer et à demander une dispense si, pour une raison ou une autre,
comme par exemple l'existence d'un lien de parenté avec l'un des accusés
ou quelque autre implication dans cette affaire, le juré ne peut exercer
cette fonction avec impartialité. Aux demandes de dispense habituelles, je
me dois d'ajouter plusieurs autres choses en l'espèce. En premier lieu, la
presse tant écrite que parlée a donné une publicité considérable à cette
affaire, aussi est-il de mon devoir de vous dire que si l'influence de cette
publicité, à votre avis, est de nature à vous empêcher d'être impartial dans
cette affaire, vous devriez, autant pour ce motif que pour les autres que je
viens de mentionner, vous avancer et demander une dispense; et l'autre
point sur lequel je veux attirer votre attention, en vous invitant à demander
une dispense, est que l'on s'attend à ce que ce procès dure de quatre à six
semaines et que, dans certains cas, cela puisse occasionner des difficultés
particulières, ce qui peut être une raison de demander, maintenant, une
dispense. Bien, c'est avec ces explications que j'invite maintenant ceux qui
veulent demander une dispense à s'avancer. Vous allez prêter serment, puis
je vais examiner le fondement de votre demande et statuer sur celle-ci. [Je
souligne.]
4.
Le juge a alors fait prêter serment aux jurés et examiné les demandes
de dispense de certains membres du tableau des jurés, dans la salle d'audience mais
sans que les avocats et l'accusé puissent entendre ce qui se disait. L'avocat du sénateur
Barrow s'est opposé à la procédure dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Je n'ai qu'une observation, très respectueuse, à faire
votre Seigneurie. Je comprends qu'il puisse y avoir des demandes de
dispense fort personnelles qu'il ne m'appartient pas de connaître, et je ne
veux pas les entendre, mais puisque votre Seigneurie a invité les membres
du jury qui pourraient se sentir incapables d'être impartiaux en raison de
la publicité qui a entouré cette affaire, à demander une dispense, si certains
devaient demander une dispense pour cette raison, je me demande si, votre
Seigneurie, nous ne devrions pas être autorisés à les entendre. Je m'en
remets à votre Seigneurie à cet égard. [Je souligne.]
5.
Le juge a répondu à l'avocat qu'il était prêt à prendre note des causes
de dispense, mais il a refusé de s'écarter de la procédure adoptée. Comme le montre
l'arrêt de la Division d'appel, le juge, après examen des demandes de dispense des

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membres du tableau des jurés, a accordé trente-six dispenses. Le tableau des jurés était
formé de quatre-vingt-trois membres. Une fois toutes les dispenses octroyées, le
tableau s'est trouvé réduit à quarante-sept personnes. Le dossier ne dit pas si certaines
dispenses ont été refusées.
II
L'arrêt de la Division d'appel
6.
L'arrêt de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, Division d'appel,
publié à (1984), 65 N.S.R. (2d) 1, mentionne le par. 577(1) du Code criminel qui porte:
577. (1) Sous réserve du paragraphe (2), un accusé, autre qu'une
corporation, doit être présent en cour pendant tout son procès.
7.
La Division d'appel était convaincue que ni le sénateur Barrow ni son
avocat n'ont pu entendre l'interrogatoire auquel a procédé le juge de première instance
et que, dans ces circonstances, il y avait effectivement atteinte au droit et au devoir du
sénateur Barrow d'être présent. Être présent signifiait aussi pouvoir entendre ce qui se
disait. La Division d'appel s'est alors demandée s'il y avait eu atteinte au droit du
sénateur Barrow d'être présent à son procès. Son avocat a fait valoir que le procès
commençait avec l'interpellation et le plaidoyer; le ministère public a soutenu qu'au
moment de l'interrogatoire les douze jurés n'avaient pas encore été choisis pour former
le jury, que le sort de l'appelant n'avait pas été confié au jury et que le procès n'avait
pas commencé.

- 12 -
8.
La Division d'appel, après avoir mentionné plusieurs précédents, a
conclu (i) qu'un procès ne commence qu'après l'inscription d'un plaidoyer, (ii) que
l'invitation par le juge à demander des dispenses a été faite après le plaidoyer et
semblerait donc faire partie intégrante du procès, à tout le moins pour les fins de l'art.
577 du Code, (iii) qu'il est d'usage en Nouvelle-Écosse, en vertu du par. 4(2) de la
Juries Act, S.N.S. 1969, chap. 12, d'exercer un large pouvoir discrétionnaire dans
l'octroi des dispenses de remplir la fonction de jury, [TRADUCTION] "à tout le moins
avant l'interpellation". (Voici le texte du par. 4(2): [TRADUCTION] "Le juge qui
préside une session ou le juge en chef peut dispenser toute personne de remplir la
fonction de juré, pendant la totalité ou une partie de la session, sur demande présentée
par cette personne ou pour son compte.")
9.
La Division d'appel a alors noté qu'en l'espèce le juge de première
instance avait jugé bon d'interroger les jurés sans que les avocats et l'accusé puissent
entendre ce qui se disait et que c'est en procédant ainsi qu'il avait accordé une dispense
à trente-six jurés. Elle dit, à la p. 10:
[TRADUCTION] Si les choses en étaient restées là, nous aurions de
sérieux doutes sur la validité des actes du juge.
La Division d'appel poursuit:
[TRADUCTION] Toutefois, à la suite de cette procédure, les avocats de
la défense ont pu exercer leur droit de récusation motivée à l'égard de tous
les jurés, et tous les jurés qui restaient ont fait l'objet d'une récusation
motivée, deux autres jurés ayant été chargés de déterminer s'ils étaient
impartiaux. Par conséquent, la défense a eu toutes les chances voulues de
vérifier l'impartialité de chaque juré. Dans ces circonstances, nous ne
voyons pas quel préjudice aurait pu éventuellement subir l'accusé appelant.
D'ailleurs, ses privilèges ont été soulignés tant par la cour que par ses
avocats. Le juge a éliminé tout juré qui, selon lui, avait fait preuve du

- 13 -
moindre semblant de partialité et l'accusé appelant a pu, par la suite, passer
à nouveau le jury au crible de la récusation motivée, afin de déterminer
l'impartialité des jurés. Dans ces circonstances, et même en donnant
l'interprétation libérale au processus dont il est question à l'art. 577 du
Code, que recommande le juge Dickson dans l'arrêt R. c. Basarabas,
précité, nous en venons à la conclusion que les intérêts vitaux de l'appelant
n'ont jamais été menacés et qu'il n'y a eu aucune dénégation d'un droit
fondamental quelconque. À notre avis, la pratique suivie par le juge de
première instance était parfaitement équitable envers l'accusé. Le juge de
première instance n'a commis aucune erreur susceptible d'entacher de
nullité le procès en interrogeant sous serment les membres du tableau des
jurés sur les demandes de dispense.
III
10.
Avec toute la déférence qui s'impose, je ne saurais souscrire au
raisonnement de la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse.
Comme elle, j'ai de sérieux doutes sur la justesse de la procédure suivie par le juge de
première instance. Mais, contrairement à la Division d'appel, je ne pense pas qu'on a
remédié à la violation du droit de l'appelant d'être présent en lui donnant par la suite,
conformément au Code criminel, la possibilité d'exercer son droit de récusation
motivée des jurés restants. Ce genre de démarche peut être approprié pour décider si
une erreur commise peut être réparée en vertu du sous-al. 613(1)b)(iii). Cela n'est
d'aucune utilité pour décider si, au départ, il y a eu erreur. Je pense qu'il y a eu erreur,
soit une violation du par. 577(1), et pour les motifs que je vais expliquer, je ne pense
pas que cette erreur puisse être réparée par le sous-al. 613(1)b)(iii).
1.
L'article 577 du Code criminel
11.
L'appelant soutient que le par. 577(1) du Code criminel ne fait pas que
permettre, mais il exige aussi que l'accusé soit "présent" au procès qu'il subit
relativement à une infraction criminelle. Le droit et le devoir d'être présent sont

- 14 -
fondamentaux. On soutient, en outre, que l'interrogatoire sous serment des membres
du tableau des jurés faisait partie intégrante du "procès" pour les fins du par. 577(1),
et que l'impossibilité pour l'accusé et son avocat d'entendre les propos échangés entre
le juge et les membres du tableau qui demandaient une dispense a vraiment fait que
l'accusé n'était pas "présent" pendant cette partie de son procès. Il est donc nécessaire
d'examiner si le procès de l'accusé était commencé au moment où le juge a interrogé
les jurés.
12.
L'affaire Basarabas et Spek c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 730, soulevait
une question semblable: quand un procès devant jury commence-t-il pour les fins de
l'art. 573 du Code? Cet article autorise un juge à libérer un juré lorsque, au cours du
procès, il est convaincu que le juré ne devrait pas, par suite de maladie ou pour une
autre cause raisonnable, continuer à siéger. Au procès des deux appelantes dans cette
affaire, un juré avait été libéré conformément à l'art. 573 après que le jury eut été
constitué, mais avant que le sort des accusées ne lui ait été confié et que la présentation
d'éléments de preuve ait commencé. Le ministère public a soutenu que le juré avait été
libéré "au cours" du procès. Les accusées ont allégué qu'un procès devant jury ne
commence que lorsque le sort d'un accusé est confié au jury. Cette Cour a jugé à
l'unanimité que: (i) le moment du début d'un procès devant jury peut varier suivant les
circonstances et le texte de l'article du Code criminel qui s'applique; (ii) sous réserve
de l'art. 573, l'accusé dans un procès criminel devant jury a le droit d'être jugé par
douze jurés et a aussi droit à un verdict unanime des douze jurés, à moins qu'"au cours
d'un procès" le juge ne soit convaincu qu'un juré ne devrait pas continuer à siéger; (iii)
dans la mesure où l'art. 573 prive l'accusé du droit au verdict unanime de douze
personnes, que lui accorde la common law, il doit être interprété restrictivement; (iv)
les termes "continuer à siéger" de l'art. 573 laissent entendre que le jury agissait déjà

- 15 -
à titre de jury avant la libération du juré. Finalement, et dans le contexte de l'art. 573
du Code, la Cour a jugé que la jurisprudence dominante appuyait le point de vue selon
lequel un procès devant jury commence lorsque le sort de l'accusé est confié au jury.
13.
Toutefois, dans l'arrêt Basarabas, on mentionne l'article du Code qui
est en cause dans le présent pourvoi. Après avoir fait observer que le moment où
débute un procès devant jury peut varier suivant les circonstances et le texte de l'article
du Code criminel qui s'applique, la Cour poursuit, à la p. 740:
Ainsi, le terme "procès" au par. 577(1) qui assure à l'accusé le droit d'être
présent "pendant tout son procès" sera interprété de façon libérale pour
donner à l'accusé le droit d'être présent pendant le choix des jurés. De
même, le terme "procès" à l'art. 566 qui interdit au poursuivant d'ordonner
la mise à l'écart d'un juré dans un procès sur un acte d'accusation pour la
publication d'un libelle diffamatoire sera interprété de manière à
comprendre les procédures qui précèdent la formation du jury. Dans
d'autres articles, "procès" peut avoir une connotation différente selon
l'article du Code qui s'applique.
14.
La raison pour laquelle le moment où débute le procès peut varier est
que différents articles du Code protègent des intérêts différents. L'article 573 permet
au juge de destituer un juré qui, pour une raison quelconque, est incapable de continuer
à siéger, mais la destitution d'un juré est une affaire fort sérieuse. L'accusé a le droit
d'être jugé par douze jurés (par. 560(5) et 572(1)), aussi tout doit être fait pour éviter
de se retrouver avec un jury de moins de douze membres. Si le jury n'a été saisi
d'aucune preuve, comme c'était le cas dans l'affaire Basarabas, il est possible de
remplacer un juré et on ne devrait pas avoir recours à l'art. 573. Le terme "procès"
qu'on y trouve vise le co<eur du procès, la présentation de la preuve devant le juge des
faits. Cependant, l'art. 577 protège des intérêts différents et, à mon avis, devrait

- 16 -
recevoir une interprétation large. L'expression "pendant tout son procès" signifie cela
justement, l'ensemble du procès.
15.
À mon avis, l'interrogatoire des jurés éventuels sur leur impartialité
notamment, auquel le juge de première instance a procédé après l'interpellation et le
plaidoyer, faisait partie intégrante du procès pour les fins de l'art. 577. Cette
conclusion s'appuie sur plusieurs décisions qui ont souligné l'importance primordiale
d'un jury impartial pour qu'il y ait procès équitable.
16.
Dans l'arrêt R. v. Hertrich (1982), 67 C.C.C. (2d) 510 (C.A. Ont.),
autorisation de pourvoi refusée, [1982] 2 R.C.S. x, l'une des questions soulevées était
de savoir si l'interrogatoire de deux jurés auquel un juge avait procédé dans son cabinet
au sujet d'appels téléphoniques anonymes, en présence des seuls avocats, violait le
droit des accusés d'être présents à leur procès et avait donc pour effet d'entacher de
nullité ce procès. Le juge Martin, auteur de l'arrêt de la Cour d'appel, parle du
[TRADUCTION] "principe fondamental" du droit criminel portant que la personne
inculpée d'un acte criminel a le droit, et même le devoir, en vertu de l'art. 577, d'être
personnellement présente à son procès. Aux fins de ce principe, le terme "procès"
s'entend de l'ensemble de l'instance, y compris le prononcé de la sentence. Le juge
Martin poursuit, à la p. 527:
[TRADUCTION] En règle générale, le procès d'un accusé ne
commence qu'après le plaidoyer: voir Giroux v. The King (1917), 29
C.C.C. 258, à la p. 268. Toutefois, le terme "procès", aux fins du principe
selon lequel un accusé a le droit d'être présent à son procès, inclut
manifestement les procédures qui font partie intégrante du processus
normal du procès en vue de décider de la culpabilité ou de l'innocence de
l'accusé, comme l'interpellation et le plaidoyer, la formation du jury, la
réception des éléments de preuve (y compris les procédures de voir-dire
concernant l'admissibilité d'éléments de preuve), les décisions au sujet des
éléments de preuve, les plaidoiries des avocats, dont celles au jury,

- 17 -
l'exposé du juge au jury, y compris les demandes de directives
supplémentaires du jury, le prononcé du verdict et de la sentence si
l'accusé est reconnu coupable. [Je souligne.]
Les deux passages suivants, que l'on trouve à la p. 537, sont aussi pertinents:
[TRADUCTION] La raison essentielle pour laquelle l'accusé a le
droit d'être présent à son procès est de lui permettre d'entendre la preuve
qui pèse contre lui, et, après l'avoir entendue, d'avoir la possibilité d'y
répondre: R. v. Lee Kun (1915), 11 Cr. App. R. 293. Le droit de l'accusé
d'être présent à son procès, toutefois, fait aussi entrer en jeu un autre
principe. L'équité et la transparence sont des valeurs fondamentales de
notre justice criminelle. La présence de l'accusé à tous les stades de son
procès lui donne la possibilité de prendre directement connaissance de la
procédure conduisant au résultat éventuel du procès. Refuser à l'accusé
cette possibilité peut fort bien lui faire éprouver un sentiment légitime
d'injustice. Et même, à mon avis, l'examen de la jurisprudence canadienne
montre que ce dernier principe est, en fait, le principe implicite mais
prépondérant qui sous-tend cette jurisprudence.
...
...la qualification d'une procédure comme faisant partie intégrante du
procès, par rapport au droit de l'accusé d'être présent pendant qu'elle se
déroule, semble dépendre de la question de savoir si son exclusion de cette
procédure a pour effet de violer son droit d'être présent de manière à
pouvoir, en tout temps, avoir directement connaissance de tout ce qui se
passe au cours de son procès qui puisse mettre en cause ses intérêts vitaux.
17.
Finalement, la Cour d'appel a jugé que les appelants avaient le droit
d'être présents pour entendre de la bouche même des jurés si ces appels téléphoniques
avaient eu quelque influence sur eux et les empêchaient de continuer à exercer leurs
fonctions de juré. Cette conclusion, de dire le juge Martin, est en principe conforme
à la jurisprudence canadienne, à la ligne de conduite adoptée dans les deux décisions
australiennes qu'il mentionne dans son arrêt et à l'opinion dominante des tribunaux
américains. Le juge Martin y voit là un argument persuasif, quoiqu'il ajoute, aux pp.

- 18 -
539 et 540, que [TRADUCTION] "la force de cette opinion [américaine] se trouve en
quelque sorte diminuée par le fait que les tribunaux américains appliquent
fréquemment la "règle de l'erreur non préjudiciable" lorsque le droit d'un défendeur
d'être présent à tous les stades de son procès a été enfreint. Par contre, l'art. 577 et la
jurisprudence qui l'entoure empêchent d'appliquer une règle de ce genre au Canada".
18.
Dans l'arrêt Hertrich, le juge Martin a fait une étude admirable de la
jurisprudence américaine sur le sujet pour conclure que dans ce pays aussi l'accusé a
le droit d'être présent au cours de tout interrogatoire d'un juré concernant son
impartialité. Aux États-Unis, on fait cependant la distinction entre les dispenses
demandées pour cause de partialité et celles demandées pour des raisons
essentiellement personnelles: difficultés particulières, maladie et ainsi de suite. Dans
ces derniers cas, on a jugé que l'interrogatoire par le juge n'avait rien à voir avec le
procès lui-même (Hertrich, à la p. 534). Il va de soi que c'est précisément la distinction
que propose l'avocat de la défense en l'espèce. Il ne s'est opposé à la conduite du juge
qu'en ce qui a trait aux jurés qui demandaient une dispense pour cause de préjugés.
19.
Comme le juge Martin le laisse entendre, la jurisprudence dominante
tant au Canada qu'aux États-Unis appuie la prétention de l'appelant que l'interrogatoire
sous serment des jurés concernant leur éventuelle partialité fait partie intégrante du
procès. L'appelant avait donc le droit d'être présent, ce qui inclut nécessairement le
droit d'entendre ce qui se dit.
20.
Le juge Martin, dans l'arrêt Hertrich, dégage deux principes importants
qui sous-tendent l'art. 577. En premier lieu, l'accusé est présent pour entendre la
preuve qui pèse contre lui et il est ainsi en mesure d'opposer une défense. En second

- 19 -
lieu, l'accusé assiste au déroulement de l'ensemble de la procédure suivie pour le juger
et il peut s'assurer qu'elle est correcte et que le procès est équitable. Pour le juge
Martin, le second principe est le plus important. Je suis d'accord avec lui pour dire que
cette seconde valeur revêt une importance considérable pour la perception que l'on
peut avoir de l'impartialité de la justice criminelle canadienne. La vue d'un juge
s'entretenant en privé avec les jurés de questions touchant la partialité du juge des
faits, ne peut que désillusionner un accusé. Cela devrait être évité.
21.
La question de savoir ce que comprend le procès aux fins du par.
577(1) a également été abordée par cette Cour dans l'arrêt Vézina et Côté c. La Reine,
[1986] 1 R.C.S. 2. Le juge Lamer y a affirmé, au nom de la Cour, que le droit d'être
présent à son procès comprend le droit d'être présent à l'interrogatoire des jurés auquel
on procède en vue de vérifier leur impartialité, une fois le procès commencé. Adoptant
le raisonnement du juge Martin dans l'arrêt Hertrich, le juge Lamer a conclu que le
critère applicable pour déterminer ce que devrait comprendre le "procès" ne se limite
pas à la présentation de la preuve qui pèse contre l'accusé ni aux questions qui influent
directement sur la décision quant à sa culpabilité ou à son innocence, comme les
décisions sur l'admissibilité d'éléments de preuve. Pour le juge Lamer, le par. 577(1)
s'applique chaque fois que les "intérêts vitaux" de l'accusé sont en jeu, ou comme le
juge Martin l'a dit dans l'arrêt Hertrich, lorsqu'une décision a un effet sur
[TRADUCTION] "la conduite du procès en soi." Toute question portant sur la
partialité des jurés pris individuellement, ou du jury dans son ensemble, influe sur la
conduite du procès en soi et doit être discutée en présence de l'accusé. L'accusé a droit
à un procès équitable, comme il a le droit d'entendre la preuve qui pèse contre lui et
d'opposer une défense. Le paragraphe 577(1) protège ces deux droits. Dans les affaires
Hertrich et Vézina et Côté, le par. 577(1) a été enfreint lorsque le juge a interrogé des

- 20 -
jurés en vue de vérifier leur impartialité une fois le procès commencé et en l'absence
de l'accusé.
22.
Le ministère public soutient que le juge de première instance doit
surveiller le processus de sélection des jurés dans le cadre de son devoir de s'assurer
que le procès est équitable. Il laisse entendre que, même si la Juries Act de la
Nouvelle-Écosse n'autorise pas la procédure qui a été suivie ici, celle-ci relevait des
pouvoirs inhérents que possède le juge en vertu du Code criminel et qui sont maintenus
par l'art. 600. Le ministère public cite l'arrêt R. v. Hubbert (1975), 29 C.C.C. (2d) 279
(C.A. Ont.), confirmé par [1977] 2 R.C.S. 267. L'affaire Hubbert soulevait la question
de savoir si le juge, lors de la formation du jury, pouvait à bon droit s'adresser à
l'ensemble du tableau pour demander si l'un de ses membres avait un lien quelconque
avec l'une des parties. On lit notamment ceci dans l'arrêt de la Cour d'appel de
l'Ontario, aux pp. 292 et 293:
[TRADUCTION] Pour en venir à l'aspect pratique des modes de mise
en o<euvre de la procédure, nous traiterons d'abord du genre de partialité
manifeste que vise la directive anglaise en matière de procédure. Certains
juges ont l'habitude de dire aux membres du tableau des jurés, avant que
ne commence le processus de sélection, quelque chose comme:
Si l'un d'entre vous est lié de près à une partie à la présente affaire ou à une
personne qui doit témoigner, aurait-il l'obligeance de se lever?
(Il est rare que quelqu'un se lève.) Si quelqu'un se lève, le juge lui
demande de s'avancer (habituellement jusqu'au banc des jurés) et il
s'enquiert plus longuement de ses liens avec l'affaire. Pour prendre des
exemples évidents, si le juré est l'oncle de l'accusé ou le conjoint d'un
témoin ou le frère du policier enquêteur, il ne devrait pas remplir cette
fonction.

- 21 -
À notre avis, le juge devrait de sa propre initiative libérer ce juré
éventuel sans plus tarder. Le Code criminel ne le prévoit pas
expressément, mais il ne l'interdit pas non plus expressément ou tacitement
et, à notre avis, le juge a le pouvoir de le faire, de par sa fonction qui
consiste à assurer un procès équitable. Nous pensons que la pratique
d'accorder une dispense aux jurés dont la partialité est manifeste est
souhaitable dans tous les cas.
L'affaire Hubbert a fait l'objet d'un pourvoi devant cette Cour. Le pourvoi a été rejeté
oralement, sans qu'on ait entendu le ministère public.
23.
Dans l'affaire Hubbert, la Cour d'appel de l'Ontario et cette Cour ont
donné leur approbation à la pratique courante en vertu de laquelle le juge demande aux
membres du tableau s'il y en a parmi eux qui ont, avec l'affaire, des liens manifestes
susceptibles de les rendre inaptes à remplir la fonction de juré. L'affaire Hubbert
diffère de la présente espèce sous deux aspects. Premièrement, selon la procédure
recommandée par la Cour d'appel de l'Ontario, tout membre du tableau qui répond à
la question initiale doit répondre à toute question subséquente depuis le banc du jury.
En d'autres termes, tous ceux qui sont présents dans la salle d'audience, y compris
l'accusé, entendent les questions du juge et les réponses du juré, de sorte que tous
sauront pourquoi le juré pense ne pas être impartial. Il y a un monde entre cette
procédure et les échanges à voix basse du juge et de l'éventuel juré, près du tribunal.
La procédure selon l'arrêt Hubbert ne viole pas le droit de l'accusé d'être présent.
24.
La seconde différence réside dans le fait qu'il vaut mieux voir dans la
question initiale posée par le juge aux membres du tableau des jurés une procédure
sommaire visant à accélérer la formation du jury et à laquelle on a recourt avec le
consentement des parties. C'est là l'opinion que la Cour d'appel du Québec à la
majorité a adoptée dans l'arrêt Guérin c. R., [1984] C.A. 305. Tant le juge Bisson (à

- 22 -
la p. 312) que le juge Jacques (à la p. 314) font ressortir que lorsque les avocats
acceptent que le juge pose ces questions préliminaires, il n'y a pas de violation de la
procédure prévue par le Code. L'une et l'autre partie peuvent demander la récusation
de tout juré que le juge n'exclut pas et il est rapidement statué sur les cas manifestes,
avec le consentement de tous. Lorsque les avocats de l'une ou l'autre partie s'y
opposent, comme en l'espèce, le juge ne peut poursuivre l'interrogatoire et il doit
laisser faire les parties et les jurés, sous sa surveillance.
25.
La formation d'un jury impartial est cruciale pour qu'il y ait procès
équitable. Le Code criminel reconnaît l'importance du processus de sélection et il
énonce une procédure détaillée à suivre (art. 554 à 573). Le ministère public et l'accusé
y participent, avec droit de demander la récusation motivée ou péremptoire et, dans le
cas du ministère public, de mettre à l'écart des jurés éventuels (art. 562 à 568). La
récusation motivée comporte une vérification de l'impartialité des jurés éventuels, avec
interrogatoire par l'une et l'autre partie. L'accusé, le ministère public et le public en
général ont le droit d'être certains que le jury est impartial et que le procès est
équitable; la confiance du public dans l'administration de la justice en dépend. Vu
l'importance fondamentale de la sélection du jury et vu aussi que le Code confère à
l'accusé le droit de participer à ce processus, la sélection du jury devrait être
considérée comme une partie intégrante du procès pour les fins du par. 577(1).
2.
Le paragraphe 4(2) de la Juries Act
26.
Le litige en l'espèce se trouve compliqué toutefois par suite de
l'interaction entre le Code criminel et le par. 4(2) de la Juries Act de la
Nouvelle-Écosse qui, comme on l'a noté auparavant, dispose:

- 23 -
[TRADUCTION] 4. ...
(2) Le juge qui préside une session ou le juge en chef peut dispenser
toute personne de remplir la fonction de juré, pendant la totalité ou une
partie de la session, sur demande présentée par cette personne ou pour son
compte.
Le terme "session" est défini à l'al. 1m) de la Loi, comme visant toute convocation de
la Division de première instance de la Cour suprême, afin qu'elle connaisse d'une ou
plusieurs affaires civiles ou criminelles. La raison de l'emploi du terme "session"
plutôt que du terme "procès" ne saute pas aux yeux. Quant à savoir si le juge Burchell
avait convoqué la Division de première instance de la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse et présidait donc une "session" aussi bien qu'un procès, le dossier ne
dit rien à ce sujet. Je n'en tire aucune conclusion, puisque nous n'avons pas été saisis
de la question.
27.
En l'espèce, si je comprends bien sa position, le ministère public
soutient que, même si le terme "procès", au par. 577(1), inclut la sélection du jury,
l'interrogatoire des jurés qui demandent une dispense ne fait pas partie du processus
de sélection du jury. Il a lieu avant que ne commence le procès devant jury et il fait
partie de la procédure, préparatoire au procès, de la constitution du tableau des jurés,
composé de personnes aptes à remplir la fonction de juré et qui ne font pas l'objet
d'une dispense. L'avocat du ministère public soutient que le processus de sélection du
jury prévu au Code criminel n'était pas encore commencé. Le juge exerçait le pouvoir
que lui confère le par. 4(2) de la Juries Act pour constituer un tableau des jurés
admissibles, après quoi la sélection du jury commencerait en vertu du Code. On
prétend que les dispenses accordées par le juge dans cette affaire [TRADUCTION]
"ne constituaient qu'un prolongement dans la salle d'audience" de la procédure

- 24 -
préparatoire au procès prévue au par. 577(1). Puisque, selon cette thèse, le procès
n'était pas encore commencé, le par. 577(1) ne s'appliquait pas encore et l'accusé
n'avait aucunement le droit d'être présent ni de participer. Il n'avait pas non plus le
droit, en vertu du par. 4(2) de la Juries Act, de participer au processus d'octroi des
dispenses. Lorsque le juge a déclenché le processus de sélection du jury prévu au
Code, il a permis à l'avocat de l'accusé d'y participer pleinement. Le ministère public
conclut donc qu'il n'y a pas eu de violation du par. 577(1).
28.
Je suis fermement convaincu qu'on ne peut faire droit à ces arguments.
Premièrement, le par. 4(2) de la Juries Act porte spécifiquement sur les dispenses
accordées avant le commencement de l'instance judiciaire formelle. Comment peut-on
dire qu'une procédure se déroulant dans la salle d'audience, après l'interpellation et
l'inscription d'un plaidoyer, n'est pas une instance judiciaire formelle? Deuxièmement,
les dispenses accordées avant le procès doivent avoir pour but de permettre aux
personnes à qui le fait d'être membre d'un jury quelconque au cours de la session,
causerait de graves inconvénients, de demander une ordonnance discrétionnaire leur
évitant de subir ces inconvénients. Certaines dispenses accordées en l'espèce sont liées
non pas à de tels inconvénients, mais à l'existence de préjugés. Les considérations
doivent sûrement être différentes.
3.
Considérations constitutionnelles
29.
Les arguments du ministère public se heurtent aussi aux principes du
partage des compétences en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, à la nature du
pouvoir conféré au juge par le par. 4(2) de la Juries Act et au processus de sélection
du jury prévu par le Code. La Juries Act n'autorise pas le juge à passer le tableau au

- 25 -
crible en secret, après la lecture de l'inculpation et l'inscription d'un plaidoyer. Même
si c'était le cas, comme il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu'elle
paraisse être faite, et que le procès soit équitable, ce pouvoir ne pouvait être exercé
comme l'a fait le juge de première instance en l'espèce.
30.
Il ne fait pas de doute que l'Assemblée législative de la
Nouvelle-Écosse a le droit et le devoir de légiférer sur la constitution du tableau des
jurés. Le paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 habilite la province à
légiférer relativement à l'administration de la justice dans la province à la condition
que cela n'empiète pas sur la procédure en matière criminelle qui est réservée au
gouvernement fédéral par le par. 91(27). Cette compétence provinciale comporte celle
de constituer un tableau de jurés éventuels, auquel les tribunaux de juridiction
criminelle pourront recourir conformément au Code criminel. Toutefois, cette
compétence est largement de nature administrative, comme le sous-entend le par.
92(14) lui-même. Dans le cas de la sélection du jury, la compétence provinciale en
matière d'administration de la justice cesse et la compétence fédérale en matière de
procédure criminelle commence, lorsque les actes du juge concernent non plus la
constitution d'un tableau de citoyens admissibles, mais plutôt les précautions qu'il est
nécessaire de prendre pour garantir l'impartialité du jury. La Juries Act de la
Nouvelle-Écosse est compatible avec cette interprétation du par. 92(14). La Loi, dans
son ensemble, établit la procédure de constitution du tableau des jurés au début des
sessions judiciaires. Elle précise qui composera la commission du jury dans chaque
municipalité, comment et quand elle remplira sa tâche et comment les juges la
surveilleront. L'accent dans la Loi est mis sur la recherche d'un échantillonnage de
jurés admissibles respectant autant que possible les lois du hasard, sans qu'il soit
question de partialité. Il est significatif que le par. 4(1) énonce que certaines catégories

- 26 -
de gens ne peuvent être membres d'un jury en raison de leur occupation. Le paragraphe
4(2) semble être une clause générale autorisant le juge qui supervise une session à
accorder une dispense aux personnes qui ont des raisons personnelles de ne pas faire
partie d'un jury, sans toutefois se situer dans les catégories spécifiques de dispense. Ni
l'un ni l'autre paragraphe ne s'intéresse directement à la partialité des jurés éventuels.
31.
Cette interprétation du par. 4(2) de la Juries Act de la Nouvelle-Écosse
est renforcée par l'examen des lois en matière de jury que l'on trouve dans les autres
ressorts du Canada. Dans toutes les autres provinces et dans les deux territoires, on
trouve une disposition semblable au par. 4(1), qui déclare inaptes à remplir la fonction
de juré toute une gamme de personnes exerçant certaines professions, notamment
celles reliées à la justice. Aucun autre ressort n'a de disposition semblable au par. 4(2)
où l'on fait référence sans réserve à des "dispenses". Dans tous les ressorts autres que
la Nouvelle-Écosse, le législateur prévoit qu'une dispense ne pourra être accordée que
si la personne qui la demande satisfait à certains critères. Ces critères vont du
laconique "pour un bon motif" des territoires, aux "difficultés particulières" dans
certaines provinces et aux critères plus détaillés des difficultés éprouvées, de l'âge, des
croyances religieuses ou autres facteurs semblables que l'on trouve dans d'autres
provinces. Tous les autres ressorts reconnaissent que leur compétence sur le tableau
des jurés se limite à l'admissibilité et aux questions personnelles qui n'ont rien à voir
avec le procès criminel qui doit avoir lieu. En dépit de sa formulation apparemment
générale, la dispositions de la Nouvelle-Écosse devrait être interprétée comme si elle
était pareillement limitée, afin d'assurer son intégrité constitutionnelle.
32.
Le Code établit une procédure détaillée de sélection d'un jury
impartial. Il confère aux deux parties des pouvoirs substantiels dans le cadre de ce

- 27 -
processus et il établit un mécanisme pour juger de la partialité d'un juré éventuel qui
fait l'objet d'une demande de récusation motivée. Le juge de la partialité est non pas
le juge, mais un mini-jury formé de deux jurés éventuels ou déjà choisis (par. 569(2)).
En général, il s'agit d'un système complet destiné à assurer qu'un jury sera aussi neutre
que possible et à garantir que les parties et le public en général seront convaincus de
son impartialité. Toute addition à cette procédure provenant d'une autre source
perturberait l'équilibre du processus soigneusement défini de sélection du jury. C'est
particulièrement le cas de toute tentative d'accroître les pouvoirs du juge. Le
législateur fédéral a décidé que la question de la partialité est une question de fait que
doivent trancher deux des jurés eux-mêmes, et non le juge. La province ne peut
conférer au juge le pouvoir de décider de la partialité ou de l'impartialité, et tout juge
qui tente de participer à de telles décisions usurpe la fonction de juré établie par le par.
569(2). Une usurpation de ce genre constitue une erreur de droit si grave de la part du
juge, qu'elle oblige à ordonner un nouveau procès, même s'il est impossible de
démontrer l'existence d'un préjudice pour l'accusé (Guérin c. R., précité). Le rôle du
juge consiste à superviser les vérifications d'impartialité et non à les trancher.
4.
Que justice paraisse être rendue
33.
L'argumentation du ministère public en l'espèce ne porte pas sur ce qui
peut représenter l'aspect le plus important de l'affaire, savoir non seulement que justice
soit rendue, mais qu'elle paraisse l'être. Bien que l'analyse de la formation du jury en
deux étapes s'avère une description légalement exacte de l'interaction entre le Code
criminel et la Juries Act de la Nouvelle-Écosse, elle ne tient pas compte de
l'impression que la procédure suivie en l'espèce pourrait créer chez le citoyen moyen:
des jurés éventuels ont pu s'entretenir confidentiellement avec le juge, quoique en

- 28 -
pleine audience, et être libérés de la fonction de juré sans explication. Le problème se
pose parce que la Juries Act de la Nouvelle-Écosse confie une fonction administrative
au juge: le pouvoir d'accorder une dispense à d'éventuels jurés pour des raisons
personnelles n'ayant aucun rapport avec les faits en cause dans un procès donné. Cette
fonction administrative concerne une question particulièrement délicate dans un procès
et ressemble de près à la fonction judiciaire que constitue l'interrogatoire des jurés en
vue de vérifier leur impartialité, un aspect fondamental du devoir d'assurer un procès
équitable. Le citoyen moyen qui observe cela ne saisirait probablement pas toute la
subtilité de la qualification juridique du pouvoir du juge d'accorder des dispenses pour
des raisons personnelles et il serait difficile à l'accusé, naturellement pointilleux à cet
égard, de considérer les échanges à voix basse du juge et d'un juré, après qu'il eut été
interpellé, que l'inculpation eut été lue et qu'un plaidoyer eut été inscrit, comme une
simple question administrative qui n'influe pas sur son droit à un procès équitable. La
décision ne saurait être fondée uniquement sur la définition technique du moment où
commence le procès. Je pense qu'un accusé qui comparaît devant un juge, dans une
salle d'audience, en compagnie de son avocat, qui entend lecture de l'inculpation et qui
inscrit son plaidoyer trouverait fort étrange qu'on lui dise que son procès n'est pas
commencé. Il trouverait, je pense, tout aussi étrange que presque la moitié de ceux qui
ont été convoqués pour remplir la fonction de juré soient libérés de cette fonction après
des mano<euvres à voix basse avec le juge qui préside l'instance.
34.
Et que penser de l'impression créée chez le public? Il s'agit d'un cas
où l'impression chez le public que la procédure est équitable est cruciale. Un juge
siégeant en audience publique personnifie la fonction judiciaire dans l'opinion
publique, fonction qui diffère de celle d'un agent administratif qui constitue
initialement le tableau des jurés. Le même acte, la libération d'un juré pour des raisons

- 29 -
personnelles, sera perçu différemment selon qu'il est accompli par ceux qui sont
chargés de dresser la liste du jury au cours de la première étape de la constitution d'un
tableau de jurés éventuels, et selon qu'il l'est par un juge en salle d'audience, après que
l'accusé a été inculpé et qu'il a inscrit son plaidoyer. Même si une libération peut être
perçue comme un acte purement administratif, les attentes du public en ce qui
concerne la fonction judiciaire dans ces circonstances exigent que le juge exerce
judiciairement cette tâche administrative. Le juge doit autoriser la participation des
avocats et permettre au public de connaître les motifs de sa décision. Rien ne devrait
se faire confidentiellement dans une salle d'audience.
35.
Ici encore, la comparaison avec les lois des autres ressorts est
instructive. Dans la plupart des autres ressorts, une personne qui souhaite être rayée
de la liste du jury en fait la demande à l'officier qui a dressé cette liste, le shérif (au
Nouveau-Brunswick, la Commission du jury). Si la dispense est refusée, il peut être
interjeté appel à un juge de cour supérieure ou encore la personne en question peut
faire une nouvelle demande à un juge, selon ce que prescrit la loi. (À Terre-Neuve, la
demande est adressée à un juge de la Cour provinciale et en cas de refus, il est possible
d'en appeler à un juge de la Cour suprême. À l'Île-du-Prince-Édouard, la demande se
fait directement au juge qui préside le procès.) Ces dispositions montrent que d'autres
ressorts considèrent que les dispenses pour des raisons personnelles constituent des
questions administratives qu'il revient aux offices de justice de trancher sous le
contrôle et la surveillance des juges. Un tel contrôle des décisions administratives
comprend normalement le devoir d'agir judiciairement en prenant bien soin de veiller
à ce que justice paraisse être rendue.
5.
Les articles 598, 599 et 600

- 30 -
36.
On a laissé entendre que même si le juge de première instance avait
commis une erreur en interrogeant des jurés et en leur accordant des dispenses, cette
erreur pourrait être réparée par l'application des art. 598 ou 599. On s'est aussi
demandé si ce tamisage était autorisé par l'art. 600. À mon avis, aucune de ces
dispositions ne s'applique en l'espèce.
37.
L'article 598 prévoit qu'on ne peut avoir recours aux irrégularités dans
l'assignation ou la constitution du jury pour contester un verdict, alors que l'art. 599
dit que l'omission de suivre à la lettre les règles de sélection du jury ne justifie pas
l'annulation du verdict rendu subséquemment. Ces deux dispositions signifient qu'on
ne peut recourir à un vice de forme qui n'a pas influé sur le fond d'un procès pour en
contester le résultat.
38.
Le droit d'être présent est un droit fondamental de l'accusé. L'exclusion
de l'accusé d'une partie du procès, particulièrement d'une partie du processus de
sélection d'un jury impartial, ne constitue pas un simple vice de forme. Elle suscite le
doute quant à deux des aspects les plus fondamentaux d'un procès équitable:
l'impartialité du jury et le fait que justice doit non seulement être rendue, mais
également paraître être rendue. Les articles 598 et 599 ne remédient pas à ce vice.
Comme feu le juge en chef adjoint MacKinnon l'a conclu dans l'arrêt R. v. Varga
(1985), 18 C.C.C. (3d) 281, lorsque l'une des parties se voit dénier un droit que lui
confère le Code criminel en matière de sélection du jury, on peut en déduire qu'il y a
préjudice et ces articles ne sont d'aucune utilité.
39.
Il existe une autre raison pour laquelle ces articles sont inapplicables.
La Cour du Banc du Roi du Québec, Division d'appel, a jugé dans l'arrêt R. v. Battista

- 31 -
(1912), 21 C.C.C. 1, que les dispositions qui ont précédé ces deux articles
s'appliquaient aux objections à la sélection du jury soulevées pour la première fois
après le verdict. La Cour suprême du Canada a examiné et approuvé cette décision
dans l'arrêt R. v. Stewart, [1932] R.C.S. 612, en disant que la situation est totalement
différente lorsque l'objection à la sélection du jury est soulevée au procès. En l'espèce,
l'avocat de la défense s'est opposé aux actes du juge dès le départ.
40.
Quant à l'art. 600, cette disposition vise à préserver tout pouvoir que
la common law conférait au juge, en matière de sélection du jury, qui n'est pas
"expressément modifié par la présente loi [ni] incompatible avec ses dispositions." On
n'a pas à décider si les juges ont jamais eu le pouvoir d'interroger les jurés en vue de
vérifier leur impartialité. Le Code criminel a éliminé tout pouvoir du juge de statuer
sur des questions de partialité. En vertu du par. 569(2), toutes les questions de
partialité doivent être tranchées par les deux jurés assermentés à cette fin. L'article 600
n'autorise donc pas le juge à exercer cette fonction.
6.
Le sous-alinéa 613(1)b)(iii)
41.
Sans doute il est vrai, comme le ministère public le fait valoir, que
l'accusé conservait son droit de demander la récusation motivée de tout juré éventuel,
même après que le juge de première instance eut exclu trente-six membres du tableau.
On laisse entendre que cette possibilité éliminait tout effet préjudiciable sur
l'interrogatoire auquel le juge avait procédé confidentiellement. La Division d'appel
semble avoir été de cet avis. La réponse à cela est que, sur le plan des précédents, cette
Cour a déjà jugé que la dénégation du droit prévu à l'art. 577 est "fondamentale" et
commande l'annulation de la déclaration de culpabilité. Les dispositions réparatrices

- 32 -
du sous-al. 613(1)b)(iii) sont foncièrement inapplicables: Meunier v. The Queen
(1965), 48 C.R. 14, [1966] B.R. 94n, confirmé par [1966] R.C.S. 399. Depuis l'arrêt
Meunier, il a été de règle que le sous-al. 613(1)b)(iii) ne saurait remédier à une
dénégation du droit d'être présent, puisque l'absence de l'accusé dépouille le tribunal
de toute compétence.
42.
Dans l'arrêt R. v. Hertrich, précité, à la p. 527, le juge Martin a suivi
l'arrêt Meunier et la jurisprudence mentionnée dans le passage suivant pour conclure
que les dispositions réparatrices du sous-al. 613(1)b)(iii) ne sont pas applicables si
l'accusé est privé de son droit d'être présent à son procès, contrairement à l'art. 577:
[TRADUCTION] Il est de règle que priver un accusé de son droit
d'être présent à son procès contrairement à l'art. 577, constitue une
dénégation d'un droit fondamental qui commande l'annulation de la
déclaration de culpabilité, et les dispositions réparatrices du sous-al.
613(1)b)(iii) sont inapplicables: voir Meunier v. The Queen (1965), 48
C.R. 14, [1966] B.R. 94n.; confirmé par [1966] R.C.S. 399, 50 C.R. 75;
Ginoux v. The Queen (1971), 15 C.R.N.S. 117; confirmé par 16 C.R.N.S.
256n; R. v. Reale (1973), 13 C.C.C. (2d) 345, [1973] 3 O.R. 905: confirmé
par 22 C.C.C. (2d) 571, 58 D.L.R. (3d) 560, [1975] 2 R.C.S. 624 sub nom.
P.-G. Ont. c. Reale; R. v. Grimba (1980), 56 C.C.C. (2d) 570, 117 D.L.R.
(3d) 740, 30 O.R. (2d) 545.
43.
Il y a eu, dans le cas présent, dérogation majeure à la procédure de
sélection du jury prévue par le Code, laquelle dérogation a entraîné l'élimination de
près de la moitié des membres du tableau des jurés, pour des raisons inconnues de
l'accusé. Ce n'est pas là une atteinte mineure au droit de l'accusé d'être présent. Il s'agit
d'une atteinte qui met en doute l'impartialité du jury, ce qui à son tour se répercute sur
l'équité du procès tout entier.

- 33 -
44.
La rigidité de l'arrêt Meunier a été critiquée, notamment dans l'arrêt
Côté c. R., [1982] C.A. 419, et dans l'arrêt R. v. Fenton (1984), 11 C.C.C. (3d) 109
(C.A.C.-B.) L'arrêt de cette Cour Vézina et Côté, précité, fait aussi planer un certain
doute sur la règle de l'arrêt Meunier, lorsque le juge Lamer souligne, à la p. 14:
Comme dernière observation à ce sujet, je ne voudrais pas que l'on croie
que, par l'adoption du point de vue exprimé par le juge Martin dans l'arrêt
Hertrich, la question de l'applicabilité de la réserve énoncée au sous-al.
613(1)b)(iii) a été indirectement réexaminée et que les principes énoncés
dans l'arrêt Meunier ont été réitérés sur ce point dans la présente cause.
Mais cette observation ne doit pas nécessairement être interprétée comme attaquant
l'arrêt Meunier. Simplement, les faits de l'affaire Vézina et Côté n'obligeaient pas à
statuer sur ce point. Le juge Lamer maintient la possibilité d'un réexamen de la règle.
La question se pose avec plus d'acuité en l'espèce, mais je ne crois pas qu'on ait
soulevé aucun moyen qui amène la Cour à renverser un précédent de longue date.
45.
D'ailleurs, je ne suis pas convaincu que l'appelant n'a subi aucun
préjudice. Le ministère public voudrait que la Cour présume, premièrement, que tous
les jurés libérés pour cause de partialité étaient partiaux en sa faveur et,
deuxièmement, que le tamisage par le juge n'aurait pu qu'aider l'accusé sans nuire à sa
capacité de demander par la suite des récusations motivées. Aucune de ces hypothèses
ne me semble exacte. D'abord, nous ignorons tout simplement quels sont les motifs de
partialité pour lesquels le juge a exclu des jurés et nous ne pouvons que conjecturer à
ce propos. Il se peut fort bien qu'en réduisant le tableau de près de la moitié, le juge
ait exclu des personnes, peut-être des amis de l'accusé ou des partisans libéraux, qui
auraient pu être plus favorables à l'accusé qu'à la poursuite. Alors que l'accusé n'a pas

- 34 -
droit à un jury favorable, mais seulement à un jury impartial, il n'est pas évident que
l'exclusion n'a été faite qu'au profit de l'accusé.
46.
Quant à la seconde hypothèse, il se pourrait que le tamisage par le juge
ait vraiment empêché la sélection d'un jury impartial. Supposons qu'un juré a dit en
conscience au juge qu'il se pourrait qu'il ne soit pas impartial pour une raison
quelconque, comme le fait d'être membre d'un parti politique, et que le juge a décidé
que ce juré était impartial. Il se peut que la décision du juge ait alors eu pour effet de
dissiper la crainte d'être partial éprouvée par le juré de sorte que ce dernier ne
reviendrait pas sur ce sujet si jamais il faisait l'objet d'une récusation motivée. Après
tout, si le juge en a ainsi décidé, pourquoi le juré devrait-il exprimer des doutes à ce
propos lorsque l'avocat demande sa récusation? La crainte du juré d'être impartial a été
dissipée en vertu de l'autorité la plus élevée, celle du juge. Si l'avocat avait entendu les
propos échangés entre le juré et le juge et s'il avait estimé que le juge était dans
l'erreur, il aurait poussé plus loin la question. De la façon dont les choses se sont
passées, il n'y avait aucune raison de ne pas prendre au pied de la lettre la réponse du
juré à la récusation. Il se peut donc que le processus de tamisage n'ait pas permis
d'écarter certains jurés favorables à la poursuite ou à l'accusé.
47.
Ce que ces exemples visent à démontrer, ce n'est pas que le jury aurait
dû comporter des amis de l'accusé, des alliés politiques ou des partisans opposés. Cela
ne veut pas dire non plus que l'affiliation politique constitue automatiquement un motif
de récusation dans une affaire de ce genre. Ce que cela signifie, c'est que nous ne
pouvons présumer qu'une sélection quelconque effectuée en secret a profité à l'accusé
ou même a été neutre. Ces exemples illustrent la raison fondamentale pour laquelle
toutes les questions de partialité doivent être tranchées en public: l'accusé, le ministère

- 35 -
public et le public en général ont le droit de savoir que le jury est aussi impartial qu'il
est humainement possible de l'être. De telles conjectures sont préjudiciables.
IV
Résumé
48.
En somme, le par. 577(1) du Code criminel requiert que l'accusé soit
présent au procès qu'il subit relativement à une infraction criminelle. L'interrogatoire
des jurés éventuels, portant notamment sur leur impartialité, auquel le juge de première
instance a procédé après l'interpellation et le plaidoyer, faisait partie intégrante du
procès pour les fins de l'art. 577. Il est important pour l'accusé qu'il voie et qu'il
entende toute la procédure suivie pour le juger de façon à pouvoir constater que le
procès est équitable; le par. 4(2) de la Juries Act de la Nouvelle-Écosse devrait être
interprété comme ne visant que les dispenses accordées aux jurés pour cause de
difficultés ou d'inconvénients particuliers ou de maladie, avant que ne commence
l'instance judiciaire formelle. Une interprétation plus large du par. 4(2) de la Juries
Act, c'est-à-dire une qui permettrait d'accorder une dispense à des jurés après
l'interpellation et le plaidoyer parce qu'ils pourraient avoir des préjugés, empiéterait
sur la compétence fédérale en matière de procédure criminelle. Le public n'aurait plus
l'impression que le procès est équitable si d'éventuels jurés étaient libérés après avoir
eu des entretiens privés avec le juge. En outre, les actes du juge n'étaient pas autorisés
par l'art. 600 du Code. Enfin, l'erreur du juge de première instance en l'espèce est de
nature fondamentale et, par conséquent, les dispositions réparatrices des art. 598, 599
et 613(1)b)(iii) du Code ne sauraient s'appliquer.

- 36 -
49.
En terminant, ces propos du juge Haines dans la décision R. v. Elliot,
[1973] 3 O.R. 475 (H.C.) résument parfaitement tant le mode de mise en o<euvre que
les objectifs du processus de sélection du jury:
[TRADUCTION] Il est beaucoup plus conforme aux réalités de la
situation d'autoriser l'accusé, par l'entremise de son avocat, à poser dans
la salle d'audience ces questions pertinentes concernant la partialité et
l'aptitude du juré, sous l'o<eil vigilant du juge qui, dans l'exercice de son
pouvoir discrétionnaire, protégera les intérêts du ministère public et de
l'accusé, et assurera la bonne administration de la justice. Dans cette
affaire, le tribunal lui-même se trouve rehaussé aux yeux du public. Le
juré a été jugé juste et impartial par ses pairs. La justice est à son meilleur
lorsque nos citoyens participent à son administration.
V
Conclusion
50.
Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'arrêt de la Division
d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse et d'ordonner que l'appelant subisse
un nouveau procès. À vrai dire, je n'ai pas à statuer sur les trois autres questions mais,
afin d'éclairer le juge de première instance qui aura à réentendre l'affaire, j'estime utile
de dire que je partage l'opinion du juge McIntyre sur ces questions.
Version française des motifs des juges McIntyre et Le Dain rendus par
51.
LE JUGE MCINTYRE (dissident)--L'appelant Barrow a été accusé,
conjointement avec les dénommés MacFadden et Simpson, d'avoir enfreint les al.
423(1)d) et 110(1)d) du Code criminel. D'après l'acte d'accusation, ils étaient accusés:
[TRADUCTION] D'avoir illicitement comploté ensemble et avec James
G. Simpson et divers fonctionnaires du gouvernement de la province de la

- 37 -
Nouvelle-Écosse, et avec une ou d'autres personnes dont l'identité n'est pas
connue, d'exiger ou d'accepter, pour eux-mêmes, pour l'Association
libérale de la Nouvelle-Écosse ou pour un ou des membres de celle-ci, ou
pour une ou d'autres personnes, des récompenses, avantages ou bénéfices
en considération d'une collaboration, d'une aide, d'un exercice d'influence
ou d'un acte ou d'une omission concernant la conclusion d'affaires avec la
province de la Nouvelle-Écosse ou une question d'affaires la concernant,
ou un avantage que Sa Majesté est autorisée ou en droit d'accorder,
contrairement aux al. 423(1)d) et 110(1)d) du Code criminel du Canada.
Simpson a plaidé coupable devant la Cour des magistrats et a été condamné à payer
une amende de 75 000 $. MacFadden et l'appelant ont choisi d'être jugés par un juge
et un jury et, après enquête préliminaire, ils ont été renvoyés à leur procès en Cour
suprême de la Nouvelle-Écosse. Le procès s'est ouvert le 5 avril 1983. Le ministère
public a produit de nombreux éléments de preuve, après quoi la défense a présenté une
requête en obtention d'un verdict imposé. La requête ayant été rejetée, l'appelant et
MacFadden ont choisi de ne pas présenter de preuve. Le 11 mai 1983, le jury a rendu
un verdict de culpabilité à l'égard des deux accusés et, le 12 mai 1983, le juge de
première instance les a condamnés à verser une amende de 25 000 $ chacun.
52.
L'appelant a interjeté appel à la Division d'appel de la Cour suprême
de la Nouvelle-Écosse (la Cour d'appel). MacFadden n'a pas interjeté appel. La Cour
d'appel a rejeté l'appel interjeté par l'appelant à l'encontre de sa déclaration de
culpabilité, dans des motifs de jugement rendus le 11 septembre 1984 (65 N.S.R. (2d)
1). L'appelant a obtenu l'autorisation de se pourvoir devant cette Cour, conformément
à l'al. 618(1)b) du Code criminel.
Les faits

- 38 -
53.
En 1968, l'Association libérale de la Nouvelle-Écosse créait un comité
des finances chargé de recueillir des fonds pour le parti. Le comité se composait de
l'appelant qui en était le président, et de MacFadden et Simpson qui assumaient
principalement les fonctions de percepteur. Le comité a ouvert deux comptes bancaires
pour y verser les contributions financières reçues. Les comptes étaient au nom de
Cambridge Investments et de J. G. Simpson, en fiducie. Les personnes autorisées à
signer étaient Simpson et MacFadden, dans le cas du compte Cambridge, et Simpson
et sa secrétaire, dans l'autre cas. Les sommes réunies ou reçues étaient déposées dans
ces comptes, puis réparties dans plusieurs fonds en fiducie constitués au cours des
années pour les besoins du parti libéral de la Nouvelle-Écosse, et entre divers individus
et l'Association libérale de la Nouvelle-Écosse. C'est l'appelant qui agissait à titre de
fiduciaire commun de tous les fonds en fiducie.
54.
Selon l'arrêt de la Cour d'appel, qui n'est pas contesté sur ce point, la
preuve, en particulier la preuve documentaire, démontre clairement que l'appelant et
ses coaccusés étaient en tout temps au fait de tous les déplacements de fonds dans les
deux comptes bancaires. Une comptabilité minutieuse était tenue pour les deux
comptes et aucune somme retirée des comptes ou des divers fonds en fiducie n'a été
dépensée par l'appelant ou ses deux coaccusés pour leur propre usage ou profit. La
preuve a également révélé l'existence de rapports étroits entre les membres du comité
eux-mêmes, et entre les membres du comité et les fonctionnaires du gouvernement qui
les renseignaient notamment sur l'identité de ceux qui faisaient affaire avec le
gouvernement de la Nouvelle-Écosse.
55.
En octobre 1970, le parti libéral défaisait le gouvernement de la
Nouvelle-Écosse de l'époque à la suite d'une élection générale et formait le nouveau

- 39 -
gouvernement qui demeura au pouvoir jusqu'en 1978. De 1970 à 1978, le comité a
perçu des contributions totalisant de 3 836 468,13 $, dont 2 770 773,52 $ ont été
déposés dans un compte bancaire et 1 065 694,61 $ dans l'autre. Une enquête policière,
ouverte à l'automne 1978, a conduit à la saisie de nombreux documents de ministères
et organismes gouvernementaux ainsi que de plusieurs établissement vinicoles,
distilleries et autres sociétés. Il est ressorti de la preuve que les contributions des
compagnies d'alcool et de vin faisant affaire avec le gouvernement étaient basées sur
un montant fixe par caisse de produits vendus au gouvernement. D'autres compagnies
faisant affaire avec le gouvernement versaient un pourcentage des sommes reçues pour
les travaux effectués pour le gouvernement, lequel pourcentage variait de trois à cinq
pour cent.
56.
Selon la théorie du ministère public, les contributions remises au
comité n'étaient pas, en fait, de véritables contributions politiques, mais plutôt des
paiements pour assurer le maintien de leurs relations d'affaires avec le gouvernement.
Pour obtenir ces contributions, l'appelant et ses deux coaccusés, dans le but de venir
en aide au parti libéral de la Nouvelle-Écosse, avaient convenu entre eux de
[TRADUCTION] "faire le trafic de leur influence auprès du gouvernement" en faveur
des diverses compagnies faisant affaire avec celui-ci. L'appelant s'est défendu en
faisant valoir que sa moralité et sa réputation réfutaient l'accusation portée contre lui.
On a dit que toute la preuve du ministère public n'était rien d'autre qu'une tentative
d'impliquer l'appelant dans les agissements de son coaccusé Simpson, avec lesquels
il n'avait absolument rien à voir. L'appelant n'a pas soutenu devant la Cour d'appel, pas
plus qu'il ne l'a fait devant nous, que le verdict du jury est déraisonnable ni qu'il ne
peut être étayé par la preuve. Il soulève les mêmes quatre moyens d'appel dont il a
excipé en Cour d'appel. Les voici:

- 40 -
[TRADUCTION] 1. L'appelant fait respectueusement valoir que la Cour
suprême de la Nouvelle-Écosse, Division d'appel, a eu tort de juger que
l'interrogatoire sous serment de membres du tableau des jurés auquel a
procédé le juge de première instance le 5 avril 1983, en l'absence de
l'appelant (et de son avocat) n'entachait pas de nullité le procès de
l'appelant.
2. Il fait respectueusement valoir que la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse, Division d'appel, a eu tort de juger que l'Association
libérale de la Nouvelle-Écosse était une "personne" au sens de l'al.
110(1)d) du Code criminel du Canada.
3. Il fait respectueusement valoir que la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse, Division d'appel, a eu tort de juger que les directives du
juge de première instance au jury, au sujet de l'exception à la règle du
ouï-dire dans le cas des parties à un complot étaient appropriées.
4. Il fait respectueusement valoir que la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse, Division d'appel, a eu tort de juger qu'aucune erreur
judiciaire n'a résulté de l'absence de directives du juge de première
instance au jury sur l'usage qui, en droit, pouvait être fait de la preuve de
bonne moralité du sénateur Barrow.
Je vais traiter dans cet ordre les moyens invoqués.
Le droit d'être présent à son procès (par. 577(1) du Code criminel)
57.
Le 5 avril 1983, l'appelant et MacFadden ont été interpellés devant les
membres du tableau des jurés et ont plaidé non coupable. Le juge de première instance,
se conformant à ce qu'il a appelé [TRADUCTION] "la procédure ordinaire", a alors
invité les membres du tableau à demander une dispense, le cas échéant, notamment
pour cause de partialité envers le ministère public ou les accusés. Il leur a dit:

- 41 -
[TRADUCTION] Mesdames et messieurs du tableau des jurés, vous
venez d'assister à la procédure d'interpellation, dans ce cas-ci, de deux
accusés; vous avez entendu l'accusation portée contre eux et vous avez
aussi entendu leur plaidoyer de non-culpabilité dans les deux cas. Bon,
nous procéderons plus tard ce matin à la formation d'un jury de douze
personnes qui auront à juger cette affaire qui, si je puis me permettre,
constitue la seule au rôle pour laquelle vous avez été assignés. Toutefois,
il est d'usage, à ce moment-ci, d'inviter les membres du tableau des jurés
à s'avancer et à demander une dispense si, pour une raison ou une autre,
comme par exemple l'existence d'un lien de parenté avec l'un des accusés
ou quelque autre implication dans cette affaire, le juré ne peut exercer
cette fonction avec impartialité. Aux demandes de dispense habituelles, je
me dois d'ajouter plusieurs autres choses en l'espèce. En premier lieu, la
presse tant écrite que parlée a donné une publicité considérable à cette
affaire, aussi est-il de mon devoir de vous dire que si l'influence de cette
publicité, à votre avis, est de nature à vous empêcher d'être impartial dans
cette affaire, vous devriez, autant pour ce motif que pour les autres que je
viens de mentionner, vous avancer et demander une dispense; et l'autre
point sur lequel je veux attirer votre attention, en vous invitant à demander
une dispense, est que l'on s'attend à ce que ce procès dure de quatre à six
semaines et que, dans certains cas, cela puisse occasionner des difficultés
particulières, ce qui peut être une raison de demander, maintenant, une
dispense. Bien, c'est avec ces explications que j'invite maintenant ceux qui
veulent demander une dispense à s'avancer. Vous allez prêter serment, puis
je vais examiner le fondement de votre demande et statuer sur celle-ci.
58.
Le juge de première instance a alors fait prêter serment à ceux qui
demandaient une dispense, puis il a examiné leur demande dans la salle d'audience,
mais sans que l'accusé et son avocat puissent les entendre. À l'invitation du juge,
l'avocat de l'appelant a formulé des observations concernant cette procédure:
[TRADUCTION] Je n'ai qu'une observation, très respectueuse, à faire
votre Seigneurie. Je comprends qu'il puisse y avoir des demandes de
dispense fort personnelles qu'il ne m'appartient pas de connaître, et je ne
veux pas les entendre, mais puisque votre Seigneurie a invité les membres
du jury qui pourraient se sentir incapables d'être impartiaux en raison de
la publicité qui a entouré cette affaire, à demander une dispense, si certains
devaient demander une dispense pour cette raison, je me demande si, votre
Seigneurie, nous ne devrions pas être autorisés à les entendre. Je m'en
remets à votre Seigneurie à cet égard.
Ce à quoi le juge a répondu:

- 42 -
[TRADUCTION] Je suis prêt, Me Cooper, à prendre note dans ces cas du
motif de la dispense mais, pour le reste, je ne pense pas que nous devrions
nous écarter de la procédure habituelle.
Il a alors procédé à l'audition des demandes de dispense, toujours sans que l'appelant
et son avocat ne puisse entendre ce qui se disait. Finalement, il a accordé trente-six
dispenses. Le juge n'a fourni aucune raison pour les dispenses de trente-deux jurés,
mais, pour les quatre derniers, il a donné les motifs suivants (les noms des jurés sont
omis):
[TRADUCTION] Il y a dispense en faveur du no 85 en raison de ses
rapports avec les accusés. Votre présence n'est plus requise.
Il y a dispense en faveur du no 11 en raison de ce qu'il a appris par suite de
la publicité qui a entouré l'affaire et de ses rapports avec un ministre du
gouvernement.
Il y a dispense en faveur du no 34, celui-ci ayant siégé au grand jury qui a
été saisi de l'affaire.
Il y a dispense en faveur du no 75 pour le motif qu'il se sent incapable
d'être impartial dans cette affaire vu la nature de celle-ci.
On a alors procédé à la formation du jury en puisant parmi les membres restants du
tableau des jurés. Ils ont tous fait l'objet d'une récusation motivée. La procédure prévue
dans le Code criminel pour ces récusations a été respectée, sans qu'aucune objection
ne soit faite à ce sujet. Il en résulte que chaque juré choisi pour juger les accusés a fait
l'objet d'une récusation motivée conformément à la loi, laquelle récusation a été jugée
non fondée dans chaque cas. Se basant sur ces faits, l'appelant fait valoir son premier
moyen.

- 43 -
59.
L'appelant soutient que son droit, en vertu de l'art. 577 du Code
criminel, d'être "présent en cour pendant tout son procès" a été violé lorsque le juge
a interrogé les jurés pour vérifier leur impartialité, sans que l'accusé et son avocat ne
puissent les entendre. Cet argument soulève deux questions: (1) L'accusé était-il
présent au cours de l'interrogatoire des membres du tableau des jurés qui demandaient
une dispense? (2) L'interrogatoire de ceux qui demandaient une dispense a-t-il eu lieu
"pendant" le procès? Pour ce qui est de la première question, je reconnais avec la Cour
d'appel et l'avocat de l'appelant que l'accusé n'était pas présent lorsque le juge a
interrogé ceux qui demandaient une exemption. [TRADUCTION] "La présence de
l'accusé ne signifie pas simplement qu'il doit être physiquement présent, cela signifie
aussi qu'il doit pouvoir comprendre la nature de la procédure en cours": R. v. Lee Kun,
[1916] 1 K.B. 337. Certes, l'appelant était physiquement présent pendant que le juge
interrogeait les jurés, mais ni lui ni son avocat ne se sont vu permettre d'entendre ce
qui se disait. Il est donc clair que l'accusé n'était pas vraiment "présent" au sens
véritable.
60.
Il est plus difficile de répondre à la seconde question qu'à la première
et cette réponse dépend du sens de l'expression "pendant tout son procès" que l'on
trouve à l'art. 577. La Cour s'est déjà penchée sur le terme "procès" dans l'arrêt
Basarabas et Spek c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 730. Dans cette affaire, on demandait
à la Cour de déterminer quand commence un procès devant jury aux fins de l'art. 573
du Code criminel, qui prévoit que le juge peut libérer un juré "au cours d'un procès".
Le juge de première instance, dans cette affaire, avait libéré un juré après que le jury
eut été formé et assermenté et que des plaidoyers de non-culpabilité eurent été inscrits,
mais avant que le sort des accusés ait été confié au jury et que le ministère public ait
été appelé à faire sa preuve. Le juge Dickson (maintenant Juge en chef) s'exprimant

- 44 -
au nom de la Cour, conclut, aux pp. 741 et 742, que pour les fins de l'art. 573, le
procès commence lorsque l'accusé a été confié au jury. Cependant, le juge Dickson
avait rappelé auparavant que le sens du terme "procès" varie selon le texte de l'article
en cause et selon les circonstances. Il dit, à la p. 740:
Premièrement, le moment du début d'un procès devant jury peut varier
suivant les circonstances et le texte de l'article du Code criminel qui
s'applique. Ainsi, le terme "procès" au par. 577(1) qui assure à l'accusé le
droit d'être présent "pendant tout son procès" sera interprété de façon
libérale pour donner à l'accusé le droit d'être présent pendant le choix des
jurés. De même, le terme "procès" à l'art. 566 qui interdit au poursuivant
d'ordonner la mise à l'écart d'un juré dans un procès sur un acte
d'accusation pour la publication d'un libelle diffamatoire sera interprété de
manière à comprendre les procédures qui précèdent la formation du jury.
Dans d'autres articles, "procès" peut avoir une connotation différente selon
l'article du Code qui s'applique.
Le sens de l'expression "pendant tout son procès" sera donc fonction du texte de l'art.
577, des principes sous-jacents à cet article et des circonstances entourant l'espèce.
Une circonstance qui revêt une importance particulière en l'espèce est la nature des
propos échangés ou de la procédure dont l'accusé a été exclu.
61.
La Cour d'appel de l'Ontario a examiné le sens du terme "procès" à
l'art. 577 du Code criminel et les principes sous-jacents à cet article, dans son arrêt R.
v. Hertrich (1982), 67 C.C.C. (2d) 510 (C.A. Ont.) Au nom d'une cour unanime, le
juge Martin expose, à la p. 527, la façon générale d'aborder l'art. 577:
[TRADUCTION] En règle générale, le procès d'un accusé ne
commence qu'après le plaidoyer: voir Giroux v. The King (1917), 29
C.C.C. 258, à la p. 268. Toutefois, le terme "procès", aux fins du principe
selon lequel un accusé a le droit d'être présent à son procès, inclut
manifestement les procédures qui font partie intégrante du processus
normal du procès en vue de décider de la culpabilité ou de l'innocence de
l'accusé, comme l'interpellation et le plaidoyer, la formation du jury, la
réception des éléments de preuve (y compris les procédures de voir-dire

- 45 -
concernant l'admissibilité d'éléments de preuve), les décisions au sujet des
éléments de preuve, les plaidoiries des avocats, dont celles au jury,
l'exposé du juge au jury, y compris les demandes de directives
supplémentaires du jury, le prononcé du verdict et de la sentence si
l'accusé est reconnu coupable.
Plus loin, à la p. 537, il ajoute:
[TRADUCTION] ...la qualification d'une procédure comme faisant partie
intégrante du procès, par rapport au droit de l'accusé d'être présent pendant
qu'elle se déroule, semble dépendre de la question de savoir si son
exclusion de cette procédure a pour effet de violer son droit d'être présent
de manière à pouvoir, en tout temps, avoir directement connaissance de
tout ce qui se passe au cours de son procès qui puisse mettre en cause ses
intérêts vitaux. [Je souligne.]
La Cour a adopté expressément le point de vue général de la Cour d'appel dans l'arrêt
Vézina et Côté c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 2, à la p. 10, une affaire où le juge de
première instance avait interrogé des jurés dans son cabinet en l'absence de l'accusé
ou de son avocat, mais après qu'ils eurent prêté serment et eurent été saisis de la
preuve.
62.
Si tout événement survenu à l'audience qui est susceptible de mettre
en cause les intérêts vitaux de l'accusé devrait faire partie intégrante du procès, il est
néanmoins clair que ce ne sont pas toutes les étapes du long processus qui conduit
ultimement au verdict, qui font partie du procès aux fins de l'art. 577. Comme le juge
Martin l'affirme dans l'arrêt Hertrich, précité, à la p. 529:
[TRADUCTION] Manifestement, toutefois, ce n'est pas tout ce qui
se produit au cours d'un procès qui en fait partie intégrante. Le juge Zuber,
s'exprimant au nom de la cour dans l'arrêt R. v. Grimba, précité, dit à la p.
574, C.C.C., p. 744 D.L.R., p. 548 O.R.:

- 46 -
Le ministère public souligne cependant qu'une exclusion irrégulière du
prétoire ne contrevient pas en soi à l'art. 577. Il doit se passer quelque
chose à l'audience qu'on puisse qualifier de partie intégrante du procès. De
toute évidence si, après avoir expulsé l'appelant pour inconduite, la cour
ajourne pendant quelques instants pour reprendre la séance en sa présence,
l'appelant ne saurait prétendre qu'il n'a pas été présent au cours de son
procès. Dans l'arrêt Meunier v. The Queen (1965), 48 C.R. 14, [1966] B.R.
94n, le juge Casey de la Cour d'appel du Québec énonce ainsi la question,
à la p. 17:
"Notre problème est de savoir si la Cour a procédé, si elle a fait
quelque chose de nature à faire avancer l'affaire, en l'absence de
l'appelant. Si ce n'est pas le cas, l'argument de l'appelant doit être
rejeté; si c'est le cas, la déclaration de culpabilité doit être annulée.
La jurisprudence subséquente réitère cette question et utilise
l'expression "faire avancer l'affaire: Collin v. The Queen (1968), 5
C.R.N.S. 201, [1968] B.R. 340n. Je ne puis croire qu'on a voulu
conférer à cette expression un caractère définitif. C'est une façon de
poser la question essentielle de savoir si le procès se poursuivait; il
importe peu que la poursuite du procès ait comporté la présentation
d'éléments de preuve et de plaidoiries, des décisions sur des questions
de preuve, l'exposé au jury, etc.
J'accepte les remarques du juge Zuber et j'ajouterais qu'au cours du
procès certains événements peuvent se produire qui, quoique en un sens
ils fassent partie du procès, ne peuvent raisonnablement être considérés
comme en faisant partie pour les fins du présent principe, parce qu'on ne
peut raisonnablement considérer qu'ils ont un effet sur la conduite du
procès en soi, ou sur la question de la culpabilité ou de l'innocence.
Plus loin, à la p. 539, il ajoute:
[TRADUCTION] De toute évidence, comme je l'ai indiqué
précédemment, ce ne sont pas tous les propos qui peuvent être échangés
entre le juge et le jury ou un juré, au cours du procès, qui en font partie.
Par exemple, la simple communication par le juge au jury, en l'absence de
l'accusé, d'une décision administrative qu'il a prise, portant que si le jury
était incapable d'arriver à un verdict, il passerait cette nuit-là à l'hôtel pour
reprendre ses délibérations le jour suivant, ne viole pas l'art. 577: voir
l'arrêt R. v. Hamilton (1980), 58 C.C.C. (2d) 467. Et en l'espèce, par
exemple, la communication par le shérif adjoint au juge du renseignement

- 47 -
au sujet de l'appel téléphonique anonyme, et la conférence préliminaire en
cabinet avec les avocats, pour déterminer s'il était nécessaire de procéder
à une enquête et la forme qu'elle devrait prendre, ne faisaient clairement
pas partie du procès.
Appliquant ces principes, la question dont nous sommes saisis est de savoir si
l'interrogatoire de certains membres du tableau des jurés, auquel a procédé le juge afin
de vérifier leur impartialité, avant la formation du jury de jugement, faisait partie
intégrante du procès du fait qu'il mettait en cause les intérêts vitaux de l'accusé et qu'il
pouvait raisonnablement être considéré comme ayant un effet sur la conduite du procès
en soi, ou sur la question de la culpabilité ou de l'innocence.
63.
Les tribunaux ont constamment jugé qu'une fois le jury formé,
l'interrogatoire d'un juré par le juge, en vue de vérifier son impartialité, en l'absence
de l'accusé, viole les droits conférés à ce dernier par l'art. 577 du Code criminel. Dans
l'affaire Côté c. R., [1982] C.A. 419, le juge de première instance avait reçu des
messages de deux jurées qui alléguaient que deux autres jurés étaient ou avaient été
influencés par l'un des accusés. Le juge informa les accusés et leurs avocats de ces
communications et tenta d'obtenir leur consentement à un interrogatoire privé des deux
jurées qui avaient rédigé les messages. N'ayant pu obtenir leur consentement, il décida
d'interroger les deux jurées en présence d'un sténographe judiciaire, mais en l'absence
des accusés et de leurs avocats. Après les interrogatoires, le juge du procès, convaincu
que les allégations étaient sans fondement, a informé les accusés "qu'il n'y a aucune
raison valable pour laquelle le jury ne peut pas, ne pourra pas ou ne devra pas
continuer ses délibérations afin d'arriver à leur verdict". Le procès s'est poursuivi et
les accusés ont été reconnus coupables.

- 48 -
64.
En appel, la Cour d'appel à la majorité (les juges Owen et Malouf) a
conclu que les interrogatoires violaient les droits conférés à l'accusé par l'art. 577 et
a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Le juge Owen affirme dans ses motifs, à la
p. 434:
[TRADUCTION] Le droit d'être jugé par un jury impartial est
fondamental. L'accusé a le droit d'être présent lors de la formation du jury
et de l'examen de l'impartialité d'éventuels jurés. En vertu du même
principe, l'accusé a le droit d'être présent lorsqu'une enquête est menée
pour déterminer si l'impartialité des jurés a été altérée après leur
assermentation, mais avant que le verdict n'ait été rendu.
Le juge Malouf, dans une opinion distincte, dit à la p. 439:
[TRADUCTION] La jurisprudence citée dans l'opinion de mon
collègue le juge Owen indique clairement que cette procédure fait partie
intégrante du procès. Les jurées interrogées sont ces mêmes personnes qui,
avec les autres membres du jury, auront à juger de la culpabilité ou de
l'innocence de chaque accusé. C'est là une question vitale pour chaque
accusé. Sûrement, tout ce qui peut influencer les membres du jury dans le
verdict qu'ils sont appelés à rendre fait partie intégrante du procès. Il en est
ainsi en l'espèce.
Le juge L'Heureux-Dubé, dissidente, était d'avis que les interrogatoires constituaient
une enquête préliminaire visant à déterminer l'impartialité des jurées et que, par
conséquent, ils ne violaient pas l'art. 577.
65.
L'arrêt de la Cour d'appel a été confirmé lorsqu'on s'est pourvu en cette
Cour. Le juge Lamer, au nom de la Cour à l'unanimité, dit à la p. 13:
En l'espèce, il est parfaitement clair, d'après les messages écrits, que
la partialité de certains jurés était en cause. Le juge L'Heureux-Dubé
conclut que tel n'est pas le cas en se fondant notamment sur ce que
rapporte la transcription des conservations qu'ont eu le juge et les jurées

- 49 -
dans son cabinet. Cette analyse, à mon avis, porte à faux car elle confond
la question de savoir si la partialité des jurés est mise en question avec
celle de savoir si les jurés sont impartiaux ou non. En venir à la conclusion
que les jurés sont impartiaux ne veut pas dire que leur impartialité n'a pas
été mise en cause. Cela veut simplement dire que cette question a été
résolue en faveur de leur impartialité. Les événements de cette affaire
illustrent bien la nécessité qu'il y avait de résoudre la question de la
partialité en présence des accusés, particulièrement si l'on considère que
les avocats des accusés ont plaidé leur requête en avortement de procès
sans connaître ce que les jurées avaient à dire au sujet de la partialité des
autres, sans savoir si ces jurées avaient communiqué leurs soupçons à leurs
collègues jurés, y compris aux suspects, ni même sans savoir si le juge
avait rencontré ces jurées. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi de Sa
Majesté.
La présence de l'accusé lors de l'interrogatoire de jurés pour vérifier leur impartialité
a aussi été étudiée dans l'arrêt Hertrich, précité. Les faits pertinents de l'affaire
Hertrich sont bien résumés dans le sommaire du recueil 67 C.C.C. (2d) 510, à la p.
511:
[TRADUCTION] Les trois accusés et deux autres personnes furent
jugés pour meurtre au premier degré et, après un long procès, furent
reconnus coupables tous les trois. Au cours du procès, on a souligné au
juge de première instance que deux appels téléphoniques anonymes
avaient été reçus au domicile de l'un des jurés et que, pendant l'un de ces
appels, on avait déclaré que l'accusé Sk avait déjà tué deux fois. Ce juré
avait alors fait part à un autre juré de l'appel anonyme. Le juge de première
instance a fait venir l'avocat de la défense à son cabinet pour lui parler des
renseignements qu'il avait obtenus concernant ces jurés. Malgré
l'opposition de certains des avocats, le juge a alors procédé à une enquête
dans son cabinet en présence des avocats, mais en l'absence des accusés.
Les deux jurés ont été interrogés sous serment et ont indiqué qu'ils
estimaient pouvoir respecter leur serment de juré. Le juge a alors ramené
les deux jurés à l'audience et a déclaré que ce qui avait été dit au cours de
l'appel téléphonique anonyme n'était pas vrai, puis il a rejeté la requête de
l'avocat de la défense en avortement de procès. L'instance a alors repris
devant le jury au complet, auquel on a expliqué que l'un des jurés avait
reçu un appel téléphonique anonyme, en avait parlé à un autre juré, mais
que rien ne laissait supposer que l'auteur de l'appel était mêlé au procès et
que le juge était convaincu que le procès pouvait se poursuivre. Le procès
a alors repris.
En appel, le juge Martin a conclu, au nom de la cour, à la p. 539:

- 50 -
[TRADUCTION] Chacune des opinions opposées sur cette question
peut, à bon droit, trouver un fondement tant pragmatique qu'intellectuel.
J'estime toutefois, après avoir mûrement réfléchi, que le droit de l'accusé
d'avoir directement connaissance de tout ce qui se passe au cours de son
procès, qui puisse mettre en cause ses intérêts vitaux, doit prévaloir et faire
pencher la balance en faveur de la thèse selon laquelle l'interrogatoire des
jurés en cabinet faisait partie intégrante du procès.
J'ai donc conclu que l'interrogatoire des jurés le 6 avril faisait partie
intégrante du procès aux fins de la règle qui est en cause ici. La procédure
comportait un point vital: les jurés en question avaient-ils été influencés
par les appels téléphoniques anonymes et les appelants pouvaient-ils subir
un procès équitable si ces personnes continuaient d'être membres du jury?
Les appelants avaient le droit d'être présents et d'apprendre de la bouche
même des jurés si les appels téléphoniques les avaient influencés et si ces
appels ne leur permettaient plus de continuer à remplir la fonction de juré.
Une opinion similaire a été exprimée dans l'arrêt R. v. Fenton (1984), 11 C.C.C. (3d)
109 (C.A.C.-B.), et dans l'arrêt Frisco v. The Queen, [1971] C.A. 176, 14 C.R.N.S.
194.
66.
Il est donc clair que les droits que confère à l'accusé l'art. 577 du Code
criminel seront violés si le juge de première instance interroge un juré afin de vérifier
son impartialité, en l'absence de l'accusé et après la formation du jury. Mais la
situation est fort différente si le juge interroge des jurés afin de vérifier leur
impartialité, avant la formation du jury selon la procédure prévue par le Code. Pour
apprécier l'importance de cette distinction, il peut être utile d'exposer la procédure
d'assignation et de sélection des jurés. La formation d'un jury chargé d'entendre une
affaire donnée comporte deux étapes distinctes. La première étape consiste à constituer
le tableau à partir duquel sera sélectionné chaque juré. D'après l'art. 554 du Code, cette
étape est régie par la loi provinciale applicable qui, en l'espèce, est la Juries Act de la
Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1969, chap. 12 et ses modifications. La seconde étape est

- 51 -
régie par les art. 558 à 571 du Code et consiste à sélectionner, à même le tableau des
jurés, un jury chargé d'entendre une affaire donnée.
67.
Voyons de plus près la première étape: la Juries Act énonce les critères
d'aptitude et de dispense de la fonction de juré. Il décrit en outre la procédure de
constitution des tableaux de jurés pour chaque district de jury dans la province. Selon
la Loi, le procureur général nomme une commission du jury pour chaque district de
jury. Les procédures de la commission doivent se dérouler en secret. Chaque année,
la commission du jury choisit au hasard les noms de jurés éventuels sur les listes
électorales ou, si nécessaire, sur les rôles fonciers ou d'autres listes de personnes aptes
à faire fonction de juré. En choisissant les noms de personnes, la commission du jury
passe en revue chaque nom pour déterminer si cette personne remplit les conditions
d'aptitude et si elle n'est pas dispensée de la fonction de juré. Une fois la liste
complétée, la commission la certifie et la présente à un juge qui doit s'assurer, sur la
foi des renseignements que lui donne l'officier de justice responsable du jury, que les
jurés ont été sélectionnés et la liste dressée régulièrement. Si le juge approuve la liste,
elle devient la liste du jury pour le district jusqu'à ce qu'une nouvelle liste soit dressée.
Chaque fois qu'un jury est requis, le juge qui doit présider la session judiciaire ou le
juge en chef extrait de la liste, par tirage au sort, le nombre de jurés qu'il estime
nécessaire à la constitution d'un tableau des jurés. Les noms des jurés choisis pour
former le tableau sont rendus publics de quatre à huit jours avant la date fixée pour la
convocation des jurés, par affichage des noms dans le bureau du protonotaire de la
Cour suprême du district de jury.
68.
On voit aussitôt que cette procédure de formation, par tirage au sort,
d'une liste de jurés dont est extraite un tableau de jurés pour une session donnée vise

- 52 -
à constituer une réserve de jurés impartiaux. C'est une procédure dans laquelle un
accusé ne joue aucun rôle et n'a nullement le droit d'intervenir, sauf "pour le motif de
partialité, de fraude ou de mauvaise conduite volontaire de la part du shérif ou de ses
adjoints par qui la liste a été rapportée" (art. 558 du Code). L'accusé n'a d'autre intérêt
dans cette procédure, que celui que tout citoyen a dans la bonne application de la loi.
69.
La deuxième étape de la procédure comporte la formation du jury à
partir du tableau des jurés. Comme l'expose le Code, le nom de chaque juré figurant
au tableau est inscrit sur une carte que le greffier de la cour place dans une boîte.
Ensuite, le greffier tire au hasard les cartes, une à la fois, et procède à l'appel du nom
du juré inscrit sur la carte. À l'appel de chaque juré, l'avocat de l'accusé ou du
ministère public peut demander sa récusation motivée pour un certain nombre de
raisons précises énumérées à l'art. 567, y compris pour le motif "qu'un juré n'est pas
impartial entre la Reine et l'accusé". En outre, l'avocat de l'accusé et celui du ministère
public peuvent récuser péremptoirement un nombre fixe de jurés. Cette procédure se
poursuit jusqu'à ce que douze jurés aient été choisis. L'accusé a le droit d'assister et de
participer au déroulement de cette procédure pour s'assurer que les jurés désignés sont
impartiaux et que ses intérêts vitaux sont protégés.
70.
À tout moment au cours de la première étape, celle de la constitution
du tableau des jurés, un juge [TRADUCTION] "peut dispenser toute personne de
remplir la fonction de juré, pendant la totalité ou une partie de la session, sur demande
présentée par cette personne ou pour son compte (par. 4(2) de la Juries Act). Ce
paragraphe (le par. 4(2) de la Juries Act) légalise en droit provincial une pratique dont
l'application en droit criminel a été approuvée par de très hautes instances. Dans l'arrêt
R. v. Hubbert (1975), 29 C.C.C. (2d) 279, la Cour d'appel de l'Ontario (le juge en chef

- 53 -
Gale et les juges Jessup, Arnup, Dubin et Martin), dans un arrêt per curiam, s'est
prononcée sur les questions des récusations motivées, de la formation du jury et de la
position du juge chargé d'assurer l'impartialité des jurés. La cour s'est dite d'avis
qu'une présomption fondamentale du système du jury, que l'on trouve en droit criminel
canadien, est que les jurés respectent et suivent les directives du juge pour arriver à
leur verdict et qu'ils fondent leur jugement sur la preuve qui leur a été soumise et non
sur des idées préconçues au sujet de questions dont ils ont eu connaissance avant le
procès. Au procès, l'avocat de l'accusé avait demandé au juge de s'adresser aux
membres du tableau des jurés pour leur dire que si l'un des jurés en puissance
entretenait des rapports quelconques avec l'accusé, il devrait le déclarer avant de prêter
serment. Le juge avait refusé. La Cour d'appel, en examinant l'ensemble de la question
des récusations motivées prévues par le Code criminel et la question de la partialité des
jurés, cite en les approuvant les propos fort justes du juge Seaton dans l'arrêt R. v.
Makow (1974), 20 C.C.C. (2d) 513, à la p. 519: [TRADUCTION] "un accusé a droit
à un jury impartial, non à un jury favorable". On a aussi mentionné la directive
anglaise en matière de procédure (jurés), formulée par le lord juge en chef Widgery,
le 12 janvier 1973, [1973] 1 All E.R. 240:
[TRADUCTION] Il me faut énoncer une directive en matière de
procédure, après avoir consulté les juges du Banc de la Reine et des
Divisions de la famille. Un jury se compose de douze individus extraits au
hasard du tableau approprié. Un juré doit être libéré s'il est
personnellement concerné par les faits de l'affaire en cause ou s'il est lié
de près à une partie à l'instance ou à un témoin éventuel. Il peut aussi être
libéré, à la discrétion du juge, pour cause de difficultés personnelles ou
d'objection de conscience à remplir la fonction de juré. Il est contraire à la
pratique établie de libérer des jurés pour des motifs plus généraux comme
la race, la religion, les convictions politiques ou l'occupation.
Quant à la question de la partialité des jurés et de la position que doit adopter le juge
de première instance à ce sujet, la cour affirme, aux pp. 292 et 293:

- 54 -
[TRADUCTION] Pour en venir à l'aspect pratique des modes de mise
en o<euvre de la procédure [visant à assurer l'impartialité des jurés], nous
traiterons d'abord du genre de partialité manifeste que vise la directive
anglaise en matière de procédure. Certains juges ont l'habitude de dire aux
membres du tableau des jurés, avant que ne commence le processus de
sélection, quelque chose comme:
Si l'un d'entre vous est lié de près à une partie à la présente affaire ou à une
personne qui doit témoigner, aurait-il l'obligeance de se lever?
(Il est rare que quelqu'un se lève.) Si quelqu'un se lève, le juge lui
demande de s'avancer (habituellement jusqu'au banc des jurés) et il
s'enquiert plus longuement de ses liens avec l'affaire. Pour prendre des
exemples évidents, si le juré est l'oncle de l'accusé ou le conjoint d'un
témoin ou le frère du policier enquêteur, il ne devrait pas remplir cette
fonction.
À notre avis, le juge devrait de sa propre initiative libérer ce juré
éventuel sans plus tarder. Le Code criminel ne le prévoit pas
expressément, mais il ne l'interdit pas non plus expressément ou tacitement
et, à notre avis, le juge a le pouvoir de le faire, de par sa fonction qui
consiste à assurer un procès équitable. Nous pensons que la pratique
d'accorder une dispense aux jurés dont la partialité est manifeste est
souhaitable dans tous les cas.
Et, aux pp. 296 et 297, il dit:
[TRADUCTION] Enfin, il y a "la réflexion après coup" de Me
Hamilton en cours d'instance, selon laquelle le juge devrait s'enquérir
auprès des membres du tableau en général pour savoir si l'un d'entre eux
a eu "quelque rapport avec l'accusé". De nos observations antérieures sur
la procédure appropriée, il découle qu'à notre avis il eut été souhaitable
que le juge acquiesce à cette requête et même "passe au crible" le tableau
afin de découvrir ce que nous avons appelé des cas manifestes de
partialité. Il n'y a pas la moindre insinuation que l'un des jurés choisis a
effectivement eu des rapports avec l'accusé, aussi refusons-nous de juger
que cette décision ait eu pour effet d'entacher de nullité le procès. S'il
devait en être autrement, la plupart des procès criminels qui se sont
déroulés en Ontario auraient de même été entachés de nullité.

- 55 -
71.
À mon avis, la ligne de conduite adoptée par le juge de première
instance en l'espèce était tout à fait régulière et conforme aux propositions exposées
ci-dessus, qui se dégagent de l'arrêt Hubbert. La seule question qu'on pourrait soulever
pour distinguer ce qui s'est passé en l'espèce, c'est que le juge de première instance a
procédé à son enquête en l'absence de l'accusé et de son avocat. Il ressort de la
jurisprudence déjà citée que la question est de savoir si l'enquête du juge visant à
vérifier l'impartialité des membres du tableau pourrait avoir une incidence sur les
intérêts vitaux de l'accusé, quant à la question de sa culpabilité ou de son innocence.
Il ressort de l'examen de la Juries Act fait ci-dessus que l'interrogatoire des jurés,
effectué dans la salle d'audience, faisait partie de la première étape du processus de
formation du jury, c'est-à-dire la constitution du tableau des jurés, et qu'il est régi par
les dispositions de la Juries Act. En interrogeant les jurés comme il l'a fait, le juge de
première instance exerçait des pouvoirs relatifs à la constitution du tableau,
conformément à ce qu'on nous a dit être la procédure normale, et il est aussi évident
qu'il exerçait un pouvoir connu et approuvé dans les procédures régies par le Code
criminel. C'est là une étape où l'appelant ne joue aucun rôle et où, comme je l'ai dit,
il n'a nullement le droit d'intervenir. Tant que la procédure adoptée pour la constitution
du tableau des jurés respecte la Loi et qu'il en résulte un groupe d'individus hétérogène
et impartial, il n'est porté atteinte à aucun intérêt vital de l'accusé. Comme l'a dit le
juge Seaton, précité, selon la loi, un accusé à droit à un jury impartial plutôt qu'à un
jury favorable. La procédure prescrite par la Juries Act pour la constitution du tableau
des jurés, fondée sur un tirage au sort parmi les membres de la collectivité admissibles
à exercer la fonction de juré, est conçue pour atteindre cet objectif. Cette procédure
comporte un examen par le juge des listes de jurés qui ont été dressées et le pouvoir
discrétionnaire du juge de libérer certains jurés ou de leur accorder une dispense. Cette
procédure terminée, l'accusé a le droit de récuser les jurés pour diverses raisons, dont

- 56 -
la partialité, comme le prévoit le Code criminel. C'est ce qui s'est passé ici. Chaque
juré qui composait le jury a fait, sans succès, l'objet d'une récusation motivée en vertu
du Code criminel, en présence de l'accusé. L'appelant a ainsi obtenu, autant que le
permettait la loi, ce à quoi il avait droit, savoir un jury impartial, et a participé aux
procédures qui touchaient à ses intérêts vitaux. Je suis d'avis de rejeter ce moyen
d'appel.
L'Association libérale de la Nouvelle-Écosse est-elle une personne?
72.
L'Association libérale de la Nouvelle-Écosse est-elle une "personne"
au sens de l'al. 110(1)d) du Code criminel? Aux termes de l'al. 110(1)d) du Code, sur
lequel l'acte d'accusation est en partie fondé, constitue une infraction le fait d'offrir ou
de convenir d'accepter pour soi-même ou pour une autre personne, une récompense,
un avantage ou un bénéfice de quelque nature, en considération d'un exercice
d'influence. On a soutenu que le principal bénéficiaire de tous les bénéfices allégués
était l'Association libérale de la Nouvelle-Écosse et que cette association n'est pas une
"personne" au sens de l'al. 110(1)d) du Code. Je partage l'opinion de la Cour d'appel
que, pour les fins de l'al. 110(1)d) du Code, l'Association libérale de la
Nouvelle-Écosse est une personne. J'accepte le raisonnement de la Cour d'appel sur ce
point. À mon avis, le terme "personne", à l'al. 110(1)d) du Code, doit être interprété
en fonction de l'art. 2 du Code criminel, qui porte notamment:
2. ...
"quiconque", "individu", "personne", "propriétaire" et les expressions
similaires comprennent Sa Majesté et les corps publics, les corporations
constituées, sociétés, compagnies, ainsi que les habitants de comtés,

- 57 -
paroisses, municipalités ou autres districts à l'égard des actes et choses
qu'ils sont capables d'accomplir et de posséder respectivement;
L'Association libérale de la Nouvelle-Écosse est clairement visée par le terme
"société" de l'art. 2. Il ressort de la preuve soumise que l'Association libérale de la
Nouvelle-Écosse est un organisme actif, qui embauche du personnel, loue des locaux,
reçoit et distribue des fonds et exerce des activités politiques d'ordre général. Prétendre
que l'Association n'est pas une "personne" et qu'elle n'est donc pas visée par l'al.
110(1)d) du Code criminel mènerait à un résultat absurde et serait contraire à l'objet
manifeste de la disposition. Je suis d'avis de rejeter ce moyen d'appel.
L'exception à la règle du ouï-dire à l'égard du conspirateur
73.
L'appelant reconnaît que les directives du juge de première instance
sur la question de l'application de l'exception à la règle du ouï-dire à l'égard du
conspirateur étaient, en général, conformes à notre arrêt R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S.
938. Ce fut aussi l'avis de la Cour d'appel qui, à la p. 486, résume bien, en la divisant
en trois étapes, la démarche proposée par l'arrêt Carter:
[TRADUCTION]
1. Le juge des faits doit d'abord être convaincu,
hors de tout doute
raisonnable, que le complot
i m p u t é a
effectivement existé.
2. S'il est constaté que le complot imputé a
existé, le juge des
faits doit alors examiner
tous les éléments de
preuve, directement
admissibles contre
l'accusé, puis décider si,
s e l o n l a

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prépondérance des probabilités, il a
p a r t i c i p é a u
complot.
3. Si le juge des faits conclut que, selon la
prépondérance des
probabilités, l'accusé a
p a r t i c i p é a u
complot, il doit alors aller plus
loin et décider si le
ministère public a établi
l'existence de cette
participation hors de tout
doute raisonnable.
Ce n'est qu'à ce dernier
stade que le juge des
faits peut appliquer
l'exception à la règle
du ouï-dire et considérer
les éléments de
preuve relatifs à des actes et
déclarations d'autres
parties au complot, dans
l a p o u r s u i t e d e
l'objet du complot, comme des
éléments de preuve
jouant contre l'accusé quant
à la question de sa
culpabilité.
On a soutenu au nom de l'appelant que, quoique l'acte d'accusation fît mention d'autres
parties au complot sans les nommer, il ressortait néanmoins de la thèse du ministère
public que les seules parties au complot étaient l'appelant et ses deux coaccusés. Par
conséquent, pour déterminer hors de tout doute raisonnable en fonction de l'ensemble
de la preuve soumise si un complot avait existé, au cours de cette première phase de
ses délibérations, le jury devait nécessairement avoir conclu, d'après l'ensemble de la
preuve soumise et hors de tout doute raisonnable, que soit MacFadden, soit l'appelant,
soit les deux à la fois, étaient parties au complot. On a fait valoir que cette directive
sapait le fondement même de l'exception à la règle du ouï-dire à l'égard du
conspirateur, du fait le jury avait nécessairement au départ conclu à la culpabilité de
l'un ou des deux accusés en se fondant sur l'ensemble de la preuve soumise au procès.
74.
Cet argument, à mon avis, repose sur une conception et une
interprétation erronées de notre arrêt Carter. Il se fonde sur la proposition selon
laquelle, au cours de la première étape, selon l'arrêt Carter, le jury devrait
nécessairement établir, hors de tout doute raisonnable, l'identité d'au moins deux

- 59 -
parties au complot. À mon avis, ce n'est pas forcément le cas. Il peut souvent arriver
qu'en établissant hors de tout doute raisonnable l'existence d'un complot, on puisse
aussi établir l'identité de certains des conspirateurs. Dans certains cas et pour certains
conspirateurs, il peut ne pas être nécessaire d'avoir recours à l'exception à la règle du
ouï-dire, mais il n'en est pas toujours ainsi. Il est tout à fait possible et loin d'être rare
que l'on soit convaincu hors de tout doute raisonnable, d'après l'ensemble de la preuve
soumise, qu'un complot, pour les fins alléguées dans l'acte d'accusation, a existé, tout
en demeurant dans l'incertitude quant à l'identité de toutes les personnes qui y ont
participé. Une fois qu'on a compris cela, il devient évident que l'argument de l'appelant
est sans fondement. Au cours de cette première étape, ce qui est examiné, c'est
l'existence du complot, et non pas l'identité de ceux qui y ont participé. À ce stade,
l'exception à la règle du ouï-dire est inapplicable. Cela est conforme à l'opinion
exprimée par le juge Martin dans l'arrêt R. v. Baron and Wertman (1976), 31 C.C.C.
(2d) 525, où, au sujet de l'exception à la règle du ouï-dire à l'égard du conspirateur, il
affirme à la p. 544:
[TRADUCTION] Elle n'entre en jeu, toutefois, que s'il y a des éléments
de preuve, qui peuvent être laissés à l'appréciation du jury, que le complot
imputé entre A et B existe. Il est clair que, lorsqu'il s'agit de prouver
l'existence d'un complot entre A et B, on ne saurait avoir recours aux actes
de A ou à ses déclarations impliquant B pour prouver que B était partie au
complot, en l'absence de quelque autre élément de preuve admissible
contre B, qui l'implique dans le complot: voir l'arrêt Savard and Lizotte v.
The King (1945), 85 C.C.C. 254, à la p. 262, [1946] 3 D.L.R. 468, [1946]
R.C.S. 20, à la p. 29.
Lorsqu'à ce stade les "éléments de preuve qui peuvent être laissés à l'appréciation du
jury" ne convainquent pas le juge des faits, selon la norme de preuve applicable en
matière criminelle, qu'il y a eu complot, il n'a pas à aller plus loin puisque l'existence
d'un complot n'a pas été établie. On ne passe aux étapes suivantes, comme il est exposé

- 60 -
dans l'arrêt Carter, que si le juge des faits a effectué une première constatation: qu'il
y a bel et bien complot.
75.
Appliquant la démarche de l'arrêt Carter à l'espèce, il faut souligner
que trois parties au complot étaient identifiées et que les éléments de preuve
directement admissibles contre chacune d'elle différaient à certains égards,
particulièrement dans le cas de l'appelant qui, contrairement aux deux autres, n'avait
eu que peu ou pas de contacts directs avec ceux qui faisaient affaire avec le
gouvernement. Il y avait des éléments de preuve qui permettaient au jury de conclure
qu'il y avait bien eu complot, et une grande partie des éléments de preuve produits, en
ce qui concerne chaque individu inculpé, était du ouï-dire. Le ministère public pouvait
donc se prévaloir de l'exception à la règle du ouï-dire si le jury, après examen des
éléments de preuve directement admissibles contre chaque individu, avait conclu,
relativement à chaque accusé, qu'il était partie au complot. Le jury a reçu des
directives appropriées quant à ses fonctions à cet égard et il est évident qu'il est arrivé
à une conclusion défavorable à l'appelant sur les deux points, savoir le complot et les
conspirateurs.
76.
Au cours du débat, on a prétendu que la démarche de l'arrêt Carter ne
pouvait s'appliquer à une allégation de complot entre deux individus. Il semble même
que ce soit là le fondement de l'argument qu'on a fait valoir sur ce point. On estimait
autrefois, lorsqu'il n'y avait que deux parties au complot (et personne d'autre), qu'il
fallait que les deux soient reconnues coupables ou acquittées. Cela, pour éviter une
incompatibilité de verdicts, pour éviter de reconnaître A coupable d'un complot avec
B sans que B ne soit coupable de complot avec A. Il va sans dire que ce problème ne
se poserait pas en l'espèce, puisque trois personnes sont accusées de complot mais,

- 61 -
quoi qu'il en soit, dans l'état actuel de notre droit, l'argument ne saurait être accepté.
L'ancien point de vue a été rejeté péremptoirement dans notre arrêt majoritaire
Guimond c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 960. Il ne m'est pas nécessaire d'analyser en
profondeur l'opinion majoritaire rédigée par le juge Ritchie dans cette affaire, où il
étudie la jurisprudence antérieure, qu'il distingue de l'espèce, et se réfère en particulier
à l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Shannon, [1975] A.C. 717. Il dit, à la p. 977
[R.C.S.]:
À mon avis, on peut considérer maintenant que lorsque deux
personnes seulement sont accusées de complot et sont jugées séparément,
sur un même acte d'accusation ou non, la déclaration de culpabilité de
l'une n'est pas nécessairement invalidée par l'acquittement de l'autre.
J'estime que ces propos s'appliquent également à une affaire où les deux parties au
complot ont été inculpées et jugées conjointement.
77.
À mon sens, il n'y a rien d'illogique dans cette position. Le verdict qui
paraît illogique ne résulte pas de l'impossibilité de conclure que A a comploté avec B
pour commettre un crime donné et que B n'a pas comploté avec A, à la même occasion,
pour commettre le même crime, mais plutôt du fait qu'il existe des éléments de preuve
admissibles contre A, qui peuvent établir sa culpabilité, et qu'il n'y a pas d'éléments
de preuve suffisants admissibles contre B, pour prouver sa participation. Le fait que
M. A ait déclaré à la police, lors de son arrestation, "Oui, B et moi avons convenu
d'assassiner X", ne sera pas admissible contre B, mais cela ne supprime pas sa force
probante contre A.
78.
Je suis d'avis de rejeter ce moyen d'appel.

- 62 -
Le recours à la preuve de moralité
79.
Au procès, l'appelant a invoqué comme moyen de défense que sa
bonne réputation réfutait les accusations. Le jury a été saisi d'un nombre important
d'éléments de preuve de la bonne moralité et réputation de l'appelant. La défense a
insisté beaucoup sur ce moyen et il ne peut y avoir de doute que le jury ait été
fortement invité à en apprécier la valeur. En traitant de ce point dans ses directives au
jury, le juge de première instance a dit:
[TRADUCTION] Dans le cas du sénateur Barrow, vous pourrez tenir
compte des éléments de preuve suivants dans la seconde phase de vos
délibérations, et vous en tiendrez compte en fonction des généralités que
j'ai exposées au début de mon examen et que j'ai qualifiées d'éléments de
preuve contextuels, en d'autres termes, de l'association du sénateur Barrow
avec M.M. MacFadden et Simpson relativement aux affaires financières
et autres du parti libéral et, dans la même catégorie, des éléments de
preuve de son association avec des personnalités du parti, y compris le fait
qu'il était considéré comme un homme d'État chevronné et un conseiller
dont l'opinion était respectée par le Premier ministre notamment. Du même
coup, vous devez aussi tenir compte des nombreux témoignages, non
contredits, sur la moralité et la réputation du sénateur Barrow qui est
considéré comme un homme honnête et intègre, et sur sa participation
fréquente à des o<euvres charitables ou d'intérêt public, sans
rémunération. Tout cela forme le contexte.
Au sujet de la thèse de la défense, il a également affirmé:
[TRADUCTION] Il y a de menues différences entre les arguments qu'on
a fait valoir au nom du sénateur Barrow et ceux qu'on a fait valoir au nom
de M. MacFadden. La position adoptée au nom du sénateur Barrow était
que sa moralité et sa réputation repoussaient l'accusation portée contre lui,
que toute la preuve du ministère public n'était qu'une tentative d'impliquer
le sénateur Barrow dans les agissements de M. Simpson, alors qu'il n'y a
pris aucune part, comme le démontre le fait qu'aucun des représentants des
compagnies d'alcool ne le connaissait. On soutient, en son nom, qu'aucune
importance ne doit être attachée au fait que certains documents de la
Société des alcools ont été trouvés en sa possession, puisqu'il ne faisait pas
office de percepteur. Quant à la gestion des fonds, le sénateur Barrow
n'était qu'un administrateur.

- 63 -
80.
Au cours du débat devant nous, l'avocat de l'appelant a reconnu, sur
ce point, qu'en passant en revue les éléments de preuve soumis à l'appréciation du jury,
le juge de première instance avait fait mention des témoignages rendus au sujet de la
bonne réputation d'homme intègre et honnête dont jouissait l'appelant. Toutefois, on
a fait valoir que la preuve de la bonne moralité est utile pour démontrer qu'il était peu
vraisemblable que l'accusé ait commis le crime imputé (R. v. Khan (1982), 66 C.C.C.
(2d) 32, à la p. 42) et que cela n'avait pas été clairement dit au jury. On a également
soutenu que le juge de première instance n'a pas expressément instruit le jury de
l'usage que le droit les autorisait à faire de ces éléments. On y a vu une absence de
directive, vu surtout l'importance de la preuve de moralité dans la thèse de l'appelant.
En traitant ce point, la Cour d'appel a affirmé, à la p. 16:
[TRADUCTION] Tout au long du procès, on a insisté sur la preuve
de la bonne moralité de l'appelant. L'avocat de l'appelant en a fait mention
dans sa plaidoirie, ainsi que le juge de première instance, à plusieurs
reprises, au cours de ses directives au jury. L'appelant n'a pas témoigné,
aussi sa crédibilité à titre de témoin n'est pas en cause. Bien que le juge de
première instance ne l'ait pas affirmé directement, nous sommes
convaincus que le jury doit avoir eu conscience qu'il lui était loisible de
juger que cette preuve démontrait qu'il était peu vraisemblable que
l'appelant ait commis le crime dont il était accusé. Compte tenu de
l'ensemble des directives au jury, nous ne saurions dire qu'il y a eu erreur
judiciaire par suite de ce qui, au mieux, n'est qu'une absence technique de
directive.
81.
Je suis d'avis, après examen des directives données au jury et de
plusieurs extraits de la preuve soumise, que les observations de la Cour d'appel à ce
sujet sont justes. Il ne peut y avoir de doute que le jury a été clairement saisi de la
preuve de la bonne réputation et moralité de l'appelant. Le juge de première instance
l'a soulignée et traitée équitablement. Je partage entièrement l'avis de la Cour d'appel
sur ce point. Je suis donc d'avis de rejeter ce dernier moyen d'appel et de rejeter le
pourvoi pour les motifs précités.

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Pourvoi accueilli, les juges MCINTYRE et LE DAIN sont dissidents.
Procureurs de l'appelant: Cooper & Sandler, Toronto.
Procureur de l'intimée: Le procureur général de la Nouvelle-Écosse,
Halifax.